Un ring de catch. Deux monstres font mine de s’entretuer. Surgit un autre animal, en costume lui, il s’en prend à celui, habillé également, que l’on voyait hurler en direction des catcheurs. Difficile de comprendre ce qu’il se passe mais le spectacle donne la nausée : Donald Trump contre le Président de la Fédération Mondiale de Catch, l’un et l’autre apparemment excités par le combat qui s’est tenu sur le ring. Le milliardaire, très théâtralement, roue alors l’autre businessman de coups et peu importe à la vérité que ces coups soient vrais ou non : nous avons là une démonstration rituelle de bestialité, c’est une certaine Amérique qui se contemple en ces amas répugnants de muscle et de graisse, une Amérique née dans la violence et le refus de la loi. Voilà une scène de saloon dont on pourrait rire si le vainqueur de cette empoignade n’était pas aussi, depuis mardi, le président élu des Etats-Unis. Aujourd’hui, les démons sont lâchés. Donald Trump élu, c’est l’Amérique de Jefferson et de Benjamin Franklin, l’Amérique de Lincoln et de Roosevelt détrônée par celle de Liberty Valance.

On aurait tort cependant de penser que Trump suffise à plonger le monde dans le chaos : le 13 novembre, dans le genre chaos, n’était pas mal non plus. Et vous m’accorderez que le 11 septembre, le génocide syrien ou les crimes de masse de Boko Haram, n’auront pas été des événements de la plus grande tranquillité. En revanche, il est désormais certain que la barbarie islamiste, qui voudrait anéantir tout ce en quoi nous croyons, s’est trouvé, à la tête de la plus grande démocratie du monde, une sorte d’allié inattendu : la voie du pluralisme, de la concertation, du libre examen, la voie de l’humanisme et de la délicatesse (tant pis pour les rires gras qui accueilleraient ce terme), la voie de la raide joute chère à Montaigne, joute de mots et d’idées, non d’éructations, non de coups, cette voie se dérobe à nous. Nous disions : Ni Daech, ni Poutine. Mais mardi, c’est Poutine qui a gagné. Et avec lui, le fantôme de notre propre violence s’est réveillé : Gog et Magog, horde contre horde. Si nous ne les rencontrons pas pour la première fois, les forces du chaos sont désormais bel et bien au complet.

Trump a, des mois durant, craché son mépris des valeurs démocratiques : il sera le successeur de Barack Obama à la tête des Etats-Unis et du monde. Dans le pays de l’honnêteté et du devoir, il a déclaré que ne pas payer ses impôts était la preuve de son intelligence. Dans une contrée d’immigrés, il a, du fait de son origine, contesté la capacité d’un juge à exercer son métier et, à cause de sa foi, a publiquement humilié la famille d’un soldat mort au combat, mort pour l’Amérique. Cet homme en a appelé à l’ennemi de son pays et du monde libre, au président russe, contre sa rivale malheureuse : du jamais vu, peut-être, depuis les Guerres Médiques. Tout au long de la campagne, ses seuls arguments furent l’exhibition d’une brutalité contraire, non seulement au « politiquement correct », mais encore à l’idée même de politique – et pourtant non, rien de tout cela ne l’a empêché de vaincre.

Personne ou presque ne l’avait vu venir. J’écrivais il y a quelques semaines, répétant les paroles d’à peu près tous les experts, que Clinton gagnerait et que cette victoire, étant donné le piètre niveau de la campagne, si elle était une nécessité, aurait tout de même un goût amer ; elle a perdu et nul ne sait ce qui nous attend. Une chose seulement nous apparaît désormais évidente : après le Brexit, après Trump, on ne voit pas trop comment la France pourrait échapper à cette vague de virilisme autoritaire. Le New York Times, dans un exercice pénitentiel qui honore toute la presse mais que l’on voit rarement et notoirement peu chez nous, a publié sous la plume de Jim Rutenberg une sorte de Mea culpa où l’on peut lire ces mots : Election 2016, thy name is Brexit. Le journal de la gauche new-yorkaise avait brillé par sa phénoménale incompréhension de la situation : contrairement à la pique de Clinton, Trump, on peut au moins le féliciter de ça, ne vivait pas dans un monde irréel, il percevait au contraire très bien ce qui se passait depuis des années, des décennies peut-être, dans son pays ; ses adversaires, eux, s’étaient bel et bien bâti un monde de conte de fées.

La violence blanche, la brutalité occidentale se réveille donc. Le ressentiment de tous les Jason Compson s’est donné mardi libre cours : ensauvagement. Durant ces mois de campagne, Obama était à nouveau le « nègre » de l’Amérique, on a craché sur les Juifs (l’histoire jugera la complaisance de Netanyahou, petit roquet provincial ayant à nouveau prouvé qu’il était le plus déplorable leader du monde libre, le plus vulgaire et le plus dépourvu de vision : l’histoire jugera les Netanyahou et les Sheldon Adelson, mais l’honneur de la communauté juive américaine est heureusement sauf), on a moqué les homosexuels, on a vomi son mépris du sexe féminin.

Mais attention : Never send to know for whom the bell tolls ; it tolls for thee. La victoire de Trump nous concerne, l’Amérique de Trump, c’est aussi quelque peu notre France. Il faudra s’atteler à comprendre ce qui s’est passé, à comprendre où les médias ont fauté et en quoi la candidate démocrate ne convenait pas aux enjeux, si nous ne voulons pas vivre la même chose en mai prochain. Cette élection était imperdable, elle a pourtant été perdue et on ne peut se contenter de mépriser les citoyens, sauf à dire clairement, ce serait à la rigueur cohérent, qu’on ne croit pas au suffrage universel.

La pauvreté des débats lors des « primaires » de la droite, l’enthousiasme puéril avec lequel les journalistes et les politiciens en présence ont préféré causer politique politicienne que vision et valeurs (qui s’intéresse donc aux alliances de la droite et du parti de Bayrou ? pourquoi nous infliger, sourire en coin, cette cuisine ?!), tout cela laisse augurer du pire pour nous. Si notre élite médiatique et politique ne veut pas d’une semblable catastrophe, elle va devoir sortir, comme on dit vulgairement, de sa petite bulle, et en sortir fissa.

Que veut le peuple ? Ca n’est pas si compliqué, je crois : il veut l’ordre, il faut le lui donner tout en n’hésitant pas à rappeler qu’ordre sans justice n’est que brutalité ; il veut la sécurité, et il a raison : notre prochain président devra la promettre et surtout l’assurer une fois élu, pour tous, mais sans la liberté, la sécurité, premier de tous les droits, n’est que tyrannie. Je crois surtout qu’il veut autre chose. Le vieux logiciel de la lutte des classes (« Mon ennemi, c’est le monde de la finance ») est à jeter aux ordures, surtout si l’on n’y croit pas. L’alternative entre l’unique recours à la puissance de l’Etat et le désengagement, tout autant. Finie donc, la politique à la papa : que l’on se creuse les méninges pour proposer à la France de 2017 un débat digne d’elle et de ses aspirations. L’Amérique, hélas, n’y a pas eu droit.

Est-ce à dire que le camp libéral ne pourra plus jamais gagner qu’en se trahissant ? Certes non. Désengorgez les quartiers, soyez ambitieux pour vos villes, prenez-vous-en à l’injustice environnementale, à la laideur qui déprime et qui tue, éduquez sans relâche et surtout sans démagogie : vous aurez l’ordre et les lumières, vous aurez peut-être, à nouveau, un monde – et c’est de cela que notre Occident de plastique, notre Occident de malls et de pavillons de banlieue, je crois, rêve aujourd’hui.

On ne veut pas d’aumônes, on veut la dignité. On ne veut pas la grève de l’enthousiasme, on veut s’évader. Le peuple vous déplaît, pusillanimes élites ? La vulgarité des masses vous offusque ? Je ne la crois en tout cas guère plus haïssable si celles-ci sont « blanches ». Le ressentiment, le désespoir, voilà des maux qu’il est aussi de votre responsabilité de soigner. « Il n’y a pas de mondialisation heureuse ou naïve, et je comprends les inquiétudes des ouvriers et des employés », a dit le Premier Ministre Manuel Valls après la victoire de Trump. Et c’est aussi pourquoi, en un geste si profondément américain, Bernie Sanders a offert de travailler avec le nouveau président tout en dénonçant le ciblage des minorités. Comprendre les causes tout en combattant les effets, c’est le prix auquel cet autoritarisme identitaire venu de Russie et désormais ancré en Amérique également, peut ne pas l’emporter chez nous. Le prix, peut-être, auquel nous empêcherons la bête de triompher tout à fait.

 

5 Commentaires

  1. L’auteur pourrait-il nous nommer un président/chef/Tsar de Russie qui n’ait pas été autoritaire ?…

  2. Trump a seulement posé la bonne question « Voulez vous redevenir une nation dont tout les américains profitent ou voulez vous rester le bras armé d’un empire

    dont les 1% se gobergent et qui met à feu et à sang le monde et qui est en train de préparer une guerre thermonucléaire avec la Russie ?.

    La pseudo gauche démocrate à perdu car elle a soutenu et même dans la tricherie Hillary Clinton contre Bernie Sanders (qui aurait pu être le premier président juif

    des USA).

    Je ne vois pas en quoi cette élection favorise la barbarie islamiste, cela va être un coup fatal à Daesh qui était aidé par la précédente administration.

    13% des américains sont en état d’insécurité alimentaire (ils crèvent la dalle en bon Français), la mortalité infantile de certains états est proche du Bangladesh.

    Quand à l’autoritaire Russie, ils ne fallait peut être pas encenser les oligarques dépeceurs de la Russie pendant l »ère Eltsine (58 ans l’âge moyen de mortalité), Poutine engagé par Eltsine pour sécuriser la déprédation de ces ordures a regardé ses chaussures pendant 10 ans, quand il a pris le pouvoir, il a redressé le pays et il a fait inverser les courbes des naissances et de la mortalité.

    Désolé les nation se réveillent et seul la nation nous protège, pas l’empire.

    En vous souhaitant une bonne journée

  3. Élections : Guerre ou Paix ?

    Haineuse envers les Russes, elle est éliminée,
    par le grand Peuple Américain au bon sens inné.

  4. L’espoir ne doit pas nous abandonner. Chacun, à sa petite place, peut encore agir pour éviter que la haine ne prenne le pas aussi chez nous.
    Il est en train de se passer aussi de très belles choses ici et ailleurs, qui émanent du peuple ( cf documentaire Demain)
    Jacques Attali fait un travail remarquable avec positive economy, Alexandre Jardin avec ses zèbres et la maison du citoyen.
    Le peuple désire un emploi et être heureux, comme tous les individus sur terre. La France, si nous en avons le temps, peut être à nouveau un modèle pour le monde, le modèle d’une société plus juste, nous pouvons compter sur elle sur ce sujet, elle s’est déjà distinguée en ce sens par le passé.
    Comme je l’ai dit dans un précédent commentaire, serrons nous les coudes, faisons nous confiance, et montrons au monde que la colère peut se transformer en énergie positive.

  5. Il faut jeter le logiciel de « Lutte des classes »…
    Alors que 5% de la population americaine possède 85% des richesses du pays, et qu’Hillary se réchauffe parmi les 5%, qui eux même la soutiennent, et qu’elle traite une bonne part des 95% de « lamentables »…
    Quelque chose me dit que votre recherche des causes va être longue.
    Warren Buffet est bien plus lucide lui, et il a fait le diagnostic il y a longtemps.