Oui, Martin Marcos était et est un inconnu. Bientôt on le connaîtra comme l’un des plus grands poètes de sa génération.
Et le plus remarquable. Il a été ce que je veux être sans y parvenir: un saint laïc, un juste civil. Dans tous les siècles des siècles.
Quelle perte irrécupérable pour ses amis. Pour Michel Houellebecq, Vassily Ivanchuk, Thieri Foulc par exemple. Et pour moi. Et pour la poésie. Et pour nous tous, qui avons eu l’immense bonheur et le prestigieux honneur de le connaître côtoyant des paradis
Il a été plus écrivain et plus poète et plus humain que nous tous qui allons lui survivre. Et, bien évidemment, infiniment plus que moi.
C’était un ouvrier, un bûcheron, surtout. Et, en outre, un sage, un scientifique, un joueur d’échecs, un pataphysicien, un Job, un voyageur, un philosophe. Et mille autres choses. Il a su tout faire mieux que personne.
Il avait trouvé l’art de rire, d’écouter, de caresser des chats quantiques, de parler de Spinoza avec tendresse et de Wittgenstein en connaissance de cause, de déverrouiller les hermétismes, de dormir sur le trottoir d’une grande ville, d’analyser un mat de Magnus Carlsen, de laisser passer le temps en ondulant, de ne pas se soucier de ce qui ne le souciait pas, et de s’intéresser à ce qui l’intéressait.
Il parvenait à amarrer les réussites à son existence toutes voiles déployées. De sa chaumière errante, il nous éblouissait.
Il a été le Peter Pan du greyhound, le cofondateur de la Ligue des poètes, le tournoyeur d’éternités en si bémol, le haïkuman sans nombril, le Hölderlin de son époque, le Thoreau de la poésie, le Gödel des sonnets.
Nous n’avons jamais su s’il avait effectué un quelconque choix religieux ou politique, rien de cela ne venait à son esprit ni à son cul.
Il nous comblait de prodiges (en silence) et par sa leçon de vie quand il traversait ses périodes d’ouvrier au chômage ou qu’il vivait un moment de jubilation comme champion de lever de poutres.
Il n’a jamais rien demandé ni à moi ni à personne. Il ne savait que donner.
Je l’ai vu à Florence ou à Chicago avec la même chemise et le même sac à dos, chargé de livres jusqu’aux sourcils. Il voyageait dans des charters dangereux et très bon marché sans pénétrer dans des labyrinthes de carte postale.
A Paris ou à Poggibonsi, à Brnö ou à New York il a coudoyé les plus humbles et les plus prestigieux, Edoardo Sanguineti, Benjamin Ivry, Antonio Garrigues Walker, Javier Esteban, Raul Herrero ou Antonio Bertoli; l’épouse du président de la république chypriote ou la ministre de la Culture espagnole travestie en républicaine ; le clochard mystique ou le homeless alchimiste; l’adolescente folle ou le surdoué autiste. Avec tous il dialoguait aussi simplement qu’il le faisait avec les scorpions ou le ketchup. Il parlait, par exemple, du principe d’incomplétude ou de la couleur des épis.
La dernière fois que je l’ai vu nous avons mangé des œufs brouillés. Et il les a dégustés royalement. Parce que c’était un roi. Celui de la poésie.
Il est mort à 47 ans, comme il a vécu, exceptionnellement.
Un accident du travail l’a tué alors qu’il exerçait son « gagne-pain » d’ouvrier: de bûcheron.
Il était en train de travailler dans les bois avec une pelleteuse. Il s’est définitivement occulté à 4 heures et 7 minutes de l’après-midi comme celui qu’il avait toujours été malgré la richesse infinie de son œuvre. Comme le poète pauvre et maudit de son époque.
Martin Marcos n’aimerait pas savoir que nous sommes dévorés de tristesse. Il serait effrayé d’entendre qu’il nous cause une douleur que nous ne croyions jamais en venir à éprouver.
Il s’en est allé en marchant, marchant, marchant vers le Soleil.
Là-haut il trouvera son séjour… divin! Comme toujours et partout.