Et le ministre de l’Education nationale qui dit, qui clame : « oh, très sévère je serai ! Oh ! Hé ! Que la fraude je n’aime pas… Punissons-la, citoyens. Traquons-la mes camarades. » Je sais bien que Luc Chatel n’est pas un homme à utiliser des mots comme « camarades », et je sais aussi, ce qui n’a point de rapport avec notre sujet, que nous n’entendons plus guère parler de Philippe Chatel, son homonyme chanteur, qui dans les années 80 (à la fin des années 70 plus exactement) écrivait des opéras gentils sur sa fille, des comédies musicales sur sa fille, sa fille Emilie : Emilie Jolie. Cela fait longtemps, je pense, qu’elle a dû passer son bac Emilie Jolie. Quelle filière ? Mention ? La fac après ? Il faut diligenter une enquête ; je demanderai à mon ami Laurent-David Samama de s’y pencher avec le sérieux, vertigineux, que nous lui connaissons-reconnaissons par ici.
Bécaud chantait, c’était il y a longtemps (dès que Bécaud chante, c’est il y a longtemps), que « l’amour est mort ». Mais le bac aussi, depuis longtemps aussi. L’amour et le bac sont-ils morts en même temps ? Le même jour ? Samama nous le dira bientôt ; il a l’âme bachelière, bosseuse. Luc Chatel, donc : cherche à punir, à savoir qui, comment, pourquoi a commis des fuites. Convoquer les coupables, désigner les tricheurs. Sanctionner, peut-être exécuter ceux qui ont photographié une épreuve de mathématiques ; au bac S. Le premier exercice – en général le plus facile.
Le plus facile dans une épreuve devenue très facile : les maths au bac S, ce sont désormais des QCM. On veut chercher, pendre, ébouillanter les tricheurs. Mais les tricheurs c’est l’éducation nationale : qui passe le bac à tout le monde. Les véritables tricheurs, ce sont ceux qui donnent et bradent ce diplôme qui n’existe plus. Pourquoi punir ceux qui troublent les règles d’un jeu qui n’existe plus ? D’une réalité qui existait, qui n’existe plus. Pourquoi punir ceux qui transgressent une épreuve qui ne sanctionne rien ? Une épreuve qui n’éprouve plus rien. Pourquoi punir des jeunes qui saccagent une difficulté qui n’est pas, qui n’est plus difficile ? Pourquoi, cher Luc Chatel, poursuivre des gens qui humilient un examen qui n’humilie plus. Pourquoi, cher ministre, mettre en examen des lycéens qui ont voulu court-circuiter une diplôme que même obtiennent les poissons rouges, les méduses, les bœufs, la mère Michel, son chat ?
Le bac est donné ; il peut bien être vendu – nous nous en fichons. Tricher pour obtenir quelque chose que l’on donne, c’est de l’art ; et punir ces artistes-là, c’est de l’art absurde. Il s’agirait, bientôt, de comprendre que le bac, cette réalité devenue fantôme, n’a plus comme espoir de survie que le suivi, l’intelligence, le contrôle continu : tout bachotage, par cœur, récitage, ânonnement serait ainsi supprimé. On veut sévir sur la forme, mais le fond est idiot. On veut faire des exemples, mais on ne le donne pas.
Les tricheurs n’ont rien fait de mal : toutes les matières, toutes les épreuves dans toutes ces mêmes matières, sont symboliques. Il suffit, pour avoir, pour obtenir le bac, aujourd’hui, de poser sa lycéenne fesse sur le banc public d’une salle surveillée : et tu es reçu, tu es paré pour la vie, paré de pacotilles, de vent, mais reçu. Sur quels rivages aborderas-tu, jeune gars ?
Chatel, Luc : entend punir des gens qui trichent à une épreuve qui n’est même pas sanctionnée. Un exercice où tout le monde, en France, aura 19, ou bien 18, peut-être 20. Tout est noté sur 100, sur 1 000. Il y a les nuls qui trichent et les nuls qui ne trichent pas ; les médiocres d’hier visent en 2011 la mention bien. Les bons élèves d’hier ont 20 partout en 2011, avant même de s’asseoir, ils ont 20 sur 20 dans le taxi, dès le taxi ils sont reçus, ils ont « mention très bien dans le métro », dès Châtelet, dès le métro, lauréats dès le bus, lauréats la nuit, 20 sur 20 la veille au lit, en dormant, en flirtant, en se couchant, en se brossant les dents.
Est surdoué, en 2011, quelqu’un qui rend sa copie sans commettre de faute d’orthographe à sa propre adresse, à son propre prénom, à son propre nom, à ses propres prénoms et noms de parents ; Luc Chatel veut punir des gens qui ont voulu voler du vent, oui c’est cela, prélever dans un petit minuscule flacon un morceau de vent, prélever dans l’océan une fiole, une pipette d’eau de mer. La fraude est ailleurs : faire semblant de faire plancher des lycéens lors d’une fausse épreuve faussement sanctionnée, faussement corrigée, par de faux profs collabos, des profs démissionnaires, de jolis jolis jolis trouillards de profs, des profs résignés, fatigués, suraigris, embourbés dans leurs sempiternels jolis besoins de jolies vacances jolies. Ils suivent, les profs. Ils obéissent de partout, se baissent, s’abaissent, distribuent les 19 sur 20, les 15 ou 14, c’est la même chose, tout ça n’est pas bien grave, ils mettent 20 à Bécaud et 20 à la Star Ac, 20 à De Niro, à Marx, mais 20 aussi à Marc Lévy, à Oui-Oui, à Fantômette et ses amies.
Comme on ne sait plus rien inculquer aux élèves, on fait mine, c’est tout ce qui reste, de vouloir leur inculquer un brin de morale.
En 2011, on ne passe plus le bac. C’est le bac qui nous passe dessus. Luc Chatel aboie, les bacs passent, se passent, se repassent, comme des tuyaux.
Amen.
Sarkosy et Chatel des massacreurs de l’Education Nationale. Tu es très exigeant en ce qui concerne ton corps disait Socrate, mais tu confies ton âme à n’importe qui. Il avait raison.
Quelle poésie, mais quel mépris. Vous vous emballez ! Du calme ! Un peu de réflexion n’aurait pas été de trop, avant de déverser votre hargne, sur un sujet malgré tout pas si capital.
Vous oubliez que l’on peut être reçu au bac avec une moyenne de 21/20 !! c’est le surréalisme dans sa splendeur, un bac en forme de poire…
Cher Yann Moix, vous vous êtes trompé de fichier. L’article destiné à réjouir les lecteurs de Causeur s’est retrouvé sur le site de l’honorable RDJ.