Il n’y aura pas de victoire ukrainienne sans reconstruction du pays.

Ni de reconstruction sans stratégie politique, industrielle et militaire cohérente. C’est cette conviction qui semble avoir guidé les travaux de la Conférence internationale sur la reconstruction de l’Ukraine, tenue à Rome les 10 et 11 juillet 2025.
La quatrième du genre, après Lugano, Londres et Berlin, mais peut-être la plus décisive.

Loin de se réduire à un exercice de diplomatie solennelle, la conférence romaine a marqué un tournant. Par son ampleur d’abord : plus de 6 000 participants, 70 pays représentés, une centaine de délégations officielles, près de 200 accords signés, et surtout plus de 11 milliards d’euros engagés, en majorité par l’Union européenne. Par son contenu ensuite : l’enjeu n’est plus de « soutenir » l’Ukraine, mais d’y investir et bâtir pour marquer la résistance.

L’Union européenne a donné le ton. Avec 2,3 milliards d’euros de nouveaux accords signés, la Commission affiche une volonté claire : ancrer l’Ukraine dans l’espace politique, économique et technologique européen – et le faire vite.

Le « Ukraine Investment Framework », désormais opérationnel, sera doté d’un fonds de capital-investissement paneuropéen, le plus important jamais créé dans un pays en guerre.

C’est un basculement sémantique, mais aussi stratégique : on parle désormais d’actionnariat, de retour sur investissement, de chaînes de valeur et de compétitivité. L’Ukraine n’est plus un pays « aidé » : elle devient un acteur économique émergent sous protection militaire occidentale.

L’Italie, hôte de la conférence, par la voix de sa Première Ministre Georgia Meloni, a insisté sur un principe fondamental : aucune entreprise liée à la Russie ne pourra participer à la reconstruction. Ce choix, éminemment politique, signifie qu’en 2025, la guerre hybride passe aussi par les appels d’offres. Reconstruire l’Ukraine, c’est aussi reconstruire un ordre international fondé sur le choix clair de positionnement.

La guerre n’est pas finie – elle s’intensifie. Et cela change tout. Il n’est plus possible de penser la reconstruction sans la lier à la question militaire. Cette logique a été pleinement assumée à Rome où, pour la première fois, les discussions sur les infrastructures ont croisé celles sur la défense anti-aérienne, la cybersécurité ou la sécurisation des futures zones libérées des envahisseurs russes.

Une « coalition of the willing » s’est esquissée. Avec la France, l’Allemagne, la Pologne, le Royaume-Uni et une délégation américaine de haut niveau, la conférence a permis de marquer les contours d’une force de stabilisation future, dont le quartier général logistique pourrait être installé à Paris. S’il ne s’agit pas (encore) de l’OTAN bis, le message est néanmoins clair : l’Ukraine ne sera plus seule, mais bien entourée.

Emmanuel Macron, intervenant en visioconférence, a justement appelé à l’instauration d’un « cadre de sécurité crédible », articulant soutien militaire, garanties politiques et ancrage européen durable.

Friedrich Merz, le chancelier allemand, a annoncé un renforcement significatif de l’aide militaire allemande, notamment par le financement de nouveaux systèmes Patriot.

Volodymyr Zelensky est reparti avec des engagements concrets : trois batteries Patriot à venir (deux financées par l’Allemagne, une par la Norvège), des missiles anti-drone britanniques et la confirmation d’un soutien logistique renforcé. Ce soutien militaire, enfin partiellement décorrélé du chaos politique américain, reste fragile, certes, mais désormais tangible.

Les États-Unis n’ont pas volé la vedette, mais leur présence était attendue et scrutée. Le général Kellogg, conseiller de président Trump, et les sénateurs Graham, le républicain et Blumenthal, le démocrate, ont incarné une continuité transpartisane sur une ligne simple : si l’Europe investit, l’Amérique participera à la défense.

Les appels à accélérer la livraison d’armes et à instaurer des sanctions massives sur les produits pétroliers russes (jusqu’à 500%) ont été réitérés. Reste à savoir s’ils seront suivis d’effet. Je suis sceptique, pour plusieurs raisons, mais faisons avec ce que nous avons.

L’enseignement majeur de la conférence est peut-être là : démarrer la reconstruction pendant la guerre n’est pas une folie, même si beaucoup s’interrogent.
C’est une stratégie.
Investir aujourd’hui dans une centrale électrique, un réseau ferroviaire, une entreprise agroalimentaire ukrainienne, ce n’est pas ignorer la guerre – c’est l’affronter autrement. C’est donner aux Ukrainiens les moyens non seulement de tenir, mais de se projeter et de se défendre.

C’est aussi envoyer un signal à Moscou : l’Ukraine est une nation debout avec des partenaires solides. Chaque signature, chaque contrat, chaque projet est une victoire politique de la fragile solidarité internationale contre la logique de destruction russe.

Contrairement au plan Marshall de 1947, qui visait à reconstruire après la paix, « le plan Ukraine » se bâtit pendant les bombardements russes.

Et c’est toute sa singularité. Il mêle les logiques de guerre et de développement, l’urgence et la planification, la résilience et la croissance.

Pour cela, il doit rester conditionné à la transparence, à l’état de droit, à la réforme judiciaire et à la lutte contre la corruption.
L’Ukraine le sait et l’accepte. 
C’est ce qui distingue cette reconstruction d’un simple flot de subventions. Ici, l’aide est politique, contractuelle, réciproque.

La conférence de Rome a également révélé un début de la métamorphose européenne.
De bailleur passif, l’Union tente de devenir stratège.
Elle parle le langage de la souveraineté, de la sécurité, du leadership industriel.
Elle affirme ses priorités : soutien militaire, indépendance énergétique, défense des frontières.

Mais elle demeure toujours dépendante du facteur américain. Et si les États-Unis venaient à se désengager brutalement – comme ce fut le cas partiellement début 2025 – alors tout le fragile édifice risquerait de tanguer.

C’est pourquoi la consolidation d’un pilier européen de la sécurité ukrainienne reste l’enjeu majeur des mois à venir.

À Rome, l’Europe n’a pas seulement signé des contrats : elle a posé les premières briques d’une doctrine de reconstruction ukrainienne comme outil de guerre et de paix.

Une doctrine où chaque euro investi est une école rouverte, un territoire sécurisé, une balle non tirée par la Russie, un avenir rendu possible.