Policiers contrits et résignés, population française unanime dans son indignation ; ces propos, en référence à la Rafle du Vél’ d’hiv’, paraissent extraites du discours d’un responsable politique français de l’après-guerre tant ils sont caricaturaux. Il n’en est rien ; ils ont été prononcés l’an dernier par Hubert Falco, alors tout nouvellement nommé Secrétaire d’Etat à la Défense et aux Anciens Combattants.
Aura-t-il l’audace de les réitérer à l’occasion de la cérémonie qui se déroulera ce dimanche 18 juillet 2010 sur la place des Martyrs du Vélodrome d’Hiver et à laquelle il participera de nouveau ?
Il faut le craindre. Car ces mots, soigneusement choisis, participent plus probablement d’une volonté de renouveler mezza voce le discours politique vis-à-vis du rôle de la France pendant la Shoah que d’un simple souci rhétorique.

Dimanche 18 juillet 2010 se tiendra la traditionnelle cérémonie à la mémoire des 13 152 parisiens raflés par la police française le 16 juillet 1942, regroupés au Vélodrome d’Hiver et déportés dans leur grande majorité. Au fil des années, cette commémoration est devenue un événement central dans le regard porté par la France sur ce passé : observer l’évolution de ce moment solennel demeure un formidable prisme pour comprendre l’évolution du discours politique français sur la déportation de ses Juifs.

Rétrospectives. En 1992, François Mitterrand est le premier président à être présent, sans prendre la parole, à cette cérémonie initiée par d’anciens déportés emmenés par l’énergie d’un des leurs, Henry Bulawko, et parrainée par le CRIF depuis 1980. Ce jour là, le Président Mitterrand est vigoureusement sifflé par l’assistance en raison de ses ambiguïtés envers Vichy et le maréchal Pétain, dont il continue d’aller fleurir discrètement la tombe chaque année. En février 1993, il institue toutefois au calendrier le 16 juillet comme « journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l’autorité de fait dite gouvernement de l’État français ». La cérémonie devient ainsi l’événement majeur de ce temps désormais officiel.  Un an après est inauguré à Paris un monument commémoratif de la rafle, sur une promenade plantée en bordure du quai de Grenelle, nommée square de la place des Martyrs Juifs du Vélodrome d’Hiver. Imaginé par le sculpteur Walter Spitzer et l’architecte Mario Azagury, le monument représente des civils : enfants, femme enceinte, personnes âgées, symbolisant les victimes de la rafle. Le socle de la statue est incurvé, rappelant la piste du Vélodrome d’Hiver. C’est à cet endroit que se déroulera désormais chaque année la cérémonie commémorative.

Mais c’est pourtant Jacques Chirac, premier Président français à prendre la parole à l’occasion de cet évènement qui restera durablement associé à la cérémonie du Vel’ d’hiv’. Nous sommes le 16 juillet 1995, et le Président Chirac reconnaît dans son discours l’étendue de la responsabilité de la France dans la déportation des Juifs. «  La France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable » ; ces mots tant attendus eurent un effet salvateur sur le discours politique et ouvrirent une ère nouvelle de regard apaisé sur Vichy.

En 2000, la journée nationale est renommée « Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux Justes de France. » ; Fini la tournure alambiquée sur « l’autorité de fait dite gouvernement de l’Etat français » de l’ancienne appellation. Comme le souligna alors le rapporteur de cette loi, il importait de reconnaître que l’État français, légal à défaut d’être légitime, avait bien participé à ces crimes.
Cette nouvelle dénomination a également introduit l’hommage nécessaire aux Justes de France, sur laquelle le gouvernement d’alors choisit progressivement d’insister jusqu’à les faire entrer au Panthéon en janvier 2007, toujours sous l’impulsion de Jacques Chirac.

Le discours semblait depuis s’être peu ou prou fixé dans la sérénité: un gouvernement légal collaborateur, une minorité de citoyens résistants ou Justes de France, une grande majorité de français plutôt hostiles à l’occupation mais n’ayant su puiser en eux la force nécessaire pour réagir à une situation d’une telle radicalité. C’est cette description qui peu à peu a fondé le propos politique, la réalisation artistique, les ouvrages universitaires sérieux depuis plus de 15 ans. Il faut s’en féliciter car c’est ainsi que la page de Vichy a pu être tournée.

C’est précisément cela que le Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants est venu remettre en cause l’année dernière dans une partie de son allocution. Au détour de l’extrait reproduit ci-dessus, il apparait qu’il a choisi de faire émerger une quatrième catégorie d’individus, situés à mi-chemin entre les collaborateurs et les indécis: les complices indignés.

En quoi est-il pertinent de rappeler les états d’âme des policiers ? Sur quels travaux Hubert Falco s’appuie-t-il pour évoquer les réactions d’humanité de TOUTE la population de France ?

Il ne s’agit pas là de nier l’inflexion véritable dans la prise de conscience des français, notamment de l’église catholique, que la rafle du 16 juillet 1942 provoqua. Ni la réalité de policiers sans doute peu zélés à la déportation. Une minorité d’entre eux ont même sauvé l’honneur de la police française en aidant des Juifs, et ils sont 54 policiers ou gendarmes à avoir été à ce jour honorés par le titre de Justes de France par le Comité Français pour Yad Vashem.

Mais parler de réaction d’humanité de toute la France, c’est faire offense à l’histoire. Evoquer le souvenir de policiers rongés de honte, c’est abandonner la leçon essentielle que nous enseigne cette période. C’est ne pas comprendre ce pourquoi le souvenir de l’occupation est si obsédant. Comme l’ont si bien expliqué Henri Rousso et Eric Conan dans leur ouvrage « Vichy, un passé qui ne passe pas », Vichy est le reflet permanent non pas de « nos » crimes, toujours le fait d’une minorité, mais de notre indifférence et de la grande difficulté de rompre avec une autorité compromise, comme le firent naguère les premiers résistants et les Justes de France.

Pour cette raison, on ne peut choisir simultanément d’honorer les Justes et d’évoquer le souvenir de complices indignés. Célébrer la France fidèle à ses idéaux ou introduire celle du renoncement, Hubert Falco devra ce dimanche, choisir.

10 Commentaires

  1. Le président Chirac a (enfin) prononçé des phrases sans ambiguité en 1995 concernant les 13152 victimes de la rafle du Vel’d’hiv’. « Ce jour là , l’irréparable était commis » : ainsi qu’avant et après 1942 et concerne d’après Monsieur Paxton 76000 Juifs déportés. Si l’on ajoute les morts des camps d’internement en France (maladies…) ; 90000 morts.
    ( je crains les expressions « génériques ». Pour évoquer l’extermination, on emploie le nom d’un camp de la mort. Il y en a eu beaucoup…).

  2. Et puis il y a Louis Grave, ce femier d’Yronde qui finit par lâcher à Ophüls dans Le chagrin et la pitié, comment après la guerre, alors que la France venait de remercier De Gaulle en renvoyant sa haute pomme dans ses pénates de Colombey, tout son village l’avait autarcisé, lui qui avec son frère Alexis, avaient dirigé un groupe de résistants avant qu’un voisin n’aille le dénoncer, que des autorités françaises ne viennent l’arrêter, afin que des autorités allemandes puissent enfin déporter la brebis galeuse, à Buchenwald. Et quand Marcel Ophüls crache le morceau que Louis garde coincé dans la gorge, évaluant le nombre de ceux qui s’étaient opposés à la barbarie à quelque chose comme «2 pour cent», le maquisard tourne la tête en toisant le champ absolument désert choisi pour décor de la séquence, et jaunissant d’un sourire : «Et encore, vous être large!» On peut dire en effet que, allez… 98 pour cent des Français ne furent pas résistants, mais ce n’est pas faire honneur à la résistance et à ce qu’elle dut véritablement endurer. La vérité si extraordinairement facile à nommer en la revendiquant quand d’un jour à l’autre, il était devenu impossible d’en reconnaître le nom, c’est que sous la férule de l’Occupation allemande, 98 pour cent des Français ont été pétainistes. Un portrait du maréchal trônait dans toutes les pièces principales des maisons, des appartements, des hôtels particuliers, des entreprises et des bureaux. Les petits enfants commençaient leur journée d’écolier, chantant au garde à vous «Maréchal, nous voilà!» Et quand Pétain apparaissait sur une place publique, la foule l’accueillait d’un salut nazi.

  3. Je trouve ce discours toujours plein d’une trouble ambiguité. On y dit que « l’état français » a commis des crimes. Et que certains français, eux, se sont comportés de façon remarquable. L’état français me paraît être une bien belle abstraction, pour occulter le fait que les français eux mêmes faisaient tourner cette abstraction. On occulte donc le fait que 95% des français ne furent pas résistants. On persiste dans le mensonge : il faut dire « la France a perdu la guerre », et s’est reconstruite sur la mytholgie, réelle, admirable, mais marginale de la résistance. On vit encore dans cette fierté ridicule, mais au fond honteuse. La France est toujours honteuse d’elle même.

  4. Essayons, si cela est dans le domaine du possible, de ne pas confondre le mépris avec la méprise. Que les bourreaux SS aient massacré en le sachant des résistants ou qu’ils aient massacré sans le savoir des innocents qu’ils prenaient pour des résistants, démontre dans les termes que ces Français qu’ils massacrèrent figuraient selon leur critères raciaux et politiques, des innocents.

  5. …. les martyrs d’Oradour-sur-Glane furent massacrés du plus jeune au plus vieux et du premier au dernier, parce qu’ils étaient français…..et parce que les Panzergrenadiers SS « Das Reich » se sont, dans leur précipitation, trompés de village, trompés d’Auradour.

  6. Ce discours il est vrai, est à bien des égards bouleversant dans ce qu’il témoigne pour la première fois de la part d’un représentant de notre nation, d’une compréhension de ce que furent la vie des survivants, les raisons de leur mutisme au retour des camps, et la très longue durée du silence expliquant la nécessité non pas de continuer, mais de commencer à témoigner chez ceux que d’aucuns voudraient depuis à peu près le même moment, réussir à faire taire. Il n’en reste pas moins, que prétendre que les nazis déniaient le droit de vivre aux homosexuels, c’est oublier de compter tous les homosexuels dont l’ex-amant de Cocteau, Arno Breker, sculpteur officiel du Parti nazi, qui se donnèrent corps et âme pour faire triompher le culte androgyne du Führer au célèbre SS-pantalon renforcé au niveau des fesses. Parler des Slaves comme d’une race à exterminer, c’est s’être arraché de la mémoire l’entrée dans l’Axe en novembre 1940, de la République slovaque ou en mars 1941, du royaume de Yougoslavie. Dire des tirailleurs sénégalais massacrés au cours de la bataille de Chasseley qu’aucun d’entre eux n’eut la vie sauve pour la seule raison qu’ils étaient noirs, c’est méconnaître la propension nazie au crime de guerre. Nous pouvons laisser faire, mais il faudra si nous décidons de ne plus arrêter de dévaler le slalom casse-cou dessiné par les maîtres-chanteurs du martyrologe, enseigner un jour à tous les petits Français que les martyrs d’Oradour-sur-Glane furent massacrés du plus jeune au plus vieux et du premier au dernier, parce qu’ils étaient français.

  7. Bonjour,

    Il faut reconnaitre à Hubert Falco le remarquable discours qu’il a prononcé hier et qui ne laisse plus subsister la moindre ambiguïté.
    le voici,

    « Madame le Ministre, chère Simone Veil,
    Monsieur le Maire de Paris,
    Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
    Monsieur le Préfet de la région Ile de France,
    Monsieur le Préfet de Police,
    Mesdames et Messieurs les élus,
    Monsieur le Président du CRIF,
    Monsieur le Président du Consistoire central,
    Mesdames et Messieurs les représentants des autorités civiles, militaires et religieuses,
    Mesdames et Messieurs les présidents,
    Mesdames, Messieurs,

    Aujourd’hui, la Nation se souvient de l’un des drames les plus terribles de son histoire.
    Ce fut un drame français. Mais ce fut un drame qui nia toutes les valeurs qui fondent la France.

    Le 16 juillet 1942 commença à Paris l’une des plus grandes persécutions de notre histoire.

    13 152 juifs de France, parmi lesquels 4 000 enfants, furent traqués, arrêtés et internés au Vélodrome d’Hiver, avant d’être acheminés vers d’autres camps d’internement et d’être, finalement, déportés à Auschwitz.

    Ce furent des heures terribles, où l’on vit, au petit matin, dans les rues de Paris, policiers et gendarmes arrêter des familles entières.

    Ce furent des journées atroces, où l’on traita les hommes comme on ne traite même pas les bêtes. Pas d’eau, pas de nourriture, pas de soins. Aucune certitude, aucune réponse sur son sort et son destin. Certains, conscients de ce qui les attendaient, voulurent se suicider, tandis que les autres se répétaient, comme un dernier espoir : « Ce n’est pas possible. Nous sommes en France. Rien ne va nous arriver… ».

    Juifs de France ou juifs venus récemment d’Europe de l’Est chercher ici, dans la patrie des droits de l’Homme, l’asile et le secours : ils n’avaient commis aucun autre crime que d’être nés juifs.

    Ils n’avaient commis aucun autre crime que de porter, à leur tour, la foi et la tradition millénaire de leurs pères, l’héritage tout entier d’une civilisation qui, la première, avait proclamé à la face du monde : « Tu ne tueras point. ».

    Ils n’avaient commis aucun autre crime que de faire monter vers le Ciel, depuis des siècles, dans les synagogues françaises, des prières pour la France…

    Ils n’avaient commis aucun autre crime que d’avoir versé, vingt ans plus tôt, leur propre sang à Verdun ou à Douaumont, renouvelant dans les armes le sens du mot « fraternité ». Le 16 juillet 1942, les vétérans juifs de la Grande Guerre furent, eux aussi, conduits au Vélodrome d’Hiver, la Croix de guerre ou la Légion d’Honneur au revers de leur veston.

    Ils n’avaient commis aucun autre crime que d’être des patriotes français, se réjouissant des succès de la nation et s’affligeant de ses malheurs.

    La rafle du Vel d’Hiv, les lois scélérates de l’Etat français, la main forte prêtée par le régime de la Collaboration à la mise en œuvre de la Solution finale : tout cela reste une tache dans notre conscience nationale et une indignité dans l’histoire de notre pays.

    L’Etat français ne fit pas que se plier aux exigences de l’Occupant nazi. Il les devança et mit à leur service tout l’appareil d’Etat.

    Longtemps, on a occulté cette histoire-là. On ne voulait pas savoir. On ne voulait pas parler. Le plus souvent par honte. Mais aussi parce que les persécutions menées par l’Etat français sont une injure faite à ce qu’est la France, à son histoire, à sa nature, à sa vocation.

    Oui, comme le président de la République l’a proclamé avec force le 8 mai dernier à Colmar, l’Etat français a trahi la France.

    Il a trahi la France des Lumières et des droits de l’Homme.

    Il a trahi la France de la Révolution et de l’Empire, celle qui avait donné leur citoyenneté et leurs institutions aux juifs de France et qui devint, tout au long du XIXe siècle comme une autre Terre promise.

    Il a trahi la France des années 30, celle qui avait accueilli tant et tant de juifs persécutés en Allemagne et dans les pays de l’Europe centrale et orientale.

    Il a trahi la France de Jean Pierre-Bloch, de l’amiral Louis Kahn, celle de Marc Bloch et de Pierre Dac, la France de tous les juifs, résistants et Français libres, qui entourèrent le général de Gaulle dès les premières heures de son combat.

    Il a trahi la France des gens de peu, ces femmes et ces hommes qui portent le beau nom de « Justes parmi les nations » et qui firent tout ce qu’ils pouvaient afin de protéger et de sauver les victimes des persécutions.

    C’étaient des policiers et des gendarmes qui alertèrent des familles entières avant que ne se produisent des rafles.

    C’étaient des Français anonymes qui furent révoltés par le sort que l’Etat français faisait aux juifs et qui leur tendirent une main fragile et secourable.

    Le devoir de mémoire est, d’abord, un devoir de vérité.

    Nous devons nous souvenir de ce que fut l’Etat français et vers quel désastre la politique de collaboration a conduit notre pays. Ce fut un régime entièrement dévoué au service de l’ennemi, à son idéologie et à son racisme d’Etat.

    Nous devons nous souvenir également de ces modestes Français qui avaient gardé pour eux leur conscience et qui furent des remparts face au déferlement de la haine et de la barbarie.

    Chacun d’entre eux est un exemple de courage et d’humanité. Chacun d’entre eux nous réconcilie avec la nature humaine. Chacun d’entre eux est, dans la nuit noire de la Shoah, une lumière d’espoir.

    Nous nous souvenons des Juifs de France déportés et persécutés.

    Nous nous souvenons aussi des Tsiganes, en ce jour où nous rendons hommage à la mémoire des victimes des crimes racistes de l’Etat français.

    Il est temps que leur souvenir prenne place dans la mémoire nationale.

    Suspectés a priori de collusion avec l’ennemi, les gens du Voyage furent internés dès le mois d’avril 1940… Après l’armistice, les Tsiganes furent regroupés dans des camps disséminés sur tout le territoire national. Saliers, Montreuil-Bellay, Gurs, Septfonds ou encore Rivesaltes restent, pour tous les Tsiganes de France, des noms d’épouvante.

    Ils furent plus de 6 000 à être internés dans des conditions horribles, souvent sans hygiène et sans assez de nourriture, enfants et vieillards mourant les uns après les autres.

    Plusieurs centaines d’entre eux finirent dans les camps de concentration, déportés depuis la France ou arrêtés en Allemagne alors qu’ils y avaient été envoyés par l’Etat français au titre du Service du Travail Obligatoire.

    Nous nous souvenons de ces femmes et de ces hommes nés pour la liberté et persécutés parce qu’ils l’aimaient simplement.

    La France s’incline aujourd’hui devant leur mémoire. Elle le fait avec un profond respect et une grande douleur.

    La nation se souvient aussi, en ce soixante-dixième anniversaire, des tirailleurs sénégalais massacrés, en juin 1940, par les SS, en particulier lors de la bataille de Chasselay.

    Parce qu’ils étaient africains, parce qu’ils étaient noirs, les nazis ne laissèrent la vie sauve à aucun d’entre eux.

    Nous nous souvenons enfin de toutes les victimes du nazisme en France et en Europe. L’idéologie nazie visait principalement les juifs qu’elle vouait à l’anéantissement des êtres et à l’effacement des mémoires. Elle étendait sa haine aux Tsiganes, mais aussi aux handicapés, aux homosexuels, aux Slaves et aux Noirs, déniant à tous le droit de vivre…

    L’Etat français a servi cette idéologie-là.

    Si nous nous souvenons de ces tragédies, ce n’est pas pour nous complaire dans le malheur.

    C’est d’abord parce que nous voulons remplir ce qui est un acte sacré pour tout homme : rendre hommage aux victimes et ne pas les vouer à une deuxième mort que serait l’oubli.

    Nous nous souvenons de ces pages douloureuses de notre histoire, parce que rien n’importe plus, pour une nation, que d’honorer la vérité. On ne se réconcilie jamais durablement sur des mensonges ou des silences. Seule la vérité, aussi malheureuse soit-elle, peut véritablement fédérer et unir un peuple.

    Nous nous souvenons, enfin, de ces heures sombres, parce qu’un devoir d’humanité nous y oblige.

    La mémoire que portent les survivants n’est pas tournée vers le passé. Elle s’adresse au présent comme à l’avenir.

    Longtemps, ils se sont tus. Ils n’osaient pas parler. Auraient-ils voulu le faire que personne n’était disposé à les entendre.

    Puis, ils ont senti, en eux, monter l’irrésistible besoin de s’exprimer. Il leur fallait raconter, notamment aux plus jeunes, ce que furent ces années-là et ce qu’ils vécurent.

    Ils ont dit la déportation, les pleurs et les larmes.
    Ils ont dit les humiliations, les enfants arrachés des bras de leurs mères.
    Ils ont dit les adieux qu’on n’a jamais faits à ceux qu’on aimait.
    Ils ont dit la mort.
    Ils ont dit le sourire échangé entre déportés, ce geste où réside encore une fragile part d’humanité que rien ne peut, au final, totalement détruire.

    Il leur fallait parler. Mais il leur fallait aussi s’engager.

    Il n’y a pas eu, dans l’histoire de notre pays, de génération qui s’est donnée plus intensément que celle des anciens déportés pour agir, corps et âme, en faveur des droits de l’Homme, de la justice et de la paix en Europe…

    Chère Simone Veil, votre génération est, pour nous, un exemple.

    Vous avez traversé la plus terrible épreuve qu’un être humain puisse vivre. Mais vous n’en avez tiré aucune haine, aucun ressentiment, quand tout, pourtant, vous y invitait.

    Bien au contraire, vous nous apprenez le courage et la lucidité, la générosité du cœur et le sens de l’engagement.

    Vous nous apprenez que rien ne compte plus, dans la vie d’un homme, que de se battre, de toutes ses forces, pour la dignité humaine.

    Et ce combat-là est la plus belle réponse qu’on puisse faire au cri des victimes qui monte encore jusqu’à nous.

  8. Oui, des homosexuels furent déportés pour le seul crime d’avoir un jour pris cette orientation sexuelle. Et comme tout ce qui fut objet de persécution nazie, leur martyre est inscrit dans le Livre jusqu’au Jugement de leurs bourreaux. Il n’en reste pas moins que ce jour de commémoration du 18 juillet n’est pas un temps pour la commémoration de tous les crimes du IIIe Reich rassemblés en un bloc de témoignages et dépositions attribués de manière indistincte aux victimes de ce que le Rapport sur les camps de concentration publié en 1945 par le Service d’Information des Crimes de Guerre, énumérait sous le terme des «quatre chefs d’inculpation» illustrés comme suit :

    Racial.
    «J’ai été arrêté le 4 mai 1943 en gare de Marseille au cours d’une rafle au moment de la présentation de ma carte d’identité timbrée du tampon d’Israélite.»

    National.
    «J’ai travaillé pour la Résistance et ai été arrêté le 8 juillet 1943.»

    Religieux.
    «On ne me reprochait pas d’avoir participé à une action, mais seulement d’être aumônier du maquis, c’est-à-dire d’exercer mon sacerdoce. Je fus avisé que j’étais condamné à mort pour délit de prêtrise.»

    Politique.
    «C’est en tant que membre du Parti Communiste que j’ai été l’objet d’un mandat d’arrêt dès le mois de septembre 1940. J’ai été recherché, arrêté, condamné et finalement déporté à ce titre.»

    Passons sur le principe de réconciliation poussant l’outrecuidance à prétendre que la nation catholique fût arrêté pour obéissance religieuse en lieu de désobéissance politique. Ne nous fâchons pas devant ce communiste fendu d’un trou de mémoire germano-soviétique. Le 18 juillet n’est pas un jour pour pleurer tous les morts. Ce jour, pour la France, est celui de sa propre participation à la mise en œuvre de la Solution Finale. Tout comme l’hôtel Lutetia fut le lieu de confusion des catégories pourtant distinctes dans leur essence de la déportation liée au système concentrationnaire, le 18 juillet est en train de devenir pour nos générations, un second hôtel Lutetia.

  9. Monsieur le secrétaire d’État Hubert Falco a peut-être décidé d’ajouter son archet à l’orchestre de chambre du négationnisme feutré, ce qui le sépare encore de Faurisson ne tient plus qu’à quelques marches sur le même escalier de la cave nationale. Des millions d’entre nous sont nés il y a assez longtemps pour avoir connu des millions d’entre eux qui étaient nés il y a assez longtemps pour avoir connu ces sombres temps. Si ces hommes et ces femmes avaient été soulevés d’indignation à l’heure où il leur était intimé l’ordre de baisser la tête au risque de prendre une balle dedans, l’arrivée triomphale de ce géant de Charles aurait soulevé ces têtes dures au lieu de leur soulever le cœur. Jamais la France n’aurait eu le cœur, aussi rouge fût-il, d’éconduire en 1946 le champion du Tournoi des Dames de 1944. Jamais René Bousquet ne serait mort assassiné. Jamais Lucien Ginzburg n’aurait eu à chercher « La beauté cachée des laids des laids ». Jamais de l’Occupation, entre trois et cinq millions de lettres de délation n’auraient causé l’éruption du volcan administratif dont leur pulsion de mort avait pratiquement éteint l’inextinguible stridence de l’Appel au Secours du 18 juillet. Jamais Serge Klarsfeld, essayant d’obtenir l’extradition d’Alois Brunner, n’aurait été arrêté en Allemagne, et en Syrie, sans faire descendre dans ses millions de rues cette France à la figure de qui une honte trentenaire serait montée une deuxième fois.
    Le sixième président de la Ve République ne peut pas faire cela. Ni sciemment ni insciemment. C’est donc qu’il fait autre chose que ce qui se voit. On ne peut pas être le premier chef de l’État français biographe de Georges Mandel, et se payer la honte de pousser sous l’armoire de famille tout ce que l’on sait mieux que personne sur chacun de ses membres. Seul un choc cérébral intervenu entre les deux époques pourrait l’expliquer. Or ce choc, il eut lieu. Et son lieu est le nôtre bien plus que le sien. C’est donc de par notre choc que Sarkozy agit, en suprême représentant du Noûs, en traumatisé du 21 avril de l’an 02. Et comme on devrait s’y attendre, le choc des deux parties de l’entrechoquement qu’il ménage le plus est le plus important des deux, celui qui entraîna les lésions les plus irréversibles, j’entends évidemment le choc subi par le perdant. Les discours de Guaino nous ont donné plusieurs aperçus de cette schizophrénie entre le Sarko qui brasse dans le sens du fleuve et le Sarko qui crawle à contresens du fleuve. Le faune politique a ouvert les narines. Il flaire la psychologie de la proie. Il la sait incapable de saisir la non-relation de cause à effet entre l’état du méfait et l’essence du malfaiteur. Il sent que si elle se sent identifiée comme auteur du mal, elle se saura automatiquement mal aimée et qu’elle se retournera, vers celui ou celle qui l’innocentera. Et là, que fait le faune? Il brasse dans le sens du mal, il brasse, et crawle un coup, et il brasse en crawlant, et d’un coup, il s’aperçoit qu’il fait, depuis bientôt bien trop longtemps, de la brasse coulée.

  10. Après un tel article, on ne peut qu’attendre dimanche matin et rester vigilent.

    En espérant, une nouvelle analyse de son discours de dimanche…