Cet homme sera président de la République. Sans doute l’est-il déjà depuis un moment, plus qu’il n’est réellement dans « l’opposition ». Il occupe une sorte d’Elysée hors-les-murs, comme il existe une Villa Médicis hors-les-murs. François Bayrou est davantage un homme qui s’affirme qu’un homme qui s’oppose. Au siège du Modem, il possède un bureau modeste et tapissé de livres lus qui semble, tel celui de la petite boutique des Cahiers de la Quinzaine où siégeait son « cher Péguy », la forteresse têtue de son ambition légitime. Nul n’est moins imposteur que lui. Dans cette conviction très intime de n’être installé à la place de personne – si ce n’est à celle que sa patience et son caractère ont fini par lui forger, par lui offrir, par marquer de ses initiales – il poursuit sa route qui n’est pas une route : mais un chemin. François Bayrou est, comme Paul de Tarse et les saints anonymes qui plus encore le touchent, qui mieux encore le tutoient, un homme de chemin. Lorsqu’il vous dit, les yeux les yeux, que même et surtout en politique la fin ne justifie pas les moyens, il ne fait pas seulement du cynisme à l’envers, de l’antimachaviélisme électoral, il ne pratique pas la démagogie au carré : il indique que les efforts sont plus dignes que le but, que la voie est supérieure à son achèvement, que le chemin est le seul couronnement qui vaille. Il y a une dignité de l’ascension ; une philosophie de la traversée. Non que François Bayrou se situe – ce serait ne l’avoir pas compris – dans une de ces démarches suicidaires ou masochistes consistant, avec une naïveté fausse et méprisante pour le peuple, à faire semblant de vouloir diriger la France. Il veut bel et bien être Président. Il le veut à tout prix ; mais pas à n’importe quel prix.

Le rôle qu’il doit jouer, il le connaît. Il connaît la France : mieux encore, il connaît les Français. Il les entend : l’entendent-ils ? Il sait que le pays ne sait plus lui-même ce qu’il veut ni ce qu’il vaut. François Bayrou a compris que, derrière la façade technicienne des chiffres, la mise en équation du monde par son évaluation calculatoire et abstraite (PIB, AAA, etc.), a commencé un processus toxique de voilement du monde, au sein duquel les élites elles-mêmes, malgré la morgue hautaine de leurs simagrées, ont perdu pied. La société est devenue incompréhensible : on ne sait plus qui décide, ni de quoi, ni qui gouverne, ni comment. Les Français voudraient bien (on les sent tentés) que François Bayrou vienne, dans cette langue des paysans si prompte à transmettre les complexités par la simplicité, traduire le volapük du chaos en quelques phrases lisibles. Comme Péguy, auquel il est fidèle depuis l’âge de 16 ans, ce populaire homme du peuple vomit le populisme, cet homme simple exècre le simplisme. D’ailleurs, François Bayrou hait les mots en « isme ». Les Français demandent à François Bayrou de penser la réalité, puis de la leur restituer intacte, sans trahison ni manières, dans le parler de tous les jours, car c’est tous les jours que l’on est Français, tous les jours que l’on est Européen, tous les jours qu’on travaille et tous les jours que l’on souffre ; c’est tous les jours que l’on existe. François Bayrou, s’il est Président, sera un Président pour tous les jours de la semaine – ce n’est pas si fréquent. Les Français en ont assez de subir la France : il faut les réconcilier.

François Mitterrand prétendait que pour gouverner, il suffisait de posséder trois idées claires. François Bayrou en possède davantage, qui s’avèrent plus limpides encore. On sent, chez le Bayrou de 2012, que le temps a fait son travail ; il ne s’est pas linéairement écoulé, passant mécaniquement du passé vers le futur, mais a creusé dans l’homme un sillon faits de présents successifs et douloureux, en relief, de densité variable, de creux et recreux d’existence, où la solitude fut souvent seule avec elle-même. L’homme du chemin, c’est l’homme des sondages calamiteux à remonter comme Sysiphe sa colline. Mais le destin de François Bayrou n’embrasse aucune absurdité camusienne : Bayrou 2012 n’est pas la version vieillie de Bayrou 2007 ; elle en est la version actualisée : intériorisée. Bayrou 2007 coïncidait avec un candidat à l’élection présidentielle : Bayrou 2012 coïncide avec François. Il n’a ni peur, ni honte, ni surtout aucune difficulté à être lui- même, c’est-à-dire : ni plus que lui-même, ni moins que lui-même. Abandon de toute arrogance inutile et de toute humilité feinte. Il ne ne s’excuse d’être là pas plus qu’il ne s’en vante. Pour la première fois peut-être, il est à la fois à sa place et en place : en phase avec la société et avec lui- même. Il n’a pas « prédit » la dette parce qu’il sait déchiffrer l’avenir : il lui a suffi de savoir lire le présent ; de parler couramment le quotidien. L’homme du chemin est un homme en chemin : cheminement d’une ambition, en ligne droite et obtuse ; cheminement d’une pensée, sinueuse pour s’adapter aux sursauts du monde contemporain ; cheminement intime et spirituel, jaloux de son mystère. Le tout est de se frotter aux hommes, de faire jaillir de ces réflexions des propositions non pas éthiques (Bayrou n’est pas Levinas), non pas morales (Bayrou n’est pas Kant), mais humaines. François Bayrou n’est pas tant un homme politique qu’un politique humain.

Certes, il n’a pas gagné. Loin de là. Cet excès de solitude, ces lacunes en cynisme, ces démonstrations de fierté l’honorent : mais la course à l’Elysée, de De Gaulle à Sarkozy, en passant par le dieu Giscard, n’exige-t-elle pas le recours systématique à ces défauts sinistres qui semblent d’obligatoires qualités ? François Bayrou ne muscle-t-il pas outrageusement sa droiture ? N’incarne-t-il pas exagérément – du strict point de vue stratégique – l’incorruptibilité et l’incompromission ? Le « centre » semble, dans la politique française, être une risible tare, un fourre-tout électoral, une géographie tiède, un rendez-vous des indécis, une salle d’attente floue. Le centre fut longtemps la capitale des hésitations, le royaume des atermoiements, une faiblesse de caractère : il est peut-être aujourd’hui le seul cosmos traversé de fusées neuves. On peut s’y affranchir des réflexes, être excessif et ferme, devenir soi-même avec ou contre les autres, surtout contre, slalomer entre les dogmes, mépriser les paralysies partisanes, proposer au réel de s’installer dans des catégories neuves, élastiques. L’argent n’est pas le problème : l’urgence est de lui donner une signification ; le marché n’est pas une apocalypse : l’urgence est de lui donner un sens. L’Europe n’est pas un fléau : l’urgence est de lui donner un visage. François Bayrou, avant tout chose, devra (re)nommer les choses, les situer dans le chaos, reprendre les concepts à la source, les nettoyer. Le moment est venu de la pédagogie. Il est satisfaisant de le voir dire tristement la vérité triste, méchamment la vérité méchante, froidement la vérité froide – sa mission consiste aussi, consiste surtout, à faire comprendre le monde aux Français. Ils attendent qu’une vision leur confère une visibilité.

Le monde est recouvert de technicité, de technologie, il est saturé de modes opératoires, de calculs, de méthodologies, de sociologies ; il est devenu une accélération tweetée, un artifice surcommenté, où tous les langages sont mêlés, mais d’où aucune parole ne semble plus émerger : la réalité est enfouie, engluée comme l’albatros, sous un goudron de bavardage incessant. Recouvert, voilé, aussi par un totalitarisme du divertissement savamment mis au point pour déconnecter un peu plus encore, au gré des émissions débiles et des jeux vidéos régressifs, le peuple de ses devoirs, de ses droits – de son destin. La société créée moins de citoyens qu’elle ne sécrète d’enfants. Le pouvoir, devenu trop complexe et intimidant pour être appréhendé, est-il sciemment (et presque gaiement) confié aux quelques-uns qui se trahissent et s’assassinent pour l’occuper : avec cette égomanie aussi, il s’agit d’en finir ; avec cet « autothéisme », cet « égothéisme » qui fait de chacun son propre dieu dans une cité malade. La quantité de présent fournie est effroyable ; avant le présent était simplement vécu. Aujourd’hui il est commenté et relayé. Il s’emballe et ne s’arrête jamais. Ni pour se tourner vers le passé ni, par conséquent, pour se tourner vers l’avenir. On fournit du présent destiné à rester du présent. Dans cette folie, il y a peut-être, il y a sans doute une chance historique pour François Bayrou, l’impressé.

5 Commentaires

  1. merci de nous dire avec tant de talent et de justesse, ce que les journalistes, presque unanimement, ont décidé de taire sur  » l’homme » Bayrou!

  2. Bonjour
    Je viens de lire votre article , qu’un de mes amis a envoyé sur ma page Facebook , et je vous dis merci , merci d’avoir si bien décrit notre candidat , celui en qui nous croyons pour redonner une grandeur et une dignité à la France , oui il est cet homme intègre , droit , franc , qui aime profondement son pays et veut le meilleur pour lui , il est profondement humain , il connait la situation de la France , il expose et propose des solutions pour venir a bout de la crise , il ne nous promet pas la lune , il ne le peut pas , mais il veut que nous sortions de cet abime dans lequel nous nous precipitons , j’ai 5 enfants et 11 petits enfants , je ne veux pas leur laisser pour demain des dettes dont ils ne pourront plus sortir , alors nous qui le suivons , nous savons que ce qu’il dit est vrai , si seulement les lédias et la presse se mettaient enfin à le suivre et à le publier , ils feraient un geste utile pour sauver la France , cette France que tous nous aimons , alors je dis simplement François BAYROU président

  3. Je suis, comme toujours, fascinee par le style hors du commun de Yann Moix.

    Comment peut-on se contacter directement par mail avec lui?

    C’est avec un plaisir immense que je le lis, de l’autre cote du globe et ce depuis mes 18 ans, a peine. Cela fait presque 15 ans deja.

    Yann Moix est deroutant, enigmatique…ces mots frappent, resonnent, et intriguent a la fois.

    Avec mes remerciements,

    Marie-Caroline.