Avec la sortie d’un nouveau film, un coffret dvd ainsi qu’une rétrospective à Paris et une intégrale à  Strasbourg, la France met à l’honneur Werner Herzog en cette fin d’année. Le cinéaste bavarois, adulé et contemplateur du désastre, ayant élu domicile aux abords de Hollywood, a exploré tous les continents et épuisé tous les décors. De la jungle amazonienne au désert, il n’a de cesse de déplacer sa caméra sous toutes les latitudes, et surtout là où le danger pointe. Le réalisateur casse-cou provoque autant l’admiration que l’exaspération. Et ce n’est pas avec le diptyque sorti en salles mercredi, sobrement intitulé Les Ascensions de Werner Herzog, que ces accusations s’atténueront.
C’est donc avec un film composé de deux documentaires inédits en France que l’on redécouvre un Werner Herzog des années 1970-80. D’un côté, La Soufrière : un documentaire tourné en 1976, au plus près du volcan de Guadeloupe, alors qu’une éruption s’annonce. La ville est totalement désertée, la population évacuée. Ne restent que des chiens errants et des cadavres d’animaux qui pourrissent sur les trottoirs. Werner Herzog part à la rencontre des deux seuls hommes qui ont décidé, ou se sont résignés, à rester sur l’île, dans leur demeure à flanc de montagne, et rapporte des propos d’une simplicité désarmante. Sous cette menace, les deux hommes attendent l’issue dans le plus grand calme. Pour eux, la fuite est inenvisageable, ils ont accepté une mort imminente à laquelle ils ne peuvent rien changer.
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Dans le deuxième documentaire, Gasherbrum, la Montagne lumineuse, le cinéaste accompagne les deux alpinistes Reinhold Messner et Hans Kammerlander, dans un projet insensé d’ascension de deux sommets de l’Himalaya culminant à 8000 mètres, d’une seule traite, sans radio ni oxygène, exploit jamais réalisé jusqu’alors. Au coeur des pics enneigés, Messner, ayant perdu son frère lors d’une de ses expéditions, expose un discours lucide sur la nécessité de constamment repousser ses limites en se lançant dans des ascensions toujours plus risquées, dont l’accomplissement se montre de moins en moins certain.
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Les deux documents présentent ainsi des personnages qui côtoient la mort. Renforcé par des paroles directes et les images d’une nature hors norme, un rapport quasi-primitif à la survie se fait jour. En témoin des dernières traces de l’humanité, Werner Herzog s’interroge, en écho à l’ensemble de son œuvre, sur la place de l’homme dans le monde. Le choix de ressortir ces deux documentaires marque une continuité avec les derniers travaux du réalisateur, Into the abyss, une enquête sur le couloir de la mort aux Etats-Unis, et la mini-série On Death Row, sur la même thématique. Dans Les Ascensions, à nouveau, Werner Herzog affiche sa volonté de « rencontrer quelqu’un qui a une attitude différente devant la mort. »
A ceux qui lui reprochent de tout bonnement jouer avec la mort, Werner Herzog rétorque que, selon lui, aucun risque inutile n’est pris : « Pas une seconde nous n’avons voulu faire les malins ou prendre des risques inconsidérés. (…) Dès que nous avons eu fini de filmer, nous nous sommes enfuis hors de la zone de danger aussi vite que possible. »  Cette inclination pour des projets à risques résulte d’une irrépressible curiosité, et il explique simplement : « Parfois, c’est important de faire un film. » Oscillant entre un grand pragmatisme et une certaine mégalomanie (« J’ai inventé le cinéma », a-t-il déclaré en étouffant un éclat de rire lors de son passage à la Cinémathèque française pour présenter son film), le réalisateur repousse d’un revers de main toute tentative de projection philosophique ou métaphysique sur ses travaux. Pourtant, une aura quasi-mystique émane des discours des protagonistes des Ascensions, tant ils font preuve de sérénité face à la mort, évoquant le dessein de forces supérieures dépassant leur simple volonté. En explorant ces « deux montagnes minées », ce n’est pas une mise en scène de l’aventurier que Werner Herzog dresse, mais une fascinante mythologie de l’exploit menant à l’extase.

Informations complémentaires
les-ascensions-de-werner-herzog-afficheLes Ascensions de Werner Herzog, réalisé par Werner Herzog, sorti le 3 décembre 2014
Coffret DVD Werner Herzog, Volume 1 (1962-1974), co-édition Potemkine Films, agnès b. DVD
Werner Herzog, l’intégrale, du 6 novembre 2014 au 15 janvier 2015, à Strasbourg
Rétrospective Werner Herzog, au cinéma Le Grand Action, à Paris 5e.