La France est en proie à une guerre tragique et romanesque… une guerre d’idées, de principes, et de valeurs. Cependant, par ce qu’il convient de nommer le drame politique français, la France n’est pas la seule concernée.
Il en va, en réalité, de l’intégrité de la démocratie-même, et du monde occidental dans son ensemble. Il en va de la survie de l’Europe et des droits de l’homme. De nos si belles, si fragiles libertés. Enfin, il en va de la civilisation, telle que nous la rêvons, et telle que nous l’accomplissons.
La civilisation. Est-ce cela, le grand sujet ? Quelle civilisation voulons-nous ? Voulons-nous Moscou, Pékin, Téhéran ou Pyongyang ? Ou bien voulons-nous Paris, New-York et Rome ?
Notre modèle politique et civilisationnel est menacé. Non seulement menacé. Il est attaqué. Assailli de toute part. D’aucuns le jugeraient, le voudraient, plus que tout, moribond.
J’entends que, par de nombreux égards, l’on puisse être écœuré de ce monde ; mais de là à vouloir, si vous me passez l’expression, le dissoudre dans le néant. Non. Quand même pas.
Et je trouve infiniment étrange le fait que ce soient ceux-là mêmes qui n’ont que le mot et le concept de civilisation à la bouche, qui attaquent, salissent, profanent et haïssent le plus gravement ce qui fait le sang, le corps, l’âme et le souffle d’une société dite civilisée.
Le respect de l’Homme. La reconnaissance et la défense incompressibles de ses droits les plus fondamentaux. L’amour de la différence, du possible, de ce que l’on croyait l’impossible. L’amour de la liberté. L’amour du monde. L’amour de la raison qui l’emporte sur le dragon des passions. Le droit au Monde, enfin, et le droit d’avoir une voix en son sein… N’est-ce pas justement cela, une civilisation ?
Apparemment, tout cela dégoûte un tiers des Français. Apparemment, certaines personnes n’aiment pas qu’on les respecte. Apparemment, tout cela se brade facilement et, apparemment, nous n’avons pas besoin de droits de l’homme. L’arbitraire suffira. Apparemment, à la complexe et imparfaite, mais juste et vaillante France d’aujourd’hui, un électeur français sur trois préférerait une France raciste, autoritaire, démissionnaire, se trahissant elle-même d’une manière inimaginable : une France à l’âme pétrifiée qui préfère s’abandonner à ses ennemis, plutôt que d’avoir à combattre pour elle-même.
A moins que cette lame de fond terrifiante ne se rende pas tout à fait compte de ce qu’elle transporte en ses méandres. A moins que la France, pour un tiers, soit tout à fait inconsciente des enjeux véritables.
Permettez-moi de protester. Je refuse que la nation française soit l’amie des dictatures. Je n’ai envie de vendre mon pays ni à Vladimir Poutine, ni à Xi Jinping. Ni à Bachar el-Assad, ni à Khamenei, ni à Erdogan, ni à Kim Jong Un, ni à sa sœur, ni à personne. Disparaître dans cette gigantesque ombre néo-impérialiste et autocratique ne me semble pas un sort enviable. A la danse macabre de l’Orient, je préfère le tango européen. Et la valse occidentale, où l’on ne surveille ni ne punit massivement, où l’on n’exécute pas les opposants politiques, ni ne pratique la guerre d’invasion.
Car on ne transige pas avec la démocratie. D’autant moins lorsque, comme aujourd’hui, elle est en recul, et en péril, dans le monde entier.
Je n’ai pas envie de voir une Europe survivante, au plus bas de son potentiel.
Je n’ai pas envie de voir la pauvreté, déjà stratosphérique et qui me brise le cœur comme il brise, j’en suis certaine, le vôtre, atteindre des niveaux intersidéraux. Ni de voir l’économie française, toujours-déjà dans l’ultraviolet, basculer dans une noirceur absolue. Je préfère l’esprit de sérieux, donc de responsabilité, donc de fraternité, de solidarité, de générosité et de protection du miracle unique au monde que représente le modèle social de mon pays. Plutôt que de « sérieux budgétaire », je crois, soit dit en passant, qu’il vaudrait mieux parler d’« humanisme économique ».
Je n’ai pas envie d’avoir pour représentants des gens qui mentent éhontément, à des degrés de scandale, et qui n’essaieront, pas même un seul instant, de respecter leur parole donnée, leurs engagements. Les enjeux sont trop graves, les risques trop grands. Nous n’avons pas le luxe de nous passer de fiabilité et de clarté.
Je n’ai pas envie de vivre dans un État raciste, mais dans un État républicain qui régule ses flux migratoires dans le respect des droits humains.
Je n’ai pas envie de vivre dans un pays où l’on puisse dire : « la nationalité franco-israélienne, non, la nationalité franco-russe, oui. »
Et je ne veux pas non plus d’un pays qui resterait en l’état actuel : gangrené par les réflexes primitifs, prêt à se trahir lui-même, et impuissant, passif face à cela.
J’attends, je ne suis pas la seule, de cette inédite, et potentiellement intéressante coalition républicaine de crise qui, je l’espère, triomphera dimanche prochain contre l’empire de la peur, du fantasme négatif, de la haine et de la bassesse, qu’elle soit à la hauteur de l’hémorragie idéologique nationale, de la fracture et du cri de détresse du peuple français.
Dirigeants, par pitié : quelques gouttes d’eau dans votre champagne. Cette crise est aussi la vôtre. N’allez pas trop vite, et diluez, c’est-à-dire, éduquez. Les Français ne sont pas des technocrates. Expliquez-leur ce monde que vous bâtissez pour eux, qu’ils ne comprennent pas bien, et qui leur fait si peur.
J’ai toujours été très tentée de penser, comme Spinoza, qu’il ne fallait pas, jamais, donner voix au chapitre aux stoultis… et les stoultis d’aujourd’hui, ce sont les mésinformés, les inéduqués, les isolés, les crédules, les effrayés, les endoctrinés, les paranos, les racistes, les complotistes… mais le pire des régimes à l’exception de tous les autres est arrivé. C’est le peuple qui décide, c’est le peuple qui vote. Considérez-le donc un peu plus, ce peuple, ô chefs à plumes. Il vous le rendra.
Le pouvoir n’est pas dans les têtes et les mains d’en haut, mais dans les têtes et les mains d’en-bas. Cela, nos adversaires ne l’ont jamais oublié. Pendant que vous regardiez dans l’autre direction, quelque chose comme une inversion artificielle des pôles a été opérée dans l’esprit des Français. L’esprit des Français. L’esprit français. La voilà, votre lutte. A vous de vous de jouer, donc encore, maintenant, pour l’instant.
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L’autre jour, aux prises avec une odieuse rêverie politique, j’imaginais un pays où l’on enseignerait toutes les traditions spirituelles du monde aux enfants. En serait-on là, si l’éducation spirituelle des Français était à un niveau différent de l’actuel ? me demandai-je.