Il y a dix ans des hommes d’affaires et des inconscients se sont partagé l’héritage d’André Breton. Avec avidité. Avec cupidité. Des vampires. Et même pas en flagrant délit.
Tout fut vendu aux enchères. À Paris. En cette occasion capitale de la douleur. Du «mal dolor», «amado» Lautréamont.
L’ensemble: spolié. «Au plus offrant. Tout dépecé. Pillé. Éparpillé, Parti. Et les frais répartis. Livres de bibliophilie, lettres, lithographies, gravures, tableaux et «autres objets surréalistes». Il y avait même le revolver à cheveux blancs. Tout fut trituré. Liquidé. Pulvérisé. Atomisé. Consommé.
– Prenez et mangez, ceci est mon corps
Au contraire «Les aventures de la vérité» réunit, regroupe, rassemble. Donne à voir. À aimer. À éblouir. À la Fondation Maeght la création est «déséparpillée».
Sííííí, ouiiii, ce fut seulement il y a dix ans à l’Hôtel Drouot. Et/ou, au diable Vauvert. Et à la Bourse des valeurs. Avec des histrions dévalués. Partout où l’on encense le veau d’or. En 1927, André Breton avait écrit Introduction au discours sur le peu de réalité.
À Saint-Paul de Vence BHL a pris le contrepied et crié
-¡Viva la verdad!
C’est-à-dire: vive la liberté! Que vive cette chose si minuscule et bouleversante qui est le chef-d’œuvre de l’artiste.
Dans l’exposition qu’a conçue le commissaire BHL on n’entendra pas le cri de
– «Tout doit disparaître!»
…ce qu’avait exigé, gouailleur, selon la tradition, le fourrier du kidnapping du legs de Breton. Et de la dispersion.
Pendant près d’un demi-siècle, Breton, au «42 rue Fontaine», a reçu… En célébrant le rite du verre de rhum blanc. Et de la charmeuse de serpents. Il a habité cette retraite monacale de 1922 jusqu’à son occultation; exactement deux ans avant de rédiger le premier manifeste du surréalisme jusqu’à sa disparition en 1966 à l’âge de 70 ans.
Mais nous (vous, moi, le Pape, la Reine de Saba) n’avons pas réussi à créer une fondation. Ni un musée avec tout ce que le poète Breton avait engrangé. Récolté. Moissonné grâce à la clé des champs. Ce fut un outrage pour la culture. Un défi au sens commun. En 1926, André Breton avait écrit Légitime défense.
A la Fondation Maeght, BHL fait un pied de nez de l’art à l’argent des marchands. Il s’agit d’abord, disons-le sans fausse modestie, de la victoire des artistes.
Pendant trois ans j’ai assisté quotidiennement à la réunion présidée par André Breton. À La promenade de Vénus ont été rédigées ou rééditées quelques proclamations. Comme Le surréalisme est à la portée de tous les inconscients. Nous n’aurions pas pu imaginer que cet avis allait être pris pour un faire-part de décès par les aventuriers des affaires.
BHL, lui, donne la parole aux aventuriers de la vérité.
En 1919, André Breton avait écrit Mont de piété . Nous ne pouvions «cauchemarder» que quelques années plus tard ce titre se révélerait prémonitoire. Dans la caverne des spéculateurs.
Aube et Oona et Élisa, la lame d’Arcane 17, à la main ont conservé le trésor du Château aux étoiles jusqu’au dernier soupir. Transpercées par les sept poignards de la Vierge des Douleurs. En 1924, André Breton avait écrit Les pas perdus. L’inertie des camarillas d’endormeurs de mulots et autres camelots ont eu raison de la patience des meilleurs.
– Qui a participé à ces discussions avec des fonctionnaires tout-puissants et ignorantissimes sait ce qu’est l’humiliation.
Aube, Oona et Elisa ont écouté pendant plus d’un quart de siècle leurs faux serments. De la bouche de parjures. Les uns ont promis une Fondation du Surréalisme ou un Musée Breton. D’autres, comme des Pilates cosmopolites, la Maison Internationale de la Poésie. Ou Le Palais du Rêve Surréaliste.
BHL, luttant contre des moulins à vent, a réussi à accomplir le rêve des poètes.
De 1930 à 1933, André Breton a dirigé la revue Le surréalisme au service de la révolution. Un autre affairiste, le dernier directeur du Musée du Prado, au XIXe siècle, s’est plaint de ne pouvoir se débarrasser de tous les tableaux du Gréco: «Ces absurdes caricatures». Toutes ces œuvres, a-t-il osé dire et écrire, nous «engorgeaient et encombraient… nous n’avons rien à faire de ces extravagances du Gréco». En 1937, André Breton avait écrit De l’humour noir.
Un prestigieux journal anglais a raison d’affirmer qu’à la Fondation Maeght se trouve ce mois-ci «le musée d’art moderne le plus célèbre de France».
La culture est dans les catacombes. Toujours. Elle est SIEMPRE impuissante à convaincre les affairistes de l’art : les «assis» dont parlait Rimbaud.
Michel Butor, Jacques Derrida, Lawrence Ferlinghetti, Milwaukie, Bogartte, Benjamin Ivry, et un millier d’artistes, bibliothécaires et écrivains se sont dressés contre cette «répugnante situation». Ils ont demandé des vases communicants, un antimusée «together and only together» (variante de «el pueblo-unido-jamás-será-vencido»), un espace permanent de poésie. Ils ont proclamé : «Dormez en paix, braves gens. On n’a pas les sous nécessaires pour faire un Musée Breton. Nous n’ajouterons rien à notre dégoût, notre indignation et notre profond chagrin». En 1921, André Breton avait écrit les champs magnétiques.
N’étant pas à Paris, je n’ai ni signé le manifeste ni assisté aux marches des protestataires. Cela n’a pas empêché un journal hurluberlu et financier d’inventer le bobard que je me trouvais dans la rue… En 1931, Breton avait écrit Union libre .
Grâce à BHL la «maison de la poésie plastique» dont rêvait André Breton est hic et nunc à Saint-Paul de Vence.
Breton a toujours conservé son foyer d’énergie: ce Clair de terre. Il a été vendu. Réparti en mille morceaux. Très précisément en 4.100 lots. On a fait monter les enchères pour chacun d’eux comme s’il s’agissait du balconnet de la «traviata» ou de la culotte d’un footballeur. En 1943, André Breton avait écrit Pleine marge .
À Vence on a su réconcilier l’art et la philosophie, cette brèche de la créativité. Précisément à partir de 1961 nous avions collaboré à la revue qu’ André Breton dirigeait La brèche .
«Les images détiennent des pouvoirs dont les mots sont dépourvus» dit BHL. Là où l’argent des affairistes voudrait faire la loi.
L’année de ma naissance, en 1932, André Breton avait écrit Misère de la poésie. Voulait-il dire «Misère… et Grandeur de la Poésie»?
Fernando Arrabal 1°, Phalle de 140 de l’E. ‘P. (S. Chibre, planton)