Delhi, vendredi soir, 21 heures 30, suspendus à CNN, nous voyons la place Tahrir exploser en cris libérateurs. « Breaking news, Moubarak steps down ».
Dans la même pièce où je suis aujourd’hui, en I989, de la chute du mur de Berlin, j’étais suspendue aux nouvelles; sur Doordarshan, l’unique chaîne de télévision indienne, l’information avait tenu vingt secondes et l’image, un peu moins. En 1989, une seule chaîne nationale sur le modèle unique des monopoles publics de l’époque, sagement appelée « Vision »; aujourd’hui, 300 chaînes + les tweets et Facebook, des milliers d’yeux diffractant sur téléphone portable des milliers de visions en direct de la place où s’agitent des milliers de drapeaux égyptiens.
Ce matin, 9 heures 30, l’Indian Express, mon journal favori, barre sa Une d’un large » Egypt is free ». Mais la seconde info capitale sur la Une est le prix de l’oignon, la grande affaire politique en Inde depuis toujours – pas de cuisine sans un lit d’oignons émincés avec un peu d’ail. Alors il est trop bas, l’oignon, il a crashé depuis que le ministère de l’agriculture a interdit son exportation parce qu’il était trop haut, l’oignon; si bien que des agriculteurs ont fait des manifs pour revenir à son exportation. Infos légumières dans démocratie libre.
En page 13 – seulement – l’Indian Express montre les têtes des militaires du conseil qui va prendre en charge la transition et reproduit deux brèves, vraiment brèves: la déclaration d’Omar Souleiman (30 secondes) et le tweet guère plus long de Waël Ghonim, « Welcome back Egypt » réclamant la fortune du despote oriental déchu pour la reconstruction du pays. Les autres composants de la page 13 insistent sur l’alliance arabo-américaine avec photo en noir et blanc de Reagan et Moubarak, et sur les réactions « du monde », c’est-à-dire USA, Israël, Gaza, Britain. Le Pakistan rôde dans les consciences mais il ne s’imprime pas.