Le seigneurial sculpteur Alquin    m’envoie ce grand témoignage le 29 septembre 2019 en prétendant que « …  ce petit texte écrit dans la nuit…  pour y comprendre quelque chose? Non, pour traverser la nuit… »:

 

Le volume  amphibie.

 

Toute ma vie je l’ai passé à traverser des surfaces, des miroirs  et des illusions.

Voler dans l’eau , traverser l’air.

 

L’encre de chine à l’odeur  entêtante de bois brulé et de camphre  parcoure mes souvenirs d’enfance en profondeur . A Belleville ce parfum ramené par mes parents de leur premier voyage au Japon  emplissait nos  jeune narines, à mon frère Ivan et à moi, mêlée délicieusement de la  thérebantine des  peintures à l’huile de la boutique de Monsieur Lefèvre Foinet que chérissait mon père peintre.

C’etait l’orient et  c’etait l’ occident.

 

J’ai dessiné très tôt , avant même de me souvenir . Mes mains étaient-elles  là avant  que je ne le sache ? Mes mains  étaient ailes. J’ai volé dans le papier comme si c’était l’espace lui -même et ce blanc ressemblait au gris blanc du ciel . Garçonnet j’allais souvent  passer  les vacances chez  ma grand-mère en frontière  de  forêt de Soignes où les hêtres   vous gorgent  des couleurs d’en haut et tout  courant dans  les chemins creux : flac ! le nez  contre le sol , terres et couleurs  sont  entrées en moi par le sol.

J’adore   le dessin et la couleur même si celle-ci ne  pointe  que rarement  à ma surface.

 

 

Dans les bois toujours courant j’étais indien , précisement Crow. Quand je me suis arrêté, il n’y en avait plus. Morts ou parqués ? Plus de crows chantant dans les bois Wakan Tanka en tout cas. J’ai ramassé mes bois, des badines de noisetiers bien droites .J’ai arrêté de faire des flèches pour commencer à tailler des sculptures  Haida, dans un saule tétard offert par le voisine paysanne , Madame Corbisier qui la commenta ainsi : » Bien m’petit gamin ! Mais n’allez pas vous faire sprotcher sur la route pour ça ! » Et ça a continué et je suis devenu ça : un tailleur d’histoires en tous genre, un sculpteur de tailles directes.

J’adore  toujours les bois , et le bois.

 

Un jour , sans lâcher le bois ni l’encre , je les ai fait se rencontrer. J’ai gravé une planche, puis posé une feuille de japon dessus, puis j’ai frotté la surface avec un bloc de  cire mêlée d’encre sèche. La sculpture affleurait. Elle remontait. vers nous. Je l’ai saluée d’un peu d’encre et d’eau , je l’ai abreuvée comme on donne a boire à qui a traversé le désert.

J’ai nommé cette  première trouvaille  xylotrace.

 

Encouragé j’ai  aussi donné un sort à mes sculptures en cire d’abeille teintée de noir de fumée. Ces modèles que je fondais parfois en bronze restaient là , esseulés dans une pièce : mon atelier ou mieux ,chez quelqu’un .On pouvait tourner autour , elles mais elles ne bougeaient pas , ne partaient  nulle part, clouées au sol dans la realité par la pesanteur sur du beton ou du parquet.  C’est toute la misère de la sculpture privée. Ailleurs et avant ,  de tous les autres temps et de toutes les autres cultures on apportent des offrandes aux statues  , ou on les transportent  sur les lieux de culte. Même à Versailles on  ne les  laissaient seules que pour mieux les recouvrir d’eau ou de mystères au détour d’un bosquet :elles avaient un contexte, une sorte de biotope, un « sculptope ». Maintenant rien.

Alors je les ai jetées dans une flaque de cire, je les ai collées dans un plan de cire noire , brillante comme une nuit    rehaussée de peinture à l’huile . J’ai mêlé la terre aux reliefs , j’ai soupoudrés les failles de pigments , rechauffé des lointains  et voici qu’elles ne sont plus là .Elles  sont parties d’où elles venaient , dans le fond des ténèbres. Cette decouverte est liberatrice. Mes sculptures ne sont plus des rondes bosse , de ces petites sorcières dont on peut botter le cul, (à ses risques et périls) ce sont devenues des passantes d’un autre monde, elles sont  parties au pays .

 

Enfin , il y a une autre façon de passer d’un monde à l’autre , de quitter le ciel de papier blanc pour revenir sur terre , c’est en pliant le ciel en deux , comme un livre. Du plat de la main , je l’ecrase bien  fort puis j’entaille  ce dos d’in folio aux ciseaux . Surprise , quand il se deplie , une forme s’en échappe :  le  plan donne un volume.  Ce qui vient  vers nous depuis   l’autre côté , n’est ni un dessin ni une sculpture , c’est  un sculptin ,  une illusion de plus.

 

 

Alquin

29 septembre 2019