François Fillon incarne la droite vieux jeu, celle qui n’apprécie pas l’égalité des droits accordée aux homosexuels et qui se résigne à contre-cœur à la légalisation de l’avortement, qui n’aime pas les fonctionnaires et croit aux vertus de l’ultra-libéralisme reagano-thatchérien, la droite catholique propre sur elle et bien peignée comme on l’apprécie dans certains beaux quartiers et chez les notables de province.

Mais il incarne aussi cette droite nouvelle, si proche de la Nouvelle Droite, qui admire l’homme à poigne anti-occidental régnant sur la Russie. Grâce au député de Paris, l’internationale Poutine-friendly vient de renforcer sa section française. Cette dernière comptait déjà une figure de poids en la personne de Marine Le Pen, elle avait ses nombreuses cellules réparties dans la fachosphère et la gauche souverainiste, de Mélenchon au chevènementiste Faudot ; avec Fillon, cette internationale dispose dorénavant d’une personnalité aux allures de vertueux père de famille, autrement plus policée que Donald Trump, le grand poutiniste américain devant l’Eternel.

Il est plus que vraisemblable que l’ancien Premier ministre de Sarkozy devienne, à la suite du deuxième tour des primaires, le candidat de la droite aux présidentielles. Et, sauf surprise de dernière minute – mais ne doit-on pas désormais s’attendre à des mouvements imprévisibles du corps électoral ? –, les deux aspirants, de droite et d’extrême droite, les mieux placés pour accéder à la présidence de la République en 2017 seront deux amis du chef de l’Etat russe.

Ainsi donc se dessine lentement mais trop sûrement une inquiétante configuration politique de fond : l’émergence à l’échelle internationale de forces visant à miner ce qui constitue le socle géographique où sont enracinés les principes démocratiques, ce socle étant le monde occidental actuel, issu tout à la fois de la défaite nazie, de la modernité apparue dans les années soixante et, enfin, de la chute du Mur de Berlin. En d’autres termes, ce sont les acquis anti-totalitaires appuyés sur les droits de l’homme qui sont désormais menacés dans les pays mêmes qui en étaient, tant bien que mal, les seuls garants. La Moldavie et la Bulgarie viennent chacune d’élire un chef d’Etat poutino-compatible. Après le Brexit, l’incendie de la maison Europe se propage.

Les puissances démocratiques occidentales sont la cible de fous furieux islamistes convertis au jihad et haïssant tout ce qu’elles représentent. Voilà qu’elles croient faire face à ces monstres en se tournant vers des figures prônant tout à la fois un patriotisme étriqué et chauvin quand il n’est pas carrément xénophobe, une politique économique brutale qui, au nom d’un « peuple » imaginaire, encourage l’égoïsme national, une vision archaïque des mœurs où la conception la plus traditionnelle pour ne pas dire traditionaliste de la famille voudrait annuler toutes les conquêtes en matière de droits nouveaux.

Il y a quelques jours, François Fillon a réaffirmé son intention de vouloir réformer la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) afin, a-t-il expliqué « qu’elle ne puisse pas intervenir sur des sujets qui sont des sujets essentiels, fondamentaux pour des sociétés». Il n’a pas apprécié, en effet, que la CEDH condamne la France en 2014 et en juillet dernier, pour avoir refusé de reconnaître des enfants nés de mères porteuses à l’étranger. Au cas où la réforme qu’il souhaite serait impossible, il envisage que la France quitte la CEDH. L’ultra-conservateur Premier ministre hongrois Orban – un autre admirateur de Poutine – ne dirait pas mieux.

Il a fallu du temps pour que notre société se sécularise. Mais elle se trouve aujourd’hui dans le collimateur d’une accumulation de bigots de tous bords. Islamistes et cathos-nationalistes, qu’ils se nomment Tariq Ramadan ou Christine Boutin, qu’ils soient des agités d’extrême droite façon Soral ou des messieurs bien tranquilles comme Fillon, les uns et les autres tentent de démolir la modernité sociétale grâce à laquelle il fait meilleur vivre dans les démocraties libérales, en dépit de leurs défauts et faiblesses, que dans n’importe quelle autre partie du monde. Et notamment en Russie poutinienne.

Laissons aux stratèges du Café du Commerce les vains calculs sur celui qui serait le-meilleur-candidat-de-la-droite-pour-battre-Marine-Le-Pen. Alain Juppé est impardonnable pour son déni du rôle de la France dans le génocide des Tutsis et pour ses positions plus que douteuses sur le génocide des Arméniens ; François Fillon est inacceptable pour sa volonté de rapprochement avec Poutine. C’est à la gauche de trouver un candidat capable de stopper la machine infernale qui a entrepris de disloquer l’Europe démocratique.

3 Commentaires

  1. On ne peut pas, dans la même phrase, déplorer le recul d’Obama face à la ligne rouge franchie par Bachar le Chimique et se féliciter de la réussite diplomatique de l’accord de Vienne quand le salut du Boucher de Damas était la condition officieuse du renoncement officiel de l’Iran au programme nucléaire militaire. Le président du Conseil constitutionnel cherche sans doute à nous dire que le départ de l’assassin avait été négocié. D’accord, mais, dans ce cas, on procède à l’échange sur un no-man’s land, avec fusils pointés de part et d’autre du pont à deux voies que représente l’acommunauté internationale que nous chérissons tant. Et puis, pas de visite d’État de Rohani à Paris avant qu’Assad et son régime n’aient posé à La Haye le socle de leur statue branlante. Évidemment, en s’y prenant de la sorte, on bloque tout et, surtout, on fournit à l’ennemi l’argument rêvé en devenant soi-même le responsable de l’échec des négociations qu’il souhaite faire capoter. Les petits présidents des ex-empires assyrien, arabe, perse, ottoman, russoviétique sont aussi déjantés que pourrait l’être un président Zemmour égaré entre son identification syndromatique avec le destructeur du dernier Temple et sa fascination pour la tentative, avortée par Napoléon Ier, de reconstituer l’empire romain à partir du donjon où aurait été séquestrée la Fille ainée de l’Église. On ne peut pas concevoir la diplomatie de la même façon avec Habyarimana et avec Obama. On n’accorde pas un milligramme de confiance aux rédacteurs d’une liste noire sur laquelle figurent un penseur universaliste ou le président d’un groupe parlementaire d’une des plus puissantes démocraties de la planète. On se méfie d’un homme qui menace de rayer Israël de la carte en représailles à tout ce qui constituerait un obstacle à la restauration de son empire déchu, à commencer par l’indépendance de ces métaprovinces impériales actuellement dirigées par une poignée de vassaux sanguinaires moult fois pris en flag. On s’en méfie d’autant plus qu’il apparaît assez paradoxal de se poser en allié de la Reconquista islamica tout en projetant jusqu’à la planifier la destruction de la Terre sainte. Un tout petit morceau de terre, quand on y pense… Pas grand-chose dans l’esprit de conquête d’un ex-matérialiste dont le sommeil de plomb n’est jamais perturbé par le murmure des ciels.

    • P.-S. : Dans la perspective d’une confrontation des bilans avec Sarkofillon, la gauche campe sur la défensive. Pourquoi lui demanderais-je de pardonner mon offensive quand elle devrait s’attacher exclusivement à bétonner son bilan?

    • P.-S. du P.-S. : L’erreur, pour un Président réformiste, serait de s’arrêter à mi-parcours, mû par le seul objectif de signifier aux sinistrés de la République la perfection de leur État. Bien sûr, l’opposition ne manquera pas de tenir pour uniques responsables des misères collectives et sélectives ceux qui sont aux affaires depuis mai 2012. Certains dirons que c’est de bonne guerre, je préfèrerais, pour ma part, que chacun assume ses choix et prenne sa part dans un combat politique d’envergure internationale. S’enferrer dans le déni de réalité ne nous aidera pas à redresser la barre de la mondialisation, cap sur l’État de droit universel! chose qu’on ne réalise pas d’un coup de quinquennat. S’il reste encore beaucoup sinon tout à faire, c’est donc qu’ici et là, mais aussi là, et puis là et, oh non! pas là? eh oui, un dysfonctionnement se déclare, et nous requiert plus loin, à condition que nous ayons l’humilité de retourner la terre dans le jardin des idées si toute notre candeur ne nous assure plus de la prospérité, fille/mère de l’optimisme.