À en croire Jordan Bardella, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la « naïveté » vis-à-vis de Poutine était « collective ».
Cette situation, si elle était vraie, serait bien sûr commode pour son parti. Elle n’en est pas moins fausse. Rappelons par exemple que Hollande avait refusé de vendre des Mistral à la Russie après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, et que l’écrasante majorité des politiques (hors FN) dénonçaient, d’une même voix, la guerre conduite par Poutine dans le Donbass.
Mais l’essentiel est ailleurs. Le RN, en effet, n’a pas fait preuve de « naïveté » à l’égard du régime russe. Le soutien du RN à Poutine relève d’une longue histoire – histoire qui se poursuit aujourd’hui, contrairement à ce que prétendent les hiérarques du parti. Cette histoire est tissée de liens d’intérêts, de réelles convictions, mais aussi d’une admiration, pour le pouvoir russe, confessée ouvertement par Marine Le Pen.
Le RN, d’habitude si prompt à refuser que la France s’excuse pour ses fautes passées, n’hésite par exemple pas à conspuer la France (et ses alliés) lorsqu’il s’agit de défendre Poutine. Le parti explique en effet régulièrement que l’Europe et l’OTAN n’ont (eu) cesse de « provoquer » la Russie – quitte à quasiment exonérer celle-ci de ses crimes.
Marine Le Pen avait ainsi affirmé à CNN, en février 2017, qu’il « n’y a pas eu d’invasion de la Crimée » par la Russie ; position qu’elle a encore réitérée en mars 2023. Marine Le Pen a aussi défendu, en 2014, la « démocratie » russe – et en a même profité pour remettre en question les élections présidentielles françaises, en déclarant « qu’en matière de bourrage d’urnes, on n’a pas pu faire mieux que la France au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002 ». De nombreux membres du parti ont d’ailleurs joué le rôle d’observateurs aux « consultations électorales » (contestées par la communauté internationale) effectuées en Crimée et dans le Donbass.
Le RN n’a eu de cesse, jusqu’en 2022, d’apporter ouvertement son soutien à la Russie de Poutine. Le parti avait notamment voté (au Parlement européen) contre une résolution consécutive à l’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny, et contre une dénonciation de la loi russe sur les « agents de l’étranger ». Un eurodéputé RN avait aussi repris, mot pour mot, une déclaration transmise par ses interlocuteurs russes. Au point que la DGSI avait relevé, en 2019, que les quelques relais d’opinion du régime russe dans la politique française étaient tous liés au RN. Une conseillère RN au Parlement européen (et candidate aux législatives de 2022), Tamara Volokhova, entretenait même des contacts avec un espion russe.
Encore à la dernière présidentielle, le livret défense du RN proposait « une alliance avec la Russie sur certains sujets de fond (…) comme la sécurité européenne » (sic, sic et re-sic). Et l’inflexion du discours qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022 est plus nuancée que ne le croient certains. Si le RN a dénoncé formellement cet acte, le parti n’a attendu qu’un mois avant de remettre en question certains crimes de guerre, et de déclarer que la Russie pourrait « bien entendu » être un allié après le conflit. Marine Le Pen a aussi passé toute l’année 2022 à dénoncer les sanctions prises contre la Russie qui, selon elle, « ne [servaient] à rien ». Et le parti a régulièrement dénoncé l’envoi d’armes à l’Ukraine pour permettre au pays de se défendre.
Plutôt que de voter contre les résolutions européennes, le parti préfère désormais s’abstenir pour éviter de s’exposer aux critiques. Pas de vote, donc, pour dénoncer « l’escalade de la guerre » ou apporter « un soutien sans faille à l’Ukraine ». Et les tergiversations sont nombreuses. Marine Le Pen a par exemple envisagé, en 2023, d’interdire aux membres du RN d’assister à un discours de Volodymyr Zelesnky au Parlement européen. Jordan Bardella fut en fin de compte le seul élu RN à applaudir le président ukrainien.
Le régime russe trouve apparemment son compte dans cet exercice d’équilibrisme. Plusieurs réseaux prorusses se sont ainsi investis, ces derniers mois, pour faire la promotion de la liste RN aux européennes. Les services de l’État ont d’ailleurs alerté le parti à ce sujet. Interrogée par Mediapart, Marine Le Pen avait alors dénoncé un « mensonge » et « du n’importe quoi »… une heure avant d’être démentie par son propre parti, qui a confirmé les révélations de Mediapart.
Plusieurs choses expliquent ce soutien fervent du RN à la Russie. Des convergences idéologiques, tout d’abord. Marine Le Pen avait par exemple déclaré, en 2014, que « Monsieur Poutine est un patriote (…) Il a conscience que nous défendons des valeurs communes. Ce sont les valeurs de la civilisation européenne ». L’idée d’une « décadence » des sociétés européennes sert ainsi de socle commun. Comme chez Viktor Orbán et Donald Trump, le rejet de la démocratie, de l’immigration et des luttes LGBT convainc manifestement le RN – et ce, même si le parti se montre plus modéré en public.
Mais la relation du RN avec la Russie s’explique aussi par des liens d’intérêt. Nous parlons ici, bien sûr, du fameux « prêt russe » qu’a souscrit le FN. Rappelons que le FN (désormais RN) avait emprunté 9,4 millions d’euros, en 2014, à une banque proche du pouvoir russe.
Le FN, pour se défendre, a souvent répété que les banques françaises refusaient (pour des motifs politiques) d’accorder un prêt au parti. Un rapport de l’inspection générale des finances et l’inspection générale de l’administration démontre qu’en réalité, ces refus de prêt s’expliquaient par la dette du parti et sa mauvaise gestion financière.
Après un contrôle sur pièces à la CNCCFP (Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques) et à Tracfin (services de renseignement économique), la députée Constance Le Grip, rapporteuse de la commission d’enquête dédiée aux ingérences étrangères en 2023, a souligné que le FN n’a apporté aucune garantie à son prêteur russe (contrairement aux pratiques courantes). Le rééchelonnement du remboursement du prêt (repoussé de 2019 à 2028) représente lui aussi, selon ses mots, un « avantage certain et conséquent » accordé au parti. Notons que le RN, qui avait sollicité cette commission pour tenter de se dédouaner, a ensuite tout fait pour empêcher, et interrompre, les auditions qui le mettaient en cause.
Surtout, plusieurs pistes indiquent que ce prêt a bien été facilité par le pouvoir russe afin de « remercier » le FN.
Des échanges SMS entre Timur Prokopenko (alors chargé des médias au sein de la présidence russe) et Konstantin Rykov (proche soutien de Poutine) ont ainsi fuité. Datés de mars 2014, ces SMS évoquent des discussions sur un financement du FN, et expliquent qu’il faudra « d’une manière ou d’une autre remercier les Français ». Le prêt russe est arrivé quelques semaines après. D’autres mails, issus de la boîte d’Alexander Babakov (figure du pouvoir russe, et ancien vice-président de la Douma), et qui ont fuité en 2023, vont dans le même sens. Celui-ci s’est même impliqué directement pour mettre le FN en relation avec des banques russes. Aymeric Chauprade, ancien conseiller international de Marine Le Pen, avait par ailleurs assuré à Mediapart que les voyages effectués par le parti dans le Donbass en 2015 étaient « une contrepartie au prêt » souscrit par le parti.
Marine Le Pen avait aussi refusé de dénoncer son allié autrichien, le FPÖ, lorsqu’une caméra cachée avait révélé que le président du parti semblait tout disposé à recevoir des financements occultes d’oligarques russes. Et plusieurs alliés européens du RN sont aujourd’hui soupçonnés d’avoir accepté des enveloppes d’argent en échange de déclarations favorables au régime du Kremlin.
Marine Le Pen n’est évidemment pas seule, dans son parti, à s’être ainsi liée avec la Russie. Thierry Mariani, député européen du RN, a encore affirmé il y a un mois que « la Russie n’est pas une menace pour l’Europe ». Il faut dire que Thierry Mariani est connu comme l’une des principales courroies de transmission du discours poutinien en France, notamment via son association Dialogue franco-russe. Un autre membre de cette association, Pierre Gentillet (qui explique « comprendre Poutine », et qui remet en question la responsabilité de l’armée russe dans le massacre de Boutcha), sera aussi candidat aux législatives dans la 3e circonscription du Cher.
Plus de 15 candidats investis par le RN pour les législatives ont effectué des missions de caution électorale pour la Russie – ou ont entretenu des liens directs avec le régime russe. Et d’autres reprennent sans honte les pires éléments de la propagande russe. Citons par exemple Sophie Dumont, conseillère économique du groupe RN à l’Assemblée qui se présente dans la 4e circonscription de Côte-d’Or, et qui a décrit l’Ukraine comme « le plus grand fournisseur d’enfants pour les réseaux pédophiles ».
Jean-Luc Schaffhauser ou Guillaume Pradoura, anciens membres du RN, sont eux reconnus comme des pions essentiels de la propagande russe en Europe, et font à ce titre l’objet d’enquêtes pour « commissions indues » ou pour « ingérence ».
Cette sympathie du RN vis-à-vis de la Russie n’a d’égal que sa sévérité à l’égard de l’Europe. Marine Le Pen a par exemple affirmé, en 2023, que « l’Union européenne a pour projet, non pas seulement la constitution d’un cadre institutionnel et d’une coopération entre nos peuples mais la constitution d’un véritable empire qui a pour finalité de les asservir ». Et le parti a aussi investi aux législatives (dans la 1e circonscription de la Nièvre) Charles-Henri Gallois, président d’un micro-parti favorable au Frexit.
Bref, le RN a fait son choix et (malgré les apparences) s’y tient encore : la Russie plutôt que l’Ukraine – et que l’Europe. Dans une période aussi agitée, une telle préférence devrait guider notre choix.
Je prêche depuis des mois dans le désert pour lancer une attaque nucléaire préventive et massive contre la Russie. Dans dix jours ce sera trop tard…