« Ceci n’est pas une pipe. »
Magritte

«Emplois fictifs» disaient-ils. Et de mettre en doute sa probité. Ce n’était qu’un début. La première marche de son chemin de croix. Ils ont mis à la torture morale sa femme, puis ses enfants, et enfin toute sa famille. Ils ont cloué au pilori ses collaborateurs et ses amis. Ils l’ont suivi, pisté, traqué de jour et de nuit. Ils n’ont pas seulement saccagé sa réputation, c’est son honneur qu’ils ont jeté aux chiens.

Le public ? Il s’indigne et/ou se moque. La plupart sont indifférents aux souffrances d’un autre parce que c’est un autre, et qu’il appartient à la classe dirigeante. Heureux quand ils ne se repaissent pas de son malheur.

Les plus proches de ses amis politiques, dont certains l’ont déjà trahis et qu’il a pardonnés, attendent froidement qu’il s’effondre. Prêts sinon à le pousser vers la sortie, «avec tous les égards» dit l’un d’entre eux, peu futé. Il est comme enveloppé de malédictions : qu’il s’efface, qu’il disparaisse, qu’il soit comme s’il n’avait jamais été. Oui, jusqu’au «Mê phunai» d’Œdipe à Colone, ce vœu de «n’être pas né» que le héros articule comme un cri dans la solitude la plus radicale, dans le désespoir du mensonge qu’a été toute sa vie.

Oui, voilà ce qu’ils veulent obtenir de lui, non pas simplement un prestige terni, une candidature renoncée, une carrière arrêtée, une ambition ruinée, mais l’aveu d’un désir impossible d’annulation rétrospective. Cela nous porte dans cet «au-delà de la pulsion de mort» où seul Lacan a su entrer.

Je le dis, je l’annonce : ils ne s’arrêteront pas avant de l’avoir meurtri jusqu’au plus profond de son être. On a déjà pu entendre les premières notes encore timides d’un Boléro dont le lent crescendo sera, espèrent-ils, sa marche funèbre. C’est un rival lui lançant : «Ne jouons pas les chochottes !» C’est le magazine Closer plaçant sa photo en couverture avec la phrase : «Au lycée, on le surnommait Choupette.» C’est, la semaine dernière, le journal Libération barrant une page entière de sa rubrique «Idées» de ce gros titre : «François Fillon : « cocotte » ou « patriarche » de la République.»

Qui ne voit sur quel mot convergent ces dits ? Ce mot, lui, n’est pas dit, car il y a encore des lois dans ce pays qui punissent l’atteinte à la vie privée. Il n’est pas dit, mais il est sous-entendu, et c’est comme s’il était claironné.

En quoi ce mot serait-il une injure ? En quoi serait-il disqualifiant pour les plus hautes charges de l’Etat, pour les réalisations les plus sublimes de l’intelligence ? Alexandre le Grand ou le Grand Condé, et Alan Turing sont des noms qui viennent ici se croiser sous nos yeux. Qui voudrait nous ramener aux heures noires où l’acte réputé contre-nature était puni et rejeté dans l’illégalité ?

Au rebours du rinforzando de la calomnie, tout indique que les mœurs de M. Fillon sont irréprochables et pures. Chrétien, catholique romain — on lui a assez reproché de ne pas le cacher, comme si seule la Catholic Pride devait être honteuse — époux qui semble uxorieux comme l’était Freud, père de famille nombreuse vivant à la campagne, sa vie n’a jamais été entachée d’aucun scandale d’ordre sexuel. Il bénéficie aujourd’hui de la confiance et du soutien d’une jeunesse exigeante issue de la Manif pour tous. «Sens commun» l’entoure et le protège avec une fidélité de mamelouk. Cela dit quelque chose de l’homme.

On dira de ce que je dis : c’est un partisan exalté qui parle. Rien n’est plus faux. Il m’est arrivé jadis de chroniquer dans Le Point.fr «la guerre fratricide» Copé-Fillon qui divisa l’UMP et menaça de ravager la droite. Jean-François Copé prit la peine de me téléphoner, il m’invita à déjeuner dans les locaux de la rue de Vaugirard, un lien amical perdure entre nous en dépit de choix politiques qui sont aux antipodes.

Ayant fait la connaissance de M. Copé à l’initiative de celui-ci, je souhaitai rencontrer M. Fillon. La rédaction du Point s’entremit, en vain. J’appelais Mme Bachelot, qui me promit de faire son possible pour me décrocher un rendez-vous avec son ami. Cette tentative n’eut pas de suite.

Si néanmoins je me place aujourd’hui aux côtés de François Fillon, c’est pour une raison qui échappera toujours à ses détracteurs rivalisant de bassesses : la solidarité due à un «frère humain» (François Villon) quand on le voit risquer, endurer tout, avec un courage, une ténacité admirable, plutôt que de renoncer à son désir.

C’est un psychanalyste, élève de Lacan, qui signe ces lignes.

Paris, le 10 avril 2017

 

Postscriptum

«Quand je pense à Emmanuel Macron, écrit BHL, me viennent à l’esprit deux images. Celle de Kennedy (…) Et puis celle d’Alcibiade, l’encore plus jeune général et homme d’Etat athénien du Vsiècle dont le désir brûlait d’un feu si intense qu’il pouvait, racontait Platon, accoucher du pire comme du meilleur (…)»

Oh ! Platon en raconte bien d’autres sur Alcibiade, surtout dans Le Banquet qui est l’un des livres-clefs de cette civilisation occidentale dont les supporters les plus fervents – les Debray, les Finkielkraut, les Onfray, les Zemmour – parlent à mon gré d’une façon un petit peu étriquée et convenue.

NB : Je suppose que ces quatre n’aimeront pas trop le carré d’as que je forme avec leurs noms, et je sais bien que chacun a son style de ferveur. Moi sans ferveur, je me compte comme la carte quelconque qui fait de ce carré une main (je joue ici au poker).

Régis porte aux nues Julien Gracq, qu’il a bien connu, et vice-versa. J’en conviens : Gracq est un grand écrivain. Aimer Le Rivages des Syrtes, ce fut pour moi comme le Voyage au bout de la nuit, j’y ai mis le temps. Mais c’est fait, et j’ai toujours apprécié les essais de Gracq sur Breton et sur Bajazet.

Son «cœur intelligent» a conduit Finky à sélectionner, «se fiant à (s)on émotion», neuf titres qui méritent certainement notre admiration, je le dis de confiance.

Onfray a récemment promu la lecture d’Albert Camus, et je conviens que j’avais tort jadis, en hypokhâgne à Louis-le-Grand, de catéchiser contre Camus mon ami Robert (Linhart). Le futur créateur de l’UJCML, le futur auteur de L’Etabli, ne jurait alors que par L’homme révolté. Il y a beaucoup de choses très bien dans ce bel essai réactionnaire.

Quant à Zemmour, ayant lu sa Mélancolie française avec attention et grand intérêt, puis Le suicide français plus cursivement, je ne me fais pas une idée précise de ses goûts littéraires. C’est pourquoi j’ai demandé à mon assistante, Rose-Marie Bognar, agrégée de lettres modernes, de faire l’emplette pour moi de son dernier opus, Un quinquennat pour rien, de l’éplucher à la va-vite, et de me dire quels auteurs retiennent son cœur à lui.

Cependant, j’en sais déjà assez pour dire à titre d’hypothèse que le carré d’as a en commun le même goût littéraire, un goût qui favorise la littérature considérée, non comme une tauromachie (Leiris) mais comme un humanisme. Finkielkraut s’est récemment exprimé là-dessus, quand il reprochait à Christine Angot la manière dont elle avait abordé François Fillon sur France 2.

Que lui reprochait-il ? De ne pas souhaiter «interpeller François Fillon, mais le mettre à mort» ; de n’avoir pas de câble : «Rien ne l’arrête, rien ne la retient, elle ne connaît ni scrupule, ni inhibition» ; «elle a bafoué la décence commune» ; «elle a fait tout ce qui ne se fait pas.»

Je ne critique pas le goût qui porte Alain Finkielkraut à donner la préférence à une littérature de respect humain et de décence commune. Je dis seulement qu’il est une autre boussole qui conduit à une littérature d’indécence a-humaine, si je puis dire, depuis Rabelais jusqu’à Céline et Bataille, en passant par Sade et par Rimbaud. Sainte-Beuve est avec Finkielkraut, Proust voterait plutôt avec Angot.

Pour moi, ma postulation est double. Je reviens de Bordeaux, où il m’est venu de chanter un péan en l’honneur de Montesquieu, et j’ai adoré dès que l’école me les a mises entre les mains les cochonneries de Rabelais.

On dira que c’est affaire de goût, et que des goûts et des couleurs on ne dispute pas. Je suis sur ce point sollersien radical : il y une «guerre du goût», et je ne suis pas du même côté de la barricade que le carré d’as.

A suivre.

 

 

7 Commentaires

  1. bravo , il en faut du courage pour oser exprimer une pensée libre en ces temps de médias tout puissants et  » bien pensants  » …
    je suis de gauche mais pas de cette gauche totalitariste et sans doute voterai François Fillon cet après midi

  2. Plus que du courage plutôt du déni voire une avidité décomplexée de la « méritocratie » convainue…
    Il a même peut-être une forme de jouissif à refaire le chemin de Croix.

    • oui, mais on ne refait jamais exactement le même chemin. C’est devenu le chemin de croix de Lorraine, mon dieu, quelle horreur
      Bien cordialement

  3. Vous écrivez: « Si néanmoins je me place aujourd’hui aux côtés de François Fillon, c’est pour une raison qui échappera toujours à ses détracteurs rivalisant de bassesses : la solidarité due à un «frère humain» (François Villon) quand on le voit risquer, endurer tout, avec un courage, une ténacité admirable, plutôt que de renoncer à son désir. »

    Je ne suis ni professeur, ni sur-diplômé, ni psychologue ni psychanalyste, mais simple secrétaire dans un collège; La psychanalyse m’intéresse, et je suis également une analyse.

    Je m’interroge sur ce dernier paragraphe que vous avez écrit.
    Ne pensez-vous pas que la solidarité a malgré tout ses limites face aux mensonges et à l’hypocrisie. M. Fillon n’est point en accord avec ce qu’il énonçait et demandait au peuple français: « faites ce que je dis, pas ce que je fais! ». En gros, serrez-vous encore plus la ceinture, pendant que moi je pique dans les caisses publiques!

    « On le voit risquer, endurer tout, avec un courage, une ténacité admirable, plutôt que de renoncer à son désir. ». Plutôt que courage et ténacité afin de ne pas renoncer à son désir, ne s’agirait-il pas d’un phénomène de déni total?
    Ténacité d’accord. Courage, non! Tout son contraire à mon avis.

    Bien cordialement,

    Fabtwo l’empêché.

    • Fabtwo en ce qui me concerne ce ne sont pas les deux mots… « courage », et « ténacité », qui me dérangent ici -à la limite ils me feraient plutôt rire- que le mot… « désir », accolé à la pulsion morbide de ce peine-à-jouir.
      Quoi qu’il en soit je compte sur vous pour ne pas voter… Fillon, dimanche, si d’aventure vous allez voter.
      Bien cordialement

  4. il n’y a maintenant plus aucun doute : plus encore qu’être élève de Lacan, celui signe ces lignes a bien mérité d’être son gendre…
    Car enfin je ne trahis aucun secret de famille en rappelant que l’on se bousculait, six mois à l’avance, pour avoir avec le Maestro un rendez-vous pour une passe à laquelle au bout de cinq minutes il mettrait un terme en éconduisant l’analysé avec un mot d’insulte, non sans l’avoir préalablement délesté d’un ou plusieurs billets de cinq cent francs.
    Aussi et pour ce qui est du RAPPORT A L’ARGENT (seule chose que les psychanalystes n’acceptent pas de voir remise en cause, étant bien entendu que pour le reste, tout est négociable) : le couple Fillon-Pénélope n’est assurément pas pire que le Maestro. A ceci près qu’en toute insanité il spéculait, sur la souffrance d’êtres humains :tandis que Fillon-Pénélope s’adressent à des créatures qui « payent », pour qu’on leur mente.

  5. Cher Jacques-Alain, –REMPLACE LE TEXTE ANTERIEUR : TROP D’ERREURS.

    Pardonnez-moi cette apparente familiarité, et permettez-moi de vous dire que, pour une fois, vous ne manquez pas de courage –et dans les Régles de l’Art, encore bien.
    Mais vous refusez toujours de voir –par souci de jouer le jeu et, surtout, parce que vous refusez, à votre insu, vos origines– que le « ‘patriarche’ de la République » n’est pas en contrepoint de la ‘cocotte’, mais en posture d’équivalence dénigrante.
    Ayez donc le courage de donner un petit coup de pouce à un texte –https://laregledujeu.org/2016/02/21/27842/mise-au-point/, commentaire après le texte [commentaire qui était à l’origine une lettre ouverte à M. Bernard-Henry Lévi, qu’aucune presse n’a jamais voulu publier]– dont je suis sûr q’u’il vous a touché ou vous touchera encore, surtout depuis l’intervention américaine en Syrie : car celle-ci n’est pas le fait de Trump le baroque, qui est bien maladroit mais certainement bon père de famille, mais de la dangereuse coterie qui, par derrière lui en poussant pour le précipiter, veulent se défaire à tout jamais du nom, non pas ‘du’ mais ‘de’, père. Père qui, de ce ‘fait prépositionnel’ et comme il est suggéré dans l’article sus-cité, est bien, du moins dans nos latitudes judéo-chrétiennes, le grand-père Juif, Abraham, plutôt que le petit père qu’est Jacob, voire Isaac, dans l’inconscient de ladite coterie.

    Cela vous concerne, autant que moi, et que nous tous, et il est, je pense, en juif éclairé que vous êtes, de votre devoir, de ramener la question –que dis-je, La Question, car il n’y en a qu’une, s’agissant de grande politique– dans ses véritables coordonnées anthropologiques et qu’historiques. Pour que, pourrait-on dire, puisse ne pas s’accomplir la prophétie sur la fin de l’Histoire.
    Amicalement,
    Sixto Quesada Blanco