Arbitre des élégances de la Cour du roi George III, Thomas Lawrence vient après. Il vient après la grande génération des portraitistes anglais, ou plutôt, il en est le dernier représentant: Gainsborough meurt en 1788, Reynolds en 1792, Romney en 1802, alors que Lawrence n’a que dix-neuf, vingt trois, trente et un ans.
Certes, Raeburn ne décède que que sept ans avant lui, en 1823, mais il est alors presque octogénaire, tandis que son cadet n’a qu’à peine dépassé la cinquantaine quand ses jours touchent à sa fin, en 1830.
Lawrence vient après, et il en exprime, dans ses tableaux, la conscience profonde: il vient après, et il peint en connaisseur des leçons de ses maîtres. Autant, si ce n’est mieux qu’eux, il sait représenter un parfait paysage en fond de toile; avec plus de dextérité même qu’un Reynolds ou qu’un Gainsborough, il règne sur l’art de rendre les couleurs et la texture des tissus.
Ceux dont il donne le portrait, ce sont, pourrait-on dire les fils des modèles qui posèrent pour ses prédécesseurs: actrices, souverains, reines, princes du monde et de la pensée, généraux, et, originalité de Lawrence, aristocrates européens.
C’est un monde, le monde, que dépeint l’artiste, cette société qui se partage entre les villes, cette cité de l’esprit qui vit à l’ère du cosmopolitisme.
De la sorte, il serait aisé d’en faire une lecture sociologique: l’intérêt de ses tableaux serait alors de fournir des documents aux historiens, plus sûrs et plus précis quant au vêtement et aux moeurs que bien des références littéraires.
Ce serait une erreur. Grossière.
Car le génie de Lawrence se résume en un mot: l’exquis. Plus que tout autre, plus même que Boucher et le rococo français, il a su maîtriser cette impossibilité esthétique qu’est l’exquis.
L’exquis flirte avec le kitsch, il flirte avec une certaine préciosité que d’aucuns qualifieraient de ridicule. Il flirte avec le mièvre, aussi, – et parfois Greuze ou Boilly y sombre.
L’exquis, disons-le tout net, est parfois proche du mauvais goût. Mais en même temps, il tutoie le sublime. L’exquis, c’est le sublime rendu humain, le sublime non pas grandiose, suivant une esthétique classique héritière du traité longtemps attribué à Longin, mais le sublime dans un instant et dans la simplicité. C’est le sublime face à l’abîme, prêt à y tomber, à devenir kitsch et mauvais goût.
Avec des toiles comme le portrait extraordinaire du jeune Charles Lambton, un enfant vêtu de velours rouge, ou de l’actrice Elizabeth Farren, quelques années avant son mariage anoblissant avec le comte de Derby, qui, pour le coup, avait du goût, Lawrence a le génie de l’évidence, de la parfaite façon de représenter ses modèles à la fois avec le plus grand raffinement – les plus grands apprêts – et avec la plus purement apparente des fausses simplicités.
Lawrence est par excellence le peintre de l’exquis. Et l’exquis ne peut que se rencontrer et se vivre. L’exquis se vit sur la toile même, dans le regard du spectateur; en aucun cas, il ne peut être rendu dans une photographie. Sans doute est-ce là la raison si la merveille du maître ne transparaît-elle guère dans le cliché qui illustre ces quelques remarques…