Les mondes nouveaux de la biologie [1] fascinent le néophyte, l’historien, quiconque est curieux d’apprendre à travers l’histoire des cellules, des gènes, autrement dit de la biologie sous toutes ses formes, d’où nous venons et vers où nous nous dirigeons. François Gros, l’un de nos plus éminents biologistes, professeur honoraire au Collège de France, Secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie des Sciences, a le souci de montrer au non-biologiste que l’histoire du monde est d’abord l’histoire de la biologie, bien avant toutes les histoires. Il nous invite tout au long des cent premières pages de son livre à redécouvrir et surtout à approfondir nos notions lacunaires le plus souvent en biologie, génômique, cybernétique cellulaire, biodiversité. Ce n’est qu’au chapitre VI que l’homme apparaît : « De la génomique à la paléoanthropologie».

Il nous démontre que, sans la génétique, il serait utopique de vouloir établir « les multiples filiations » depuis l’apparition des premières molécules jusqu’à l’homme. Le plus extraordinaire est que rien n’est arrivé tout à fait au hasard, comme s’il y avait depuis le premier jour, un cycle ou plutôt une direction constitutive de l’apparition de l’homme. Le jour où Watson et Crick découvrent la double hélice d’ADN, marque une véritable révolution dans l’ordre de la biologie moléculaire, du Vivant devrions-nous dire. L’autre moment capital est le « déchiffrage du code génétique de l’ADN, l’élucidation des mécanismes de réplication (c’est-à-dire de reproduction d’un ADN en double hélice à chaque division cellulaire) », puis la découverte de l’ARN (p. 34-42). Nous sommes à la fin des années 1950.

Certaines des grandes questions que (se) posent les scientifiques en ce début de siècle, concernent d’une part « la localisation des premières formes de vie sur la planète Terre, en termes de milieu géographique (…) et, d’autre part, la nature des sources d’énergie nécessaires aux premières synthèses ». Autant de questions premières, aux fondements de la science, de la recherche fondamentale, qui ont longtemps fait peur aux théologiens, aux philosophes aussi sans doute, enfoncés jusqu’au cou dans les questions ontologiques, et que laissaient trop souvent froids et ignorants de la grande histoire de la biologique.

La biodiversité a bénéficié des avancées géantes de la biologie. Voici sept ans, plus de 60 millions de paires de bases avaient été séquencées. A partir de là, François Gros en arrive à des questions majeures : « Comment expliquer que le nombre absolu des gènes véritables varie si peu au cours de l’évolution lorsque l’on passe du domaine des bactéries à celui des eucaryotes[2] et, au sein de ces derniers, de la levure à l’homme ? Comment expliquer que l’homme soit ce qu’il est avec si peu de gènes ? » (85). C’est qu’il suffit d’un « petit nombre de gènes régulateurs » pour que l’homme développe parole et langage simultanément. Ces mêmes analyses confondantes nous assurent que le nombre de gènes est « à peu près le même chez la souris et chez l’homme » et « pratiquement identique » entre le chimpanzé et nous.

De quoi rendre l’humain plus humble, lui qui se prend pour le phénix de la Création, tuant et exterminant combien de millions d’animaux dans le seul but du profit et si souvent pour des raisons totalement mercantiles, si l’on pense notamment à ces rhinocéros abattus pour leur corne qui aurait des vertus aphrodisiaques.

Le béotien que je suis tente de comprendre la corrélation qu’il peut y avoir entre les 25 000 gènes de nos cellules, et les 3, 3 millions de gènes qui se trouvent dans le métagénome de notre flore intestinale. La métagénomique est une nouvelle méthode d’analyse pour aborder l’infiniment petit.

À la manière d’un roman policier, François Gros illustre son propos sur les découvertes les plus récentes dans les domaines de la génétique, de la biologie ou de la biodiversité, de la paléonanthropologie, met en scène Yves Coppens ainsi que nombre d’éminents généticiens dont Wolfgang Enard et Svante Pääbo et leur équipe de Leipzig, qui ont réalisé des études capitales sur le génome de Néandertal puis sur le gène FOXP2 constitutif du langage puis de son évolution. C’est grâce à un autre paléonanthropologue français, Michel Brunet, que fut découvert en Afrique le premier préhumain datant d’environ 7 millions d’années.

François Gros nous explique les dernières avancées en biologie moléculaire, génomique, biotechnologie pour arriver à la « biologie synthétique », qui a créé des « systèmes capables d’accomplir des fonctions dont on a observé l’existence au sein du monde vivant actuel » (129). Toutes ces voies toujours davantage pluridisciplinaires faisant intervenir la chimie et la physique, sont constitutives de miracles de la médecine qui chaque jour sauve des dizaines de milliers de vies dans le monde. La « biologie synthétique » a, entre autres découvertes, permis de produire à partir de la levure et d’une bactérie baptisée E. Coli, puissant remède contre la malaria à un coût bien inférieur à ceux de la pharmacologie courante. Pourtant dans le domaine des maladies psychiatriques, les avancées sont moins spectaculaires. Aucun progrès significatif n’a été fait concernant la paranoïa, la schizophrénie, l’autisme. François Gros souligne l’urgence qu’il y a à recourir au séquençage à haut débit couplé « avec l’analyse des circuits neuronaux », méthode qui permettrait seule, selon lui, de faire avancer rapidement la recherche moléculaire.

Dans la dernière partie de son ouvrage, l’auteur de L’Ingéniérie du vivant (1990), aborde la génétique des cancers touchant à des questions aussi mystérieuses que profondes, en particulier à ce qu’il nomme la « sagesse cellulaire » ou « téléonomie » pour aborder les « lignes de défense » que constituent les antioncogènes.

Peut-on parler de « sagesse cellulaire » quand tant de cancers ne se soignent toujours pas ou si mal ? Sans parler de tant d’autres pathologies graves. Il existe notamment, et c’est là que les choses deviennent captivantes, un phénomène bien connu sous le nom d’apoptose, qui est le suicide cellulaire (connu depuis 1842), qui intervient dans des conditions génétiques tout à fait spécifiques et qui peuvent stopper un cancer.

9782738127204-mondes-nouveaux-biologie_gLa thérapie génique déjà utilisée dans le traitement de certains cancers permet de sauver de nombreux malades. Parmi les « miraculés » de cette thérapie, on compte une trentaine d’enfants dans le monde, dont le tiers en France, atteints d’une grave pathologie du système immunitaire, appelées les « enfants bulles », car soignés dans des espaces absolument hermétiques, comme à l’hôpital Necker dans l’équipe du Pr Alain Fischer. Ces enfants aujourd’hui « mènent une vie normale » écrit François Gros.

Dans sa conclusion, l’éminent biologiste, expose les promesses qui reposent sur la biologie synthétique, car la thérapie génique, outre les cas cités à l’instant, est encore loin de pouvoir être appliquée à un grand nombre de patients par manque de recul. Tout cela n’a-t-il pas un prix éthique, économique ? Les questions de coût, même si dans certains cas comme le sida, les traitements peuvent être rendus accessibles à un grand nombre de pays, restent l’un des obstacles de la démocratisation de la pharmacologie autant que de la médecine. Sur les questions éthiques proprement dites, une non-réglementation internationale comme c’est le cas aujourd’hui, laisse la porte ouverte à des recherches et des applications qui peuvent être dangereuses pour l’humain.

Pourtant François Gros, qui a traversé une grande partie du siècle dernier avec ses tragédies, les abominables dérives de la science en particulier sous le national-socialisme (mais pas seulement), tout en reconnaissant certaines dérives de rares confrères peu scrupuleux ou de certains États où tout est permis, tout est possible sous la seule « morale » du profit, sait que la majorité des scientifiques est mûe par la seule éthique au service de l’Humain. Un livre encourageant et fascinant !


[1] Le dernier livre du Pr François Gros. Odile Jacob, 2012.

[2] Ensemble des organismes vivants unis ou pluricellulaires comprenant un noyau contenant le matériel génétique.