Fernando Arrabal et l’exil libérateur : ¡Viva la muerte ! (1971) ou l’expression du traumatisme sans tabous
Par Antoine Fraile
Mercredi 1er février 2012, revue QUAINA, Université d’Angers, numéro spécial…
Vouloir parler de Fernando Arrabal sans être ni spécialiste de la postmodernité ni psychanalyste pourrait paraître très présomptueux, mais dans le souvenir lointain d’un film, vu pour la première fois il y a près de 40 ans, reste le choc ressenti par la réception d’une œuvre cinématographique qui tranchait alors fortement avec l’ensemble de la production, tant sur le plan esthétique que narratif.
Dans le documentaire d’Emmanuel Vincenot et Ramón Suárez, consacré à Fernando Arrabal[1], Bernard-Henri Lévy retient de ¡Viva la muerte ! à la fois « la fantaisie et la radicalité », et parle d’un film « où nous retrouvons le tragique de la condition humaine, mais pas pris au sérieux[2] »
Reprenant dans son titre ce qui était le cri de guerre de Millán Astray et des légionnaires fascistes du Tercio, Arrabal situe sa narration à la fin de la Guerre Civile espagnole.
Mais si l’œuvre théâtrale et filmique d’Arrabal a connu un retentissement considérable, cet auteur est un peu injustement oublié et c’est pourquoi il est indispensable de poser quelques repères pour mieux comprendre ¡Viva la muerte ! qui se veut être partiellement autobiographique.
Mais c’est une autobiographie représentée à différents niveaux qu’il faut à chaque instant décoder et où le traumatisme de la dictature qui s’abat sur l’Espagne en 1939 est présent en permanence au point de constituer la pierre d’achoppement de l’œuvre. C’est à partir de ces représentations multiples que se pose la question de l’exil, puisque ¡Viva la muerte ! est un film conçu en France et tourné en français dans sa version originale. Mais il ne pouvait en être autrement en 1971 !
Né à Melilla enclave espagnole en territoire marocain, en 1932, Fernando Arrabal voit son père resté fidèle à la République lors du soulèvement du 18 Juillet 1936, arrêté sous ses yeux et à ce titre condamné à mort pour rébellion militaire.
Emprisonné jusqu’en décembre 1941, celui-ci s’évade de l’hôpital où il a été transféré, étant supposé malade mental, mais on ne retrouvera plus jamais aucune trace de lui. Fando vit, désormais, avec sa mère qui va se déplacer de Ciudad Rodrigo à Burgos, alors capitale de l’Espagne franquiste, puis à Madrid à la fin de la guerre.
Le petit Fernando va, de ce fait, poursuivre sa scolarité dans des écoles religieuses. En 1954, il se rend à Paris pour voir la pièce de Bertold Brecht, Mère Courage et ses enfants, qui est jouée par le Berliner Ensemble. Il y revient définitivement en 1955, choisissant d’y vivre « desterrado », littéralement « privé de terre », apatride, mi-expatrié, mi-exilé. Un exil qu’il a choisi, le considérant comme sa terre d’accueil.
Auteur prolixe et protéiforme, Fernando Arrabal, qui déclare avoir détesté le cinéma lorsqu’il était enfant, a réalisé sept films. ¡ Viva la muerte ! (1971) est le premier d’une trilogie où la Guerre Civile et la répression franquiste occupent une place importante. Suivront J’irai comme un cheval fou (1973), puis l’Arbre de Guernica (1975), mais c’est sans conteste le premier qui a connu le succès le plus important et suscité les polémiques les plus virulentes. Le film est très fortement inspiré de la propre vie d’Arrabal et du drame familial qui a marqué son enfance.
Dans le film, Fando est hanté par le traumatisme qu’il a subi lors de l’arrestation brutale de son père. Il va découvrir, dans une lettre que sa mère a envoyée à l’un de ses oncles, qu’elle est à l’origine de cette arrestation :
Mon mari est un renégat qui a compromis le bonheur des siens pour de mauvaises idées, progressistes et dangereuses. Mon devoir est de le dénoncer aux autorités afin qu’il soit arrêté au plus vite[3].
Une révélation que sa mère ne lui confirme qu’à la fin du film. Lorsque Fando lui demande avec insistance : « Est ce que tu l’as dénoncé ? » et sa mère de répondre :
Je n’ai dit que la vérité. Il aurait dû le dire dès le premier jour. A cause de mon témoignage, de mon attitude soumise, ils ont été plus indulgents envers lui. Toute sa vie, il m’aura rendu le mal pour le bien[4].
Il serait légitime, à ce stade de l’analyse de se poser la question de savoir si la mère d’Arrabal a réellement dénoncé son père ? Nous ne pouvons apporter ici qu’une réponse fragmentaire et même si la réalité a pu être tout autre, c’est en tout cas le choix que l’auteur a fait dans cette œuvre.
Quoi qu’il en soit, cela est du domaine du plausible, tant le schéma du clivage idéologique au sein des familles est un fait établi, à fortiori au sein d’un couple. Et si bon nombre d’entre eux n’ont pas résisté à ces tensions, ni aux séparations imposées par la guerre, ces divisions n’entraînèrent pas de facto la dénonciation !
Dès le début du film, Arrabal choisit de contextualiser sa narration dans une séquence où un camion muni d’un haut parleur diffuse le communiqué du 1er avril 1939, annonçant la fin de la guerre et la victoire des franquistes mais un communiqué qu’il modifie en lui ajoutant deux phrases supplémentaires :
les traitres seront exterminés. Si nécessaire nous tuerons la moitié du pays. ¡Viva la muerte !
Ainsi, Arrabal nous livre d’entrée de jeu la lettre du communiqué qui marque la naissance officielle de l’Espagne franquiste et il y ajoute l’esprit : violence et vengeance, vainqueurs et vaincus, qui sont quelques paradigmes de la dictature franquiste.
Dans une séquence postérieure, Arrabal choisit également de représenter l’important instrument de propagande qu’étaient les actualités cinématographiques, le NO-DO[5]. Alors que la guerre est finie officiellement, ce sont encore des images de combats qui sont diffusées, sans que nous parvenions à identifier si ce sont réellement des images d’archives de la Guerre Civile ou d’un autre conflit, ce que l’observation des uniformes rend vraisemblable. Quant aux commentaires de la voix off, ils sont purement réécrits et portent la patte sarcastique de Fernando Arrabal qui prend un malin plaisir à tourner en dérision les militaires :
nos troupes attaquèrent simultanément à gauche, à droite et au centre […].
pour aboutir à l’occupation de deux hauteurs à chaque extrémité du front […].
le gouvernement qui était le misérable bâtard du concubinage des rouges et des socialistes […]
l’armée bénie par la sainte église tient à jamais les rênes du pouvoir…. [6]
Le discours excessif du régime est amplifié par l’auteur, qui réussit ainsi à le rendre parfaitement ridicule.
La misère et les privations de l’après-guerre sont également évoquées à travers plusieurs scènes : dans l’une un enfant dévore une mouche, ailleurs des insectes font la garniture d’un sandwich et plus loin Fando mange la tête d’un lézard. A un autre moment, nous découvrons la famille réunie autour de la table qui trie les lentilles en récitant l’Ave Maria. Ces lentilles qui furent pendant la guerre l’un des plats les plus fréquents, à tel point qu’elles furent appelées « les petites pilules du Dr Negrín ».[7]
L’Espagne franquiste que nous montre et que dénonce Arrabal c’est un régime où les militaires règnent avec la bénédiction de l’Eglise catholique qui impose des pratiques dignes de l’Inquisition. A l’école, une religieuse fait fonction d’institutrice pour imposer aux enfants un enseignement orienté et répressif.
Face à cet environnement dont Arrabal nous fait une représentation aussi tragique que grotesque, il y a l’interprétation que s’en fait l’enfant Fando, dans ses rêves et ses visions.
La distinction entre ces deux niveaux de représentation est opérée par les couleurs utilisées. Au premier niveau la couleur classique du film et au deuxième niveau l’utilisation d’un filtre monochrome qui donne des images rouges, mauves, vertes ou grises pour représenter les fantasmes et le traumatisme de Fando, alimenté par ses fantasmes de préadolescent. C’est également le père qui, de sa prison, envoie à l’enfant une maquette d’avion avec laquelle ce dernier va reproduire les combats aériens et les bombardements de la Guerre Civile.
L’enfant est déchiré par cette séparation brutale : il est privé de son père qu’il adore tout autant que sa mère, comme nous le montrent deux scènes parfaitement symétriques. Fando et son père sont assis sur le sable[8], puis plus loin Fando caresse les pieds de sa mère sur cette même plage[9]. A la brutalité de la séparation s’ajoutent autant les paroles prononcées que les non-dits dans un environnement idéologique qui est celui de l’Espagne franquiste de l’après guerre.
Tous ces éléments amènent l’enfant à recomposer la réalité et se proposer à lui-même une autre lecture fondée sur une construction mentale différente qui revisite le traumatisme en l’alimentant des fantasmes propres de la préadolescence.
Ainsi ces images monochromes rouges, mauves, vertes ou ocres qui donnent à l’ensemble une connotation « psychédélique » peut-être un peu datée aujourd’hui, nous rappelant les images de More (1969), le film de Barbet Schroeder, qui lui est contemporain.
Dans cet univers cohabitent l’innocence et la cruauté comme nous le suggère le générique de début où une chanson enfantine (dans une langue incompréhensible, qui s‘avère être du danois) qui évoque une comptine est superposée à une série de dessins de Topor, son complice avec Alexandre Jodorovski au sein du mouvement Panique, où les corps mutilés se mêlent aux images érotique et à des scènes de torture qui nous rappellent les célèbres gravures de Goya. Souvenons-nous du « Songe de la Raison engendre des monstres ». Certes, s’agissant de Franco, la raison n’a pas de place, mais les enfants du film ont parfois des allures bien monstrueuses.
Les jeux sont des batailles où les « rouges » et les nationalistes continuent de s’affronter, comme si la Guerre Civile n’était pas encore achevée. Dans une autre scène, les enfants jouent aux dés. Mais, comme dans l’Espagne de l’époque, il y a les bourreaux et les victimes et le perdant doit recevoir les coups de fouets de la main d’un bourreau cagoulé, selon les ordres d’un roi aussi sadique que capricieux.
L’hypothétique exécution de son père le hante dans de nombreuses scènes comme l’exprime son cri « papa, je ne veux pas qu’on te tue » où cette séquence où une troupe de cavaliers avancent sur le corps de son père enterré, dont seule dépasse la tête.
Les bourreaux, tortionnaires en cagoules de cuir apparaissent en de nombreux plans mais ce sont à la fois les tortures de l’Inquisition et les images de la Passion du Christ sur fond de chants de saetas, directement tirées de la Semaine Sainte de Séville.
Les exécutions représentées par Arrabal ou fantasmées par Fando rappellent la représentation que s’en faisait Luisito, dans La Prima Angélica (1973) de Carlos Saura, lorsque son oncle lui prédisait la mort de son père.
Cette superposition entre les images de la Passion et la torture de la Guerre civile est manifeste dans des scènes où le parallèle est établi avec la flagellation de Jésus.
En réaction à cette présence pesante, les représentations ou références religieuses sont pour le moins irrévérencieuses, voire iconoclastes, à l’instar du dessin de Topor figurant dans le générique :
Lorsque le prêtre vient porter l’extrême onction au grand père à l’agonie, ce-dernier lâche quelques pets bien sonores. Après avoir béni les armes, le curé devenu victime est condamné à manger ses propres testicules dans une scène anthropophage et parodique qui rappelle Jésus offrant son corps. Le prêtre s’exclame :
Merci, Seigneur, pour ce met divin.
Seigneur, vous me les avez données et vous me les avez reprises. Béni soit votre saint nom [10]
Les mortifications avec le cilice font l’objet de deux scènes où c’est tout d’abord Fando qui s’impose cette pénitence, puis sa tante[11].
Et la collusion entre l’armée et l’Eglise espagnole est montrée lorsque le curé bénit les armes des rebelles à la sortie de l’église.
L’image de la mère et de la tante
Les rapports que l’enfant va entretenir et développer avec les femmes sont exprimés à travers trois personnages, en premier lieu sa mère, puis sa tante et enfin Teresa, une petite fille un peu plus jeune que lui. Mais c’est sa mère et sa tante qui nous intéressent ici. Ses rapports sont d’autant plus complexes que sa mère incarne celle qui a dénoncé son père qu’il hait mais également la femme qui trouble l’adolescent et qui l’attire.
Sa mère est également l’incarnation de la vierge Marie, qui est dans le film une image récurrente.
Tantôt une Vierge à l’enfant de Murillo, elle apparaît à un moment sous un tableau du maître, la tête couverte d’un voile blanc. Tantôt Mater Dolorosa, elle recueille le corps flagellé de son père, comme Marie recueille celui du Christ dans une Pietà.
Mais la haine de l’enfant, lorsqu’il découvre les photos découpées, amputées de l’image du père, s’exprime avec une force inégalée : dans une de ses visions, elle est tout d’abord une Vierge à l’enfant de facture classique avant d’officier comme un prêtre et de donner la bénédiction puis la communion aux fidèles et d’apparaître enfin avec un couteau entre les dents[12]. Plus tard, la Vierge est mafieuse et fume le cigare[13]
Puis mi-Pasionaria, mi-Agustína de Aragón, nous la retrouvons au pied du canon prenant la tête des troupes qu’elle exhorte par ce cri : « Tuez-les ! »
Si nous sommes encore ici dans la dérision, la haine s’exprime dans quelques autres scènes avec une violence de ton qui frôle l’obscénité. Tel un petit chien, la mère lèche les bottes des vainqueurs. Puis elle se vautre dans le sang d’un taureau, métaphore traditionnelle de l’Espagne, qu’elle a tué et qui incite son fils à couper ses liens avec son père en lui coupant les testicules « tu es déjà grand, coupe les couilles de ton père[14]« , sans oublier une scène particulièrement crue où la mère défèque sur le père. Autant d’images souvent insoutenables, crues, violentes, grotesques, voire vulgaires. Arrabal crée chez le spectateur de la gêne mais il crée également de l’émotion.
Mais la femme c’est également sa tante Clara vers qui le poussent des pulsions érotiques qu’elle semble entretenir.
L’enfant l’observe, l’épie, guette sa nudité et ses jeux solitaires. Cherche–t-elle à le séduire ou ne sont-ce que fantasmes du préadolescent, Arrabal entretient le doute et appuie cette ambigüité en utilisant la musique d’une célèbre zarzuela La Verbena de la Paloma, où deux jeunes madrilènes, l’une brune et l’autre blonde mènent par le bout du nez un vieil apothicaire en mal de chair fraîche.
Les rapports entre les deux personnages, sont à la fois sadiques et masochistes, comme le suggère, là encore, un des dessins de Topor figurant dans le générique de début.
Arrabal et l’exil
L’exil de Fernando Arrabal n’est pas à proprement parler un exil directement politique, dans la mesure où, lorsqu’il choisit en 1955, l’exil à Paris, il est un parfait inconnu et que, même si par la suite ses prises de positions ont un caractère éminemment politique, il n’est pas, à proprement parler, un militant.
Ne s’agissant pas, non plus, d’un exil économique, c’est plutôt, un exil créatif. C’est ce qu’il explique dans la Lettre au général Franco :
Dans ce climat d’oppression, j’étouffais littéralement puisque je ne pouvais pas respirer spirituellement ; j’ai fini par avoir des problèmes pulmonaires et finalement je suis devenu tuberculeux. Nos poumons étaient peuplés de vieux vêtements et d’excavatrices assoiffées. Dans ces années là, j’ai pris la décision quichotesque d’être écrivain en Espagne, sans renoncer à mon indépendance, à ma liberté. Une entreprise à laquelle je ne parviendrais jamais. Après vingt années d’écriture, je n’ai jamais pu être écrivain dans mon pays.[15]
Il fait ici référence à la tuberculose qu’il va effectivement contracter et soigner en France, ce qu’il reconnaît avoir été une chance.
Il choisit donc, plus précisément Paris, qui est encore à ce moment le premier centre intellectuel où se retrouvent les avant-gardes. Un lieu où existe cette totale liberté de création et qui est ce creuset culturel où il va rencontrer Roland Topor et Alexandre Jodorowsky, entre autres, avec qui il va fonder, en 1962, le mouvement PANIQUE, en hommage au Dieu Pan. Ils se démarquent du surréalisme et s’affichent ainsi :
Nous ne voulions pas de hiérarchie, pas de pape, pas d’exclusion. Tout le monde peut être panique, ou ne plus l’être. Nous ne voulions pas une morale, mais toutes les morales. Pratique de la provocation (happenings, animations), affirmation de l’individualité, pouvoir absolu du jeu comme moyen de communication et d’exorcisation, option délibérée pour la dérision et l’utopie.[16]
Arrabal vit ainsi en France un exil choisi qui ne l’empêche pas de retourner régulièrement en Espagne où il sera d’ailleurs emprisonné en 1967. Sa Lettre au général Franco (1971) est un pamphlet violent contre le dictateur qu’il accuse d’avoir assassiné son père. C’est donc, à sa manière, iconoclaste, provocatrice un opposant notoire au régime franquiste.
S’il vit en France, il demeure, de toute évidence un artiste qui garde avec son pays des liens très forts, s’inscrivant ainsi dans une filiation directe avec Goya ou Buñuel.
J’ai déjà fait référence à sa proximité avec l’œuvre gravée de Goya, mais il en va de même avec Buñuel comme le montrent quelques images d’ecclésiastiques qui semblent sortir du Chien andalou ou ce personnage qui, affublé d’un tutu, danse autour de sa mère comme le mendiant pendant le banquet de Viridiana.
C’est dans cette continuité que nous pouvons l’inscrire et qu’il nous raconte son Espagne.
C’est de l’exil qu’il nous décrit ce que Bernard-Henri Lévy, appelle « le tragique de la condition humaine, mais pas pris au sérieux[17]. » De toute évidence, il lui fallait trouver un lieu qui ne pouvait être l’Espagne de 1971, pour donner libre cours à « cette folie maîtrisée » ou à « ce délire logique[18]« . Ce lieu, cette nouvelle patrie, c’est l’exil. Et cet exil se situe en France.
Pour prolonger la comparaison déjà établie avec Carlos Saura, nous mesurons à quel point l’écriture cinématographique de ce dernier, à laquelle la censure encore en vigueur en Espagne, imposait bon nombre de contraintes, est aux antipodes de celle d’Arrabal.
Si Arrabal dit qu’il s’intéresse au cinéma car « c’est un art métaphorique », il est clair que la métaphore n’a pas chez l’un et chez l’autre la même fonction. Chez Saura, c’est une façon de contourner la censure, chez Arrabal, c’est une manière de nous représenter son univers. Il ne s’agit pas, non plus, de faire du lieu où Arrabal a choisi de situer son exil, un lieu idéal de tolérance. Arrabal raconte lui-même les pressions, plus ou moins amicales, mais pressions tout de même, auxquelles il fut soumis de la part du Ministre de la Culture de l’époque[19], qui cherchait à lui faire supprimer quelques scènes jugées particulièrement scabreuses. Devant le refus de l’auteur, le ministre battit en retraite, le film fut présenté à Cannes puis diffusé dans les salles avec un succès important.
La France d’après 68, encore bien pensante était, toutefois, une terre plus accueillante qui a permis à Arrabal de nous raconter le drame vécu par Fando (et en partie par lui-même) avec toute la violence qu’il souhaitait y mettre et le mépris d’un régime franquiste qu’il voulait exprimer. L’exil, en même temps qu’il le protège, lui permet de porter un regard distancié sur son vécu.
Au moment où la liberté de création est fortement remise en question au nom d’une correction morale souvent quelque peu rétrograde, pensons aux récents incidents survenus à Avignon autour d’une œuvre photographique d’Andrés Serrano, ou des œuvres de Larry Clark, au Musée d’art Moderne de la Ville de Paris, il y a quelques mois, il était important de montrer ce qu’un artiste exilé pouvait exprimer, il y a quarante ans dans une France, terre d’accueil universel.
Artiste aussi controversé que Pasolini, dont il est le contemporain et auquel il peut parfois faire penser, Arrabal est aussi profondément politique que joyeusement ludique et aussi sarcastique que pouvait l’être Fellini. A l’instar du reste de son œuvre, ¡Viva la Muerte ! demeure un film choc et l’un des pamphlets les plus violents et provocateurs contre la dictature franquiste.
[1] Arrabal, cinéaste panique, 2007, film écrit par Emmanuel Vincenot et réalisé par Ramón Suárez.
[2] Ibíd., 30’50’’.
[3] Ibíd., 16’56’’.
[4] Ibíd., 1h14’49’’.
[5] NO-DO, Noticiario Documental.
[6] Ibíd. 30’40’’-32’29’’.
[7] Negrín, chef du gouvernement de la République. Il préconisait la consommation de lentilles, pour leur haute valeur nutritive, pour lutter contre la pénurie.
[8] Ibíd., 24’.
[9] Ibíd., 59’40’’.
[10] Ibíd. 55’.
[11] Ibíd. 50’.
[12] Ibíd. 24’50’’
[13] Ibíd. 33’35
[14] Ibíd., 1h19’46’’.
[15] Fernando Arrabal, Carta al general Franco, Paris, Union Générale d’Editions, 1972, 168
En este clima de opresión yo me ahogaba literalmente como no podía respirar espiritualmente, terminé por tener dificultades pulmonares y por fin caí tuberculoso. Nuestros pulmones se poblaban de ropa vieja y de excavadoras sedientas. Por aquellos años tomé la quijotesca decisión de ser escritor en España sin renunciar a mi independencia, a mi libertad. Empresa que jamás consiguiría. Tras veinte años escribiendo… nunca he podido ser escritor en mi país
[16] http://www.larousse.fr/encyclopedie…
[17] Arrabal cinéaste panique, 30’50’’.
[18] Ibíd.
[19] Le ministre français de la Culture était Jacques Duhamel.