L’idée avait germé quelques jours plus tôt entre Bernard-Henri Lévy et l’auteur de ces lignes. Il fallait, après la publication de l’article du directeur de La Règle du Jeu dans Libération, après ses interviews sur des chaînes de télé américaines, affirmer une nouvelle fois l’impérieuse nécessité de soutenir les Kurdes, en première ligne militaire face au monstre Daech (acronyme en arabe de l’Etat islamique). Depuis des semaines, c’est à Kobané, petite ville du Rojava (la zone kurde de Syrie, attenante avec la frontière turque) que tout se joue. C’est là que les hommes et les femmes des YPG tiennent tête aux jihadistes. Les YPG ? Ce sont les groupes armés liés au principal parti kurde, le PYD (Parti de l’unité démocratique), lui-même très proche du PKK, force politico-militaire ultra-majoritaire des Kurdes en Turquie qui se battent depuis des décennies pour la reconnaissance de leurs droits en tant que minorité (20 % de la population).
Or le PKK est inscrit, tant par les USA que par les Européens, sur la liste des organisations terroristes. En dépit de l’évolution de cette formation vers un mode d’action en rupture avec ses pratiques antérieures, la Turquie d’Erdogan, tout à la fois ultra-nationaliste et islamiste, tient à maintenir le PKK sur cette liste. Ce qui lui permet de mettre sur le même plan les barbares sanguinaires de Daech et ses opposants kurdes afin de mieux réprimer ces derniers – tout en continuant à favoriser discrètement les fondamentalistes délirants et sanguinaires de l’Etat islamique. Tout cela expliquant que le régime Erdogan verrait plutôt d’un bon œil la défaite des forces kurdes de Kobané puisque cela affaiblirait gravement et le PYD et le PKK.
Appeler à soutenir sans réserve ces combattantes et combattants qui résistent avec une détermination extraordinaire aux fous furieux d’Allah pose ainsi la question de les approvisionner en armes efficaces, car ils ne disposent que de moyens insuffisants contre les tanks et lance-missiles de Daesh. Il faut donc cesser de complaire au gouvernement turc et reconnaître pleinement que le PYD syrien et son parti frère le PKK turc sont les seuls alliés de poids dans la guerre contre l’Etat islamique. Ce qui implique que le PKK soit retiré de la liste des organisations terroristes.
C’est ce choix politique dans lequel s’est engagé Bernard-Henri Lévy et qu’il décida de formuler solennellement lors d’un événement marquant : une représentation de sa pièce «Hôtel Europe» au théâtre de l’Atelier dédiée à Kobané, bastion de la résistance kurde. Ce qui fut fait samedi 18 octobre, en présence d’une cinquantaine de Kurdes, dont plusieurs responsables du Conseil démocratique kurde de France (CDK-F) et d’un membre du Congrès national du Kurdistan (CNK).
A la fin du tour de force que réitère chaque soir Jacques Weber en portant avec fougue et passion le texte de BHL, les deux hommes ont été rejoints sur la scène par deux responsables kurdes ainsi que par le président des Yézidis en France et par le vice-président des Assyro-chaldéens de France. Le Dr. Jacques Berès, président de France Syrie Démocratie, qui, peu de temps auparavant, était encore à opérer des blessés dans la petite ville kurde de Sérékanié, un autre des fronts kurdes contre les fous furieux d’Allah, était également là. Bernard-Henri Lévy appela à tout mettre en œuvre pour soutenir les résistants de Kobané : poursuivre les bombardements des positions de Daech par la Coalition, augmenter les livraisons d’armes aux forces kurdes et, donc, retirer le PKK de la liste des organisations terroristes. Son discours, tout comme celui des autres orateurs, fut reçu par une ovation du public. Dans la salle et sur la scène l’émotion des amis kurdes était palpable. Le terme d‘ «amis kurdes» n’est pas une clause de style. Eux et nous, à La Règle du Jeu, partageons le même espoir d’un Moyen-Orient démocratique et laïque, débarrassé des haines religieuses et ethniques et vivant en paix avec ses voisins. Comme l’a martelé Adem Uzun, représentation du CNK, « A Kobané nous ne nous battons pas seulement pour protéger les Kurdes, mais aussi pour toute l’humanité ».
C’est une authentique convergence qui a été scellée ce samedi soir. A l’étonnement, peut-être, des deux parties qui, pour l’une, a découvert l’engagement résolu et public de l’intellectuel en leur faveur, pour l’autre a constaté le désir profond des Kurdes de créer une société fondée sur les principes universels des droits de l’homme – c’est-à-dire aussi des droits des femmes et des minorités. Cette convergence, qui ne sera pas sans conséquences importantes, est fondée sur la raison politique, mais aussi sur un sentiment venu du cœur, ceux d’hommes et de femmes qui, envers et contre tout, ne renoncent pas à l’espoir de fraternité. Les photos prises lors de la soirée en sont un témoignage.