LA VIERGE ROUGE

 

… comment ai-je pu écrire La vierge rouge?

… comment ai-je pu y parvenir il y a 33 ans?

… pourquoi le livre, ici et là, a-t-il pu passer presque inaperçu?

…pourquoi ai-je évoqué hier un sujet si actuel aujourd’hui?

 

..est-ce mon meilleur livre d’hier et aujourd’hui?

 

…je profite de mon 87ème anniversaire

pour le présenter

1er phalle de l’an 146 de l’ère ‘pataphysique.

La Vierge rouge , par Fernando Arrabal, 260   pages.

Michel COURNOT,  Le  Nouvel Observateur

Un chef-d’oeuvre.
Décidément Fernando Arrabal, à travers ses défis, ses appels, ses libertés, est une grande conscience.
La raison avouée de son livre,  » la Vierge rouge « , est un événement qui occupa la police et la justice espagnoles en 1935: une femme de 36 ans, d’une famille bourgeoise d’avocats, Aurora Rodriguez Carballeira, tua de six balles de revolver sa fille Hildegart, âgée de 16 ans. Aurora, en 1918, lisant un livre pris dans la bibliothèque de son père, probablement un livre de philosophie, ou de théosophie, ressentit un appel, une intimation spirituelle. Avec un homme inconnu d’elle, requis rien que pour ça, sans mariage, sans sentiment, sans aucune sensation, elle conçut un enfant qu’elle savait devoir être une fille. Elle éleva elle-même sa fille, Hildegart, soit dans le jardin ou au rezdechaussée de la Maison pour les Sciences et les Arts, soit dans la cave pour des opérations de métamorphose de la matière, soufre ou mercure, dans un four qu’elle avait fait construire exprès. Aurora ne voulait pas que l’autorité publique vienne lui prendre sa fille de force, pour la former à sa manière, comme cette autorité avait pris déjà son jeune frère Benjamin, devenu un chef d’orchestre renommé.  Mais il y avait, abrité dans un pavillon du jardin, un vieil homme hémoptysique, à qui n’échappaient pas les progrès de la petite Hildegart. A 14 ans, elle était déjà un phénomène de culture et d’intuition mathématique, psychologique. Tenus au courant par ce témoin, des gens comme Einstein, Freud, H. G. Wells, Havelock Ellis se préoccupèrent des facultés d’exception d’Hildegart. Son départ pour Londres fut organisé, dans le dos de sa mère. La veille du départ, Aurora tua sa fille. Le livre de Fernando Arrabal est un chef-d’oeuvre. Un chef-d’oeuvre seul de son espèce, car il appréhende, il sonde l’acte d’Aurora Rodriguez (la mère qui tue sa fille), par des pistes que jamais ne fréquentent policiers, magistrats, journalistes, romanciers.  C’est Aurora elle- même qui s’exprime, dans ce livre, par 124 courts  » chapitres  » (chacun excède à peine une page). Dès les premières pages, le ton de la voix et la teneur des propos d’Aurora nous donnent le sentiment que cette femme n’est, au sens habituel des termes, ni une folle, ni ce qu’on appelle une criminelle, ni exactement une illuminée.  A partir du jour de janvier 1918 où Aurora, de par la lecture de quelques lignes, se sent et se sait orientée vers la  » conception  » (physique puis spirituelle) de cet être, Hildegart, elle accomplit chacun de ses actes avec calme et lucidité. Elle ne fait pas d’erreur, et elle est efficace, le développement extraordinaire de sa fille le prouve. Mais l’itinéraire qu’accomplit Aurora, comme par l’entremise, si l’on veut, d’Hildegart, échappe entièrement au jeu innombrable de causes et d’effets matériels, sociaux, légaux, unanimement respecté. Le couple AuroraHildegart évolue sur une autre orbite, orbite qui bien sûr ne passe pas par Londres ni par ses penseurs  » reconnus « , fussent-ils géniaux . Selon l’  » écoute  » d’Arrabal, Hildegart apporte d’ailleurs elle-même son concours à l’accident final. En comparaison du témoignage d’Arrabal, tous les procès-verbaux de police, toutes les cours d’assises, tous les reportages des journaux et tous les romans  » chosifient « , détournent, raplatissent au ras des pâquerettes ce qui a eu lieu. Les 124 fragments de  » la Vierge rouge  » sont comme autant d’éclairs d’âme, immatériels, qui permettent d’entrevoir, dans sa vraie singularité, un cheminement sans exemple.  Il existe peut-être un  » feu spirituel  » particulier à l’Espagne. Car la langue, la voix, prodigieuses de pureté, de chaleur, d’intensité d’Arrabal, dans ces fragments qui en même temps ne semblent pas écrits mais jetés, font penser à une suite de dessins rapides d’un Picasso qui répéteraient par exemple le crâne accentué d’un taureau piste contre une ampoule électrique allumée. Et la très étrange franchise claire et ferme de la voix de son Aurora rappelle l’immense texte de Leonora Carrington,  » En bas « , Carrington qui n’est pas espagnole mais qui, dans ce texte, rend compte d’événements qu’elle a vécus en Espagne en 1940. Le plus beau, peut-être, est que chaque úuvre d’Arrabal, accomplie comme celle-ci ou manquée, parait ne faire d’elle-même presque aucun cas.
Michel Cournot.   Le Nouvel Observateur.