De Paris, ce mardi 20 janvier 2015, 23h
The Massacre at Paris ! Titre de Christopher Marlowe. L’anglais doit le mot au français. Cocorico ! Il y est attesté de 1580. La Saint Barthélémy est de 1572. C’est le sujet de la pièce. Chéreau jadis l’avait mise en scène, j’avais fait le voyage de Lyon, c’était superbe, je revois encore les hauts décors hybrides de Richard Peduzzi (un ami), mêlant la révolution industrielle à la Renaissance.
Le récent massacre à Paris fait caqueter le monde entier. A l’époque de Lacan, « le discours universel », comme il l’appelait, était tenu pour une abstraction, ou un postulat, ou une sorte d’idée régulatrice. Eh bien, de virtuel qu’il était, ce discours devient sous nos yeux actuel, et même actualité. Et là, que dit-il ? Nous sommes très loin de ce « royaume des fins » conçu par Kant, où conflueraient toutes les bonnes volontés. La fameuse « voix de la raison » qui selon Freud finirait toujours par se faire entendre — c’est l’acte de foi des Lumières— on peine à percevoir son murmure dans le vacarme ambiant. Je veux bien que le philosophe trouve dans la lecture du journal sa prière du matin, mais le clinicien, lui, doit constater que Clio est un personnage en quête d’auteur, et qu’elle souffre de la maladie des personnalités multiples.
La présente affaire est une embrouille. Terrorisme, islam, islamisme, islamophobie, mort aux Juifs, liberté d’expression, liberté de pensée, droit au blasphème, respect des religions, laïcité, choc des civilisations, suicide français, volonté divine, volonté de puissance, valeurs républicaines, droits de l’Homme ou de l’Oumma… les opinions tirent à hue et à dia. Je ne rencontre même personne qui se dise complétement d’accord avec soi-même. Quel méli-mélo ! Quelle cacophonie ! Et même, quel f…oir ! On se croirait dans le moment « bagarre au saloon » d’un Western à l’ancienne.
Les émeutes en terre d’Islam étaient attendues. Quelques morts de ci, de là. On est résigné. Personne ne compte plus. Mais surprise, voilà Sa Sainteté le Pape, pourtant à jeun, qui menace tout à trac, avec son faux air de Fernandel, de « mettre un marron » à un pote, comme on dit dans Courteline, si le malheureux, qui n’y songe pas, venait à manquer de respect à sa mère. C’était pour rire, bien entendu, pour se faire comprendre. Très latin, ça, l’appel à la mère pour signifier l’intouchable. On le rencontre aussi chez Albert Camus.
Et pour couronner le tout, la transfiguration de Charlie, journal de merde, en symbole de l’Esprit du Monde (Weltgeist de Hegel), voir de l’Esprit Saint. Quand les Juifs laissés à eux-mêmes adorèrent le Veau d’or, ce n’était déjà pas brillant, pour un peuple élu. Voilà maintenant la moitié de l’humanité dévote d’une manière d’Etron sacré. « Allô ? Non mais… allô quoi ? » Est-ce un opéra-bouffe ? un épisode de Pantagruel ? de Signé Furax ? des Monty Python ? ou tout simplement un tour que nous joue le Prince des Ténèbres ? Qui agence, qui scénarise tout ça ? Sade ? Satan ? Sollers ? Si c’est la Providence, alors c’est que Dieu est Charlie !
Je notais il y a quelques jours que la couv au Mahomet larmoyant laissait présager la défaite de la ligne pulsionnelle, et amorçait un tournant sublimatoire. Aujourd’hui, nous y sommes. Autour des cercueils, ça sublime à pleins tuyaux ça idéalise, ça esthétise à mort. Voyez la couverture de Elle. La colombe de la paix tient en son bec, à la place du rameau d’olivier, un crayon (« Et mon cul, c’est du nougat ? »). La paupière baissée, l’oiseau blanc sans regard est tout à son vol (« Chie ta fiente ! »). Il s’enlève sur un fond bleu clair, immaculé (« SOS, Gros Dégueulasse ! »).
On pétitionne pour l’entrée des défunts au Panthéon. Par esprit de surenchère, Arrabal réclame pour eux le Prix Nobel. On attend maintenant les manifestants Place Saint-Pierre qui scanderont « Wolinski, Santo subito ! ». Il se dit qu’un astéroïde demain sera baptisé du nom de Charlie, lequel, fauché sur la Terre, renaîtrait ainsi « dans le champ des étoiles » (Victor Hugo) — et peut-être même des stars, si Hollywood ne cède pas aux djihadistes.
Rien n’illustre mieux le tournant sublimatoire de Charlie que le récit qu’on a pu lire il y a trois jours dans Le Journal du dimanche. La veuve de Wolinski, la belle Maryse, a pénétré dans son bureau. « La pièce était nimbée d’une douce pénombre. » Elle a repéré, « scotché au mur », ce dessin. Elle en a fait « le dernier dessin de Wolinski. »
A suivre
« Wolinski, Santo subito ! »
par Jacques-Alain Miller
22 janvier 2015
Le tournant sublimatoire de Charlie.
Si notre attachement au principe de rédemption nous interdit de condamner d’avance le barbare des Lumières, il nous oblige à proscrire en bloc l’état de barbarie. Ainsi, lorsque je dis que je mets «le barbare», il faudrait mettre «la figure du barbare» au ban de la civilisation universaliste. Celle-ci comprend tout système de valeurs qui ne serait pas soluble dans le méta-État antitotalitaire. Le multiculturalisme est aujourd’hui l’un des remparts les plus efficaces contre le communautarisme, lequel est une démultiplication du nationalisme au cœur de la nation multiethnique. Il est donc nécessaire de bannir des sociétés multiculturelles les idéologies qui, non seulement, véhiculent des valeurs hostiles à l’État de droit mais, qui plus est, se fondent sur le socle même de l’inhumanité : l’insensibilité à l’existence d’autrui.
C’est un vrai régale vous lire, salutaire en ce moment d’idolâtrie débridée. Je les aime les psys quand ils déploient ce merveilleux outil dont ils ont cure. Cassez l’idole, bon gens, quel qui soit, mais préservez l’humain qui le porte, voilà une leçon si difficile à retenir. Voilà ce que les Pogidas, entre autres, n’ont pas compris et pire auront du mal à le faire. Ils défilent à Dresde et Leipzig armés d’une torche à lumière led pour éclairer les esprits qu’ils voient partout soumis, et rejeter avec l’obscurantisme tout ce qui n’est pas clair, peau et origine incluses.
Difficile universalisme, ils t’ont pris au mieux pour une green card et au pire pour une migration clandestine sur les fertiles terres européennes.
Ne confondons donc pas l’esprit des Lumières avec cette universalité de mouvement, qui contrôlée et même limitée n’en lève en rien sa généralité et sa force.
Complètement d’accord !!
Des mots qui font du bien, ne serait-ce parce qu’ils remuent l’ordre des discours qui nous tombent dessus en avalanche depuis 15 jours…
Il n’y a pas que les réactions IRL qui virent au ridicule, qu’elles soient massives ou individuelles.
Il y a surtout ce ras-de-marée de mots, d’articles, de post, de commentaires, de discours, d’échos qui se répètent à l’infini dans le même, pour dire quoi au juste? La liberté d’expression s’auto-proclamant dans un mouvement masturbatoire ayant toujours pour but la satisfaction de soi par soi-même, un ego éternellement réélu au concours de la plus belle des personne.
Puisque vous m’y incitez, je vais tenter d’effectuer devant vous une palpation de sécurité, sur mes propres méninges s’entend. Pour des raisons qui hérissent mon pelage déicide, je me souviens avoir brièvement hésité à employer une expression puant le bannissement à propos des djihadistes dont je n’ignore pas qu’une partie de la banlieue s’identifie à eux comme à la racaille, dans l’acception sarkozienne du terme, laquelle canaille ne laissera jamais personne lui reprendre le titre de noblesse que lui a conféré le fan club de Tony Montana. Mon surmoi m’aura joué des tours en choisissant pour moi de mettre les Ultimi Barbarorum, non pas au ban de la société, mais sur le banc de touche de la dernière des civilisations, à l’endroit même où ledit grand remplaçant sera tenu d’observer les sanctions prononcées par l’arbitre à l’encontre de ses coéquipiers, avant d’être poussé à son tour sur le terrain des droits de l’homme, pénétré de la règle de l’art. J’évoquais récemment la création de centres de désendoctrinement destinés à réinsérer les victimes du lavage de cerveau islamiste. Il n’est pas impossible que, parmi les mille personnes se disant folles d’Allah recensées par le Premier ministre, un pourcentage d’entre elles ne soient pas tout à fait perdues pour la cité des frères Wolinski et Cabu, ceci, évidemment, à condition que nous comptions parmi elles le futur coupeur de têtes Abou Abdallah Al-Faransi et agissions en conscience de ce que fut sa conversion catastrophique. L’idée d’une vidéosurveillance temporaire dans les 60 classes initialement dénombrées par le ministère de l’Éducation nationale est aussi une façon de faire ressortir l’obligation de répondre avec intelligence au système d’hyposurveillance islamokagébiste instauré dans les 200 classes où l’extermination des blasphémateurs fut applaudie + x classes où, comme le soulignait justement le Citoyen Boutih, de pareils incidents n’ont jamais été signalés. Je mets en perspective cette réflexion avec la promesse, faite par le Citoyen Hollande en Sorbonne, que ne resterait plus impuni le serment d’allégeance implicitement prêté à l’État islamique, dès lors que la signalisation d’un tel acte remonterait jusqu’à lui.