Elio Leone, un nom qui claque, presque trop beau pour être vrai, annonçant d’emblée la dimension romanesque de ce récit flamboyant. Le lecteur s’attache rapidement à ce personnage qui a tout d’un héros : bel homme guidé par de nobles valeurs dont l’ambition mesurée et le charisme naturel lui valent l’admiration du Tout-Paris. C’est pourtant l’enfant orphelin qu’Alexia Stresi va mettre sur le devant de la scène dans les premiers chapitres, cet Esposito napolitain au passé trouble mais au cœur ouvert. Des analepses oscillent entre Naples et Paris. L’Italie est bien présente, mais toujours en filigrane, fondue dans un amas de souvenirs, au second plan… C’est la France qui lui vole la vedette, une France érigée en terre promise, indissociable de sa capitale, reine des arts et des cœurs. 

Si le roman se déroule principalement en Europe, le lecteur n’en est pas moins bourlingué de continent en continent, notamment avec cette très belle incursion en Haïti où les rumeurs chatoyantes de ce pays à la culture orale se mêlent harmonieusement à l’opéra, parangon de la culture classique. L’artiste porte le poids de son exil perpétuel, mais comme nous le rappellerait l’italianiste Jean-Noël Schifano, « plus on est napolitain, plus on est universel ». 

Des lendemains qui chantent redonne ses lettres de noblesse à une certaine tradition littéraire. Celle des romans qui déposent des étoiles dans les yeux, avec cette impression de replonger dans les récits de notre enfance. Les romans qui marquent nos rencontres avec la littérature. Stresi maîtrise avec brio l’art de la coupure romanesque et déploie tout au long de son roman des dialogues fluides et enchanteurs. C’est donc sans surprise que l’on découvre sa double-vie de scénariste chevronnée. Certains verront dans son style accessible un talon d’Achille, alors que c’est précisément ce qui le rend infiniment touchant. Cette littérature, que l’on pourrait nommer littérature du cœur, est de celles qui émeuvent et qui libèrent les rêves étouffés. Je pense à ces auteurs qui, comme Miguel Bonnefoy, offrent à leurs lecteurs une littérature colorée et vivante et insufflent une touche d’espoir au monde de la littérature contemporaine, loin des auteurs-stars – tout aussi légitimes – qui exposent les travers de notre société actuelle dans toute leur noirceur. 

Cet enthousiasme stylistique et qui s’annonce dès le titre ne fait pas pour autant de ce livre un roman guilleret. Car c’est bien de dépeindre une vie humaine qu’il s’agit, avec ses joies et ses miracles, certes, mais également à travers ses drames et ses infortunes. L’arrivée fracassante de la guerre et son lot de malheurs n’épargnent pas Elio Leone, prenant le lecteur au dépourvu.
L’opéra se fait allégorie du monde. 

« C’est ça, la guerre, et c’est ça l’opéra. Beaucoup d’appelés, peu de survivants. Encore moins d’élus. » 

Des lendemains qui chantent revêt ainsi un intérêt certain pour le grand public et les jeunes lecteurs sans rien enlever à la profondeur des personnages et à la portée morale du roman. 

Ce qui fait la beauté de ce livre, c’est bien sa propension à remettre les relations humaines au même niveau que nos ambitions matérielles. 

« Il est très entouré, comme tous ceux dans la lumière. Flatteurs, opportunistes, jaloux, ils sont tous là. Rien à attendre des grandes boutiques, où les amitiés sont rares. » 

Nos proches, nos amants, nos amis sont autant de partitions à savoir déchiffrer pour œuvrer à notre élévation. Un voile de spiritualité vient recouvrir le récit, véhiculant un message puissant sur les possibilités offertes par la foi et la destinée. Un pied de nez au fatalisme des opéras italiens encensés par Leone. Nous sommes parfois tentés de raisonner Stresi tant certains épisodes frôlent l’invraisemblable, mais seulement pour mieux céder et nous laisser emporter par son histoire. Il y aura toujours des miraculés pour marquer le cours du temps. Et après tout, il n’y a rien d’irrationnel à croire en l’exceptionnel. 

Quid de l’opéra ? Des lendemains qui chantent met naturellement la musique à l’honneur, mais pas exactement comme l’on pourrait s’y attendre. Le lecteur s’infiltre dans les coulisses de cet univers lourd d’exigences. 

« Un baryton a l’avantage de chanter dans la tessiture de sa voix parlée. De bonnes dispositions physiologiques, un talent naturel peuvent suffire. Pour la voix de ténor, c’est une autre paire de manches. Seules des heures et des heures de labeur acharné permettront de la débusquer. Elle n’a été déposée dans aucun gosier. Elle n’existe pas par naissance. Il faut se la fabriquer. Pire, il faut la mériter. Pour un garçon, il existera des mariages plus affriolants que de lier sa vie à d’aussi opiniâtres efforts. Mais voilà, certains y vont. » 

Le personnage d’Elio est une véritable ode à l’ouverture d’esprit et à la polyvalence, mettant en lumière la pluralité des compétences requises pour exercer cette profession : maîtrise des langues, mémoire infaillible, théâtralité, endurance physique. Truffé de références à l’opéra sans jamais verser dans la technicité musicale, c’est avant tout une réflexion sur le rapport de l’artiste à son art que nous livre Alexia Stresi. Ce ne sont pas les prouesses techniques de notre ténor italien qui nous intéressent, ni la quantification de son génie. Entre les lignes, des questions se devinent. Où s’arrête la performance et où commence le talent ? Je me suis retrouvée dans cette lecture sensible de l’interprétation livresque, entre appropriation subjective et exploration objective d’une œuvre textuelle. 

Un livre coup de cœur, donc, qui se lit aisément et que l’on se plaît à retrouver chaque jour avec beaucoup de plaisir. De quoi nous rappeler les romans-feuilletons des siècles passés au travers desquels les grands écrivains faisaient leurs preuves tout en régalant le peuple d’histoires lumineuses… 


Alexia Stresi, Des lendemains qui chantent, Flammarion, février 2023.