Brûlons les e-books. Organisons des e-todafés. Il se passe quelque chose, ces temps-ci, qui démontre la confusion intellectuelle de l’époque. On veut, à toutes forces, à tout prix (c’est-à-dire « modique ») nous faire acheter des tablettes numériques au prétexte qu’elles sont révolutionnaires, pratiques, faciles, j’en passe. Qu’on nous en vante les qualités paraît normal. Ce qui est plus troublant, c’est qu’un des arguments de vente soit quantitatif : un e-book contiendrait, contiendra, contient des millions d’ouvrages. La belle affaire. On ne mesure pas une civilisation à sa capacité de stockage. Mais, bien au contraire, à sa capacité de pouvoir se soulager de son propre sang, à sa capacité de pouvoir s’alléger de ses propres stocks, de ses milliards de milliards de références. Une société qui va bien n’est pas une société dans laquelle tout est gardé, sauvegardé, accumulé, stocké, répertorié, emmagasiné. Il s’agit, pour avancer, de se délester du poids des documents, des monuments, des volumes. Les œuvres, comme les êtres vivants (mais une œuvre est un être vivant) doivent avoir un destin, c’est-à-dire une naissance, une vie et une mort. Leur itinéraire doit avoir un début, un milieu et une fin. Cet infini stockage, cette sauvegarde universelle et absolue, ce sauvetage permanent, cet archivage fou n’a aucun sens, si ce n’est souligner la maladie historiciste, historicisante, qui gangrène le monde moderne.
Ce qui compte, c’est la diffusion de la parole. Cette parole est plus forte que la plupart des ouvrages, qui par ailleurs ne la diffusent pas. Un livre contenant une parole, transmettant une parole, autrement dit un livre qui pense, parviendra toujours à se faire connaître, à persévérer dans l’éternité, à se frayer un passage dans le temps, à se hisser jusqu’à la postérité, qui transmettra à la postérité suivante, et ainsi de suite. Que des ouvrages, dans cette diffusion de l’essentiel, de la parole qui dit, de la parole poétique (celle qui pense), restent en rade est inévitable ; est, à vrai dire, heureux. N’aggravons pas l’état des stocks. N’encombrons pas les mémoires, ni la mémoire. Nous vivons dans la fiction suivante : « ces archives serviront un jour ». Sauf que les historiens n’ont pas à prendre le pouvoir : pour respectable que soit leur science, elle n’est qu’une science.
La science, hélas, n’accompagne pas l’éclosion de la parole, du dire, de la pensée. La pensée est ailleurs. L’histoire, avec sa manie de l’empilement, de la capitalisation des données, de l’obèse accumulation des détails et du moindre fait, participe d’une saturation universelle que rien, jamais, ne revient mettre en cause hormis, puisque ce temps viendra, la mort de la civilisation qui l’abrite et dont on ne doute pas que, telle la grenouille de La Fontaine, elle finira par exploser d’indigestion.
Internet, soi-disant, le numérique, soi-disant, incarne la fluidité absolue, la légèreté suprême : on est dans le liquide, dans l’aérien ; eau et plume. Tout circule, tout slalome, tout se faufile. Rien, en vérité, n’est plus faux : jamais quantité d’information ne fut plus importante, plus imposante, jamais les individus n’ont été, depuis la création du monde, affublés d’une masse de renseignements aussi énorme, aussi gigantesque, aussi ineffaçables, sur eux-mêmes. Internet recueille sur votre compte des mégatonnes de données que rien jamais ne vient gommer, alléger, filtrer, nettoyer, astiquer, aérer, épurer, nettoyer. On actualise, mais les strates restent, empilées comme des assiettes. Chacun devient son propre pachyderme. Se déplace avec ses montagnes de mots, de descriptions, de jugements. Quant au moindre événement, il est source de millions d’avis, d’analyses, de commentaires, de descriptions, de témoignages, de récits, de négations, d’affirmations, sous lesquels c’est la réalité elle-même qui semble crouler, et la vérité s’effacer.
La véritable révolution serait, non pas de pouvoir amasser, emmagasiner des centaines de milliers d’ouvrages sur une tablette lumineuse, mais au contraire d’accepter, sans pleurnicher, que les livres meurent, que seuls quelques uns subsistent, sans obéir à d’autre logique que leur propre mystère et que leur seul pouvoir immanent, contre lesquels personne ne peut rien. Ce n’est pas nous qui faisons qu’une œuvre perdure : c’est l’œuvre elle-même. Elle brave le temps, nargue les modes, et nous traverse, et nous transperce : elle est parole, cette œuvre. Fluide, le net ? Rien n’est plus encombrant. Rien n’est plus massif. Rien n’est plus mastoc. Rien n’est plus roc. Rien n’est plus amoncellement. Rien n’est plus gros monument. Rien de plus granitique que le Web.
Seulement, le gogo, satisfait d’avoir tout à portée de main à tout moment, vit dans la fiction que ce tout lui parle, et qu’il parle à ce tout. Ce tout, qui n’est qu’effleuré, est une matière qui, comme tout ce qui est granit et pierre, se refuse, se tait, reste close, à la manière des tombeaux. L’accessibilité aux réservoirs galactiques de la connaissance humaine interdit tout accès à la simplicité de la parole. L’e-lecteur fait face à une tour de ciment remplie de livres qu’il ne lira que fantasmagoriquement, qu’hypothétiquement, que virtuellement.
Qu’on ne vienne pas, surtout, nous vanter les fabuleuses possibilités de l’intertextualité, cette joyeuse trouvaille qui permet au texte de s’échapper à lui-même, de glisser sous lui comme s’il était son propre savon. D’un instant à l’autre, le texte se transforme en autre chose que lui-même, il s’évade de son propos, il échappe à son contexte pour aller courir ailleurs, il s’arrache à sa pensée pour penser autre chose qui ne pensera d’ailleurs pas : un dessin, une photo, une illustration, un film, une « explication ». Le hors-texte devient plus important, plus attrayant surtout, que le texte d’origine. Tout est mis en branle, évidemment, pour que ce que le texte voulait dire ne soit jamais entendu, pour que ce qu’il fallait vraiment lire ne soit jamais lu. Il s’agit de couper la parole au texte. De couper la parole du texte. L’hyper-textualité, ce gadget ignare, signifie la mort de la littérature : l’e-book est le tombeau de l’écrivain puisque le texte s’y envole, s’y abandonne lui-même, s’y ennuie avec lui-même.
A peine téléchargé, le roman pense à un autre roman que lui-même, il cherche un prétexte pour s’ouvrir vers autre chose, vers des horizons plus drôles. Tout est toujours renvoyé à tout, selon un parcours tacite qui irait, pour le dire vite, du plus ennuyeux au plus divertissant. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la littérature doit être quelque chose d’un peu plus divertissant que la littérature. Pour ce, il faut qu’elle accepte de s’abandonner un peu. Le lecteur d’e-book est heureux de pouvoir, sans cesse, passer à autre chose. Exactement comme il a peur de rester seul avec lui-même, il a la trouille de se retrouver tout seul en face d’un texte qui n’offre d’autre échappatoire, d’autre échappée que lui-même. Le lecteur, qui ne tient pas en place, a fini par mettre au point un texte qui lui-même ne tient pas en place. Un texte qui s’extraie de lui-même. Un texte qui démissionne de lui-même. Un texte qui quitte son navire. Un texte qui se vend à l’ennemi. Un texte collabo qui couche à la première occasion avec le plus petit divertissement venu. Les e-lecteurs ne sont pas des lecteurs : ce sont des liseurs. D’ailleurs, ils sont équipés d’une liseuse. Ce n’est pas simplement le livre qui disparaît avec l’e-book, c’est la littérature.
Nous sommes entrés dans l’ère de la lecture liseuse, lisante. On ne lit plus pour s’évader, mais pour s’évader de la lecture elle-même. On est passé d’un lecteur évadé à un lecteur évasif. Il n’est pas question, ici, de défendre un fétichisme du livre imprimé, avec sa texture, son odeur, sa chair, etc. Je ne suis pas, je n’ai jamais été bibliophile. Non, je parle d’autre chose. Les e-lecteurs ne pourront, hélas, comprendre de quoi il retourne. Je parle d’une chose qui s’appelle la rareté face à cette autre chose qui s’appelle la quantité. Je parle de la mémoire et non pas de l’histoire. Je parle de soulagement et non pas de l’empilement. Je parle de liberté et non pas de fétichisation. Je parle d’aération et non pas d’historification. Je parle de littérature et non pas de modalité de lecture. Je parle de parole et non pas de luna-park littéraire.
Tous les satisfaits de la technologie, les petits chantres gais du computing planétaire, fixés béats sur les innovations qui pleuvent et le réclament immédiatement de l’argent, tous ceux-là, manipulés par la ruse de la raison commerciale, éblouis par la ruse de la raison progressiste (le progrès n’existe jamais) me lanceront cet anathème (c’est l’anathème des sots) : « réactionnaire ». Que répondre à des visionnaires aveugles ?
Conserver l’inconservable. J’ai mais je n’ai pas. Dans ma tablette un millier d’ouvrages. Tous empilés les uns sur les autres. Je lis une page mais je les lis toutes à la fois. Pour moi plus de différence entre Ulysse de Joyce et le livre de ma mère d’Albert Cohen. Même format même poids. Pour tout dire je ne sais plus quand le livre commence et quand il termine. Je ne peux plus à souligner les phrases qui me plaisent ni faire une encoche sur une page mémorable. J’ai perdu la capacité de mettre une page de couverture, une illustration sur un livre. Il n’y a plus d’odeur à la lecture. Je ne lis plus qu’avec les yeux. Complètement désacralisé le livre n’est plus rien d’autre qu’un vulgaire fichier.
Par ferveur écologique, la nouvelle religion qui fait légion, on réussit à ne plus massacrer d’arbres. Mais on massacre bien plus: l’homme! L’humain plus précisément. L’homme par nature est instable, imparfait, souvent médiocre mais c’est ce qui constitue son humanité. De même le livre. Il est faible, fragile et délicat. La tablette, le robot qui finira par remplacer l’homme donc, est constante, inébranlable et jamais défaillante. Entre le livre et l’homme est un lien intangible. Quand le livre disparaîtra l’homme sera déjà sur le chemin de la robotisation, de la mort, de sa disparition.
[…] pour ce genre de situation : on appelle ça des liseuses, des readers, des eReaders (parfois des ebooks, mais oublions […]
Que tout le monde se rassure, d’ici quelques annees le probleme des liseuses sera eclipse par celui des ecriveuses, ces machines qui seront capables de pondre un article comme celui-ci juste en appuyant sur un bouton, et en faisant croire qu’il y a une reflexion humaine derriere.
La on va bien rigoler…
Tous les livres de Yann Moix sont disponibles en version numérique, et son éditeur ne l’a pas torturé pour qu’il accepte.
Pourquoi tant de haine, et surtout d’ignorance et de mépris ?
Je soupçonne une bonne part de provoc gratuite et primaire, car faire passer des LECTEURS pour des demeurés comme vous le faites, il faut soit en tenir une sacrée couche, soit faire de la provoc gratuite et primaire. J’avoue, j’hésite fortement entre les deux. En tout cas, billet hilarant, merci, car essayer de faire de la littérature sur ce sujet, chapeau !
En langage familier on appelle ça se masturber le cerveau. Bon moment de rigolade à partager entre « liseurs ».
Ce qui est insupportable chez M. Moix, c’est qu’il prétend savoir ce que les utilisateurs (« gogos » et « béats ») des outils numériques pensent, et comment ils s’en servent.
Arrogance, superficialité, facilité, mais surtout incapacité à réfléchir intelligemment sur le phénomène. Quelle misère.
Tandis que je parcours ce salmigondis, une petite fenêtre apparaît sans cesse pour me demander de « liker » et de devenir « ami » de La Règle du Jeu sur Facebook ; M. Moix n’est pas à une contradiction près.
Votre combat, si c’en est réellement un, est déjà perdu, Yann Moix.
A propos, où en est votre procès contre Wikipédia ?
J’adhère moi aussi plutôt au début du pamphlet, nettement moins à la fin. On y mélange un peu tout aux seules fins d’arriver à la conclusion pré-établie, mais laquelle tend au soupçon d’intention, et c’est dommage.
1) Le moyen, le support, qui comme le dit Loïc, vous permet *aussi* de lire exactement comme vous le faites pour un livre papier.
2) La façon dont la massification de la société l’information fait émerger des problématiques de « renvoi perpétuel à autre chose ». Zapping, économie de l’attention. C’est très vrai, sauf que cela ne repose absolument pas sur le seul e-book (qui n’en est qu’un effet parmi d’autres) : ces questions on peut se les poser par exemple au sujet des savoirs scientifiques et de leurs interactions. Regarder les courbes démographiques de la population mondiale, est sans doute, en soi, un début d’énoncé du problème. Le monde croît et change. Peut-on, doit-on, s’y opposer, et comment ? Personnellement je n’ai pas la réponse. Supprimons les e-books et tout ira mieux ? J’en doute…
3) Et les enjeux commerciaux, qui ne sont pas toujours / pas toujours directement sous-jacents à l’innovation. (cf. l’exemple de pradoc)
Quoi qu’il en soit merci pour cet excellent billet !
En fait, ce que nous appelons « édition numérique », et qui n’est en réalité que la continuation du marché du livre, masque les véritables enjeux et ne représente que la partie émergeante de l’iceberg. Voir ici mon point de vue http://ple-consulting.blogspot.com/2012/01/semaine-0452-edition-numerique.html
Cher Yann, bien que je partage votre préférence pour le livre papier et que je n’aime point les zélateurs de la modernité technique à tout prix, il se trouve que vous partagez en partie l’e-stupidité de ces zélateurs.
En effet, vos préventions deviennent e-stupidités quand vous rejetez la technique comme certain l’adopte, aveuglément.
Vaut-il mieux lire BHL sur papier ou Jurgen Habermas sur ebook ?
Vaut-il mieux lire Guillaume Musso sur papier ou Samuel Beckett sur ebook ?
Vous me faîtes pensez à Patrick Grainville, il y a trente ans, qui se révoltait contre les livres formats poche (qui désacralisaient le livre), ou encore à notre ami Finkielkraut, le philosophe des plateaux télé, qui condamne (sans rire) internet, à cause du torrent de boue qui y coule… rien que ça !
Et bien moi, je condamne l’objet livre, car Mein Kampf était un livre et je condamne l’automobile car les gens qui ont visité mon pavillon le mois dernier se sont servis de cet objet du diable. Je condamne la radio, la télévision… sans oublier la photocopieuse, qui a servi, parfois, à certains antisémites pour multiplier leurs tracts dégueulasses.
La critique d’un nouvel objet ou média culturel est une attitude saine (cf. le génial livre de Neil Postmann : Se distraire à en mourir), mais encore faut-il plus de nuance et de discernement que le brouet développé ci-dessus.
Votre obligé.
Les e-crivains n’existent pas moins que Voltaire ou Molière. Leur pseudonyme n’est pas plus abstrayant que le patronyme d’un autre. D’autre part, il serait présomptueux de la part de l’e-monde de s’imaginer qu’il en a accouchés. L’écran est la fenêtre d’un Train de Vie. L’e-crivain se trouve quelquefois quelque part sous le nez d’un passager flou. L’e-train qui passe, l’e-crivain qui passe. Il arrive même que des e-crivains soient des écrivains. Des écrivains qui se faufilent dans le labyrinthe de l’e-monde comme tout autre auteur traverse une bibliothèque. La vraie vie des uns comme des autres qui n’en sont qu’un est ailleurs. Là où était Gregor Samsa de son vivant.
Le Petit Moix a encore frappé (mon imagination).
Oui, il faut bruler tous les systèmes accumulateurs comme la bibliothèque « Mitterand », les batteries de voitures et le cerveau de Moix, la plus grande réserve d’idées tordues !!!!
L’acte de foi ardente brûle de désir pour ce qu’il n’est pas. Torquemada ou Savonarole s’autodamnaient en se targuant de faire eux-mêmes le boulot de leur Boss. Les livres sont sacrés. Les grands comme les petits. Les méchants comme les justes. Ils contiennent la mémoire humaine. Sont-ils bons à mettre dans toutes les mains? Pas davantage que de la matière fissile. Les mauvais livres, eux, n’en sont pas. On ne brûle pas ce qui n’est pas. Mais la question elle aussi est ailleurs. Chef-d’œuvre ou hors-d’œuvre, le livre n’est pas présent dans l’e-book, il s’y reflète comme dans une flaque. Or dans les plus démentes dispositions du monde, je ne réussirais pas à diluer la lune en sautant à pieds joints dessus. L’e-book n’est pas plus le Bouc que son e- n’est un nid. Ou peut-être, alors… un piège à coucou. Conçu pour médier les œuvres qu’il pond sans remédier aux maladies qu’il couve, il s’expose à refiler ses virus à ceux qui picorent la prunelle de ses yeux. Il représente l’e-vers de l’un-ivers. Un hivers sans l’Un, et par voie de conséquence, dénué de Tout ce qui fait la beauté des petits riens. Son brûlement sera nécessaire au plan métaphorique, en ce qu’il nous redonnera la main sur un e-monde inverti sous lequel on ne disposait plus que d’une flèche ou d’un gant de Mickey à glisser. Mais son brûlement ne sera pas nécessaire, car son immolation a été programmée. C’est son électronicité qui le perdra. C’est d’ailleurs dingue que nul nerd n’ait vu venir l’avatar! Les CD sont déjà décédés. Un hard drive se vide de plusieurs millions de fichiers pour une simple manip’ de malheur. Un Anonymous peut dérober la Bibliothèque Nationale à seule fin de dépasser le score d’un Anonymous. Les aban(données) de l’e-Tour Mégaton sont vouées à disparaître suite à l’effondrement de n’importe quel étage entraînant tous les autres vers le même point zéro. Et malgré cela, l’information homme s’informaticise et s’informe de tout comme un non-ruminant prendrait le risque d’avaler sans préalablement mâcher. Max Brod est mort après Kafka. Les tablettes ne se sont allumées que pour s’éteindre. Elles montrent, au moment où je me montre, un être impubliable. Ce que les réÉditeurs de la néoInquisition avaient cru réussir à enterrer vivant. Un livre est un dibbouk. Un squatteur de corps. Une fois qu’il en a pris possession, son âme n’en sort plus avant de se sentir prête à remonter prendre place dans son Sac. Cette âme vagabonde s’échapperait de son auteur quand même ce dernier serait demeuré vivant. On peut ainsi faire se rencontrer un homme et son propre dibbouk. Alors, le vivant va faire l’expérience du premier stade de son au-delà. Un stade d’errance momentanée, où l’extensibilité du moment oscille entre quelques instants et quelques ères via quelques époques. Là, il se verra montrer ses vrais visages. Un faces à face décontenançant mais instructif. La lecture sur écran est ce qui se rapproche le plus de la lecture sur rouleau. À ceci près qu’un Séfer Tora se déroule de la droite vers la gauche quand une édition Microsoft du Pentateuque défile du haut vers le bas. La conscience de l’endroit où l’on se situe dans un livre numérique ne se base pas sur la perception du volume de pages mais sur la perception du numéro de la page lue. La mémorisation d’une parasha visualisée à une page enroulée doit nécessairement intégrer son rapport aux diamètres des deux rouleaux du Séfer. La photographie mnémonique d’un paragraphe visualisé à une page défilante comprendra la mémorisation du numéro de page et une estimation du nombre de pages ayant été lues avant et après celui-ci. Le volume du nombre de lettres englouties représente la véritable épaisseur dont un livre laisse trace dans la conscience du lecteur. Ce nombre ne change pas que l’on enregistre sa guématrie depuis une pile de feuilles ou en face d’une interface. Les livres ne sont pas dans l’e-book. Ils sont un peu plus haut. Patience…. L’autadafé des flaques où se reflètent les livres se fera tout seul, plus ou moins vers midi.
Il y a des pours et des contres. Dans tout ça, moi j’observe l’aspect pratique de l’e-book.
« Ce n’est pas nous qui faisons qu’une œuvre perdure : c’est l’œuvre elle-même. » Je ne suis pas d’accord. C’est la responsabilité du lecteur qui fait qu’une oeuvre perdure. Aussi, Francis Scott Fitzgerald a failli ne jamais être lu. Il a été repêché par quelque lecteur responsable ; je me réfère à Marguerite Yourcenar qui disait « un bon lecteur est un lecteur qui relit/relie ».
Que dire de plus? Si la responsabilité du lecteur n’est pas en question et que l’oeuvre est oeuvre pour être oeuvre sans être lue… nous prendrions le risque de perdre trop de vérités que les lecteurs, en grands responsables, doivent aller repêcher, découvrir, relire, déconstruire et j’en passe.
Rien de plus à ajouter ce me semble. Je comprends bien la dangerosité du numérique etc. On arrête pas le progrès mais cela ne nous empêche pas de penser. Le progrès qui empêcherait de penser n’en serait pas. Chacun est responsable des outils du progrès.
Prudence, donc.
Mais fiche nous donc la paix et occupe toi de ta bibliothèque!
PS: brûler les e-book est TRES mauvais pour l’environnement. Il faut les confier à la filière de destruction ad hoc.
Attention! Voilà qui est grave, Loïc. Ce n’est pas à la littérature ni même au livre de se donner, de se métamorphoser pour plaire à un plus large public. Moins de personnes lisent. Très bien.
Le livre ne se livre pas. Il se conquiert, se combat même. Le fait de tourner la page est une bataille de gagnée. Et à force de batailles c’est la guerre que l’on gagne.
Le sac de l’élève est lourd? Peut être cela donnera t-il un amour de l’effort à l’enfant, dans une société où l’enfant ne connaît pas de besoins. J’estime que l’enfant est surprotégé, protégé du monde qui l’entoure et par là même, protégé de lui même. Il faudrait le protéger de cette protection. À l’heure où la fessée est un délit (et je n’aborde même pas la bonne vieille gifle qui ne m’a pourtant pas traumatisé), nous allons vers un monde nettoyé, propre, carré, repassé, désinfecté, vermifugé et je dis merde à toute cela. Je dis merde à cette odeur de plastique tout neuf qui prend à la gorge et accouche des monstres sacrés actuels de la littérature et j’ai nommé notre maître à tous, le grand, l’extraordinaire, le seul, l’unique Marc Lévy.
Arrêtons de nous plaindre. Vive Gibert et Boulinier et merde aux ignorants et aux cons.
M. Moix.
Je vous écoute régulièrement chez Ruquier, ainsi que dans les émissions de TV auxquelles vous participez. Je vous y apprécie.
MAIS…
Les propos que vous tenez ici me choquent, car ils auraient pu être tenus (et ils l’ont été) lors de l’invention de l’imprimerie (et donc du livre sous la forme qui vous convient tant, et même lors de l’apparition du livre de poche…
Or, toutes ces inventions doivent être prises pour ce qu’elles sont, et pas excommuniées pour ce qu’elles ne sont pas !
Elles sont des vecteurs de cette parole, de cette pensée, et aussi de cette littérature que vous citez. Elles n’ont jamais empêché un ouvrage de naître, vivre ou mourir !
Un texte intéressant (peut être pas le même à vos yeux et aux miens) le sera, quel que soit le support, et, s’il peut être effectivement stocké sur une tablette numérique au même titre qu’un texte « à oublier », il sera le seul à survivre réellement dans le monde numérique, comme dans le monde du papier…
Une question, cependant : que deviendra le titre de « Farenheit 451 » dans votre vision de l’UE-todafé ? Je ne connais pas la température du point d’auto-inflammation d’une « liseuse »…
Cher Yann,
Autant je comprends et j’adhère à votre vision du monde moderne et de sa gangrène historisante, autant, selon moi, l’e-book n’est pas si diabolique que cela. Vous parlez d’aération, mais un ebook ne représente finalement qu’un gain de place. Ce n’est pas parce qu’un lecteur dispose sur son e-lecteur de dizaines, centaines voire milliers d’ouvrages qu’il ne sera pas capable d’en apprécier chacun et de réfléchir par rapport à ses lectures.
En tant que « satisfait de la technologie » et encore étudiant, je vois surtout en ces tablettes, l’occasion de faire un pas en avant, un progrès dans le domaine de l’éducation. Le livre est presque désuet maintenant. Pour attirer la jeunesse, il faut utiliser les moyens qu’elle apprécie. Dans leur plus jeune âge, les enfants apprennent l’alphabet avec des cubes, apprenons-leur ensuite la littérature avec des tablettes, qui peut également être une interface de jeu. L’austérité des « livres sans images » pourrait alors bien disparaître. Enfin, dans un contexte plus pratique (but ultime du progrès), les tablettes permettraient également de faciliter la vie des ménages et des enfants, en évitant d’acheter des dizaines de manuels scolaires, qu’il faut couvrir, rendre en parfait état et porter chaque jour, malgré leurs poids scandaleux. Cet argument n’aura peut-être pas de valeur à vos yeux, mais il pourrait bien être l’une des principales raisons du succès des tablettes pour la jeunesse.
On peut gloser tant qu’on voudra, mais un Kindle par exemple permet de télécharger tous les classiques tombés dans le domaine public gratuitement. Voilà un argument de poids, me semble-t-il.
D’ailleurs, grâce à ma tablette je découvre enfin Moby Dick.
Ah bah votre bon vieux PC fait tout aussi bien.
Le confort de lecture d’une liseuse est incomparable à celui d’un PC