La décision de Donald Trump de retirer les troupes américaines stationnées à la frontière entre le Rojava, le Kurdistan syrien, et la Turquie est une triple faute.
C’est une faute morale, tout d’abord. Les Kurdes de Syrie (YPG et FDS) ont combattu en première ligne contre Daech. Ils ont servi de fer de lance, autant que de supplétif, voire de «proxy» aux Etats-Unis, délivrés de la peine d’une lutte sur le terrain, et débarrassés efficacement de Daech à Kobané, Deir ez-Zor, Raqqa. Liquider – par électoralisme, cynisme, mercantilisme – un allié et le livrer à son pire ennemi, jeter les Kurdes dans les mains et sous les balles de leur Nemesis turque, c’est une faute morale indélébile pour l’Amérique de Donald Trump. On ne voit guère, comme équivalent dans l’histoire du monde, que les mercenaires de «Salammbô» jetés en pâture aux soldatesques d’Hannibal. Sauf que les Kurdes étaient, en outre, et objectivement, l’armée de valeurs universelles et occidentales.
Ce blanc-seing donné à Erdogan est une faute tactique, dans la mesure où le retrait des Kurdes aura une double conséquence.
Premièrement, à court terme, le renforcement du régime syrien ; la progression des Turcs, certes alliés de l’OTAN, mais de plus en plus proches de Poutine, à qui ils achètent désormais leur défense anti-aérienne, et de qui ils parrainent les «accords d’Astana» ; le succès des Russes, qui voient leur thèse diplomatique consacrée et seront eux-mêmes gagnants d’une ré-intronisation du régime syrien ; et enfin, par Bachar interposé, un nouveau gain d’influence et d’espace pour le régime iranien, contre lequel les Etat-Unis sont supposés mettre en place un «containment» et qui sort goguenard et affermi grâce à cet invraisemblable cadeau tactique.
Deuxièmement, à moyen terme, la création d’un gigantesque risque sécuritaire et terroriste pour l’Europe et le monde occidental. Les prisonniers issus de Daech étaient gardés par les Turcs. Les voilà sous la férule, jadis bienveillante pour ne pas dire complaisante, d’Erdogan. Lequel pourra soit les garder, et s’en servir comme levier d’influence contre l’Europe ; soit laisser passer vers la Grèce et ailleurs, et dans ce cas, la vague des attentats spectaculaires et massifs des années 2015-2017 en Europe reprendra avec une nouvelle vigueur. Par ailleurs, mobilisés par leur confrontation contre Erdogan, les Kurdes syriens n’auront naturellement plus l’esprit ni les moyens de réduire les dernières poches de l’Etat islamique dans l’est de la Syrie. Entraînant ainsi la constitution d’un territoire d’où, comme en 2014, Daech pourra rassembler ses forces et projeter des attaques. En chimie on appelle cela une boîte de Petri : un lieu clos où tout est fait pour développer germes, bactéries et microbes. Par une seule décision, Trum contente tous les ennemis de l’Amérique (Iran, Daech, Russie), et par une seule décision, il menace tous ses alliés (Europe et monde occidental). Ce n’est pas un mince exploit.
C’est enfin une faute stratégique. En exhibant à ciel ouvert le divorce entre Trump et son administration, qui a voulu le retenir, le retrait du Kurdistan donne une piètre image d’un appareil diplomatico-militaire jadis exemplaire, à l’heure, par exemple, où son rival stratégique chinois fête en grande pompe ses 70 ans de communisme et ne parle plus que d’une seule voix et par un seul visage, celui de Xi. En instillant l’idée que l’Amérique peut se montrer à ce point cynique, la décision dévalue tout son réseau d’alliances, au Moyen-Orient en particulier et dans le reste du monde, en général. Elle tache d’une souillure irrémédiable un prestige moral, certes entamé, mais désormais parfaitement liquidé partout sur la planète. Le retrait du Kurdistan, enfin, obère et enterre presque définitivement le projet vieux de 80 ans de bâtir un Moyen-Orient pacifié, et démocrate, puisque peu de peuples se précipiteront, à présent, pour soutenir l’effort américain, et ce, par ailleurs, dans un moment géo-stratégique où l’Arabie saoudite est empêtrée, la Jordanie déstabilisée, l’Egypte fragilisée par les mouvements sociaux : bref, tout le réseau d’alliance traditionnel américain menace de vaciller.
«C’est pire qu’un crime, c’est une faute» avait dit Talleyrand à Napoléon après l’assassinat du duc d’Enghien. On pourrait dire : «c’est pire qu’un crime, davantage qu’une faute, c’est un suicide». Suicide idéologique et moral de l’Amérique. Suicide politique de Trump qui apparaît plus précisément pour ce qu’il est, dans son cynisme et sa veulerie. Suicide – pour l’instant – de l’Europe qui, par sa modération momentanée, se prépare un sombre avenir sécuritaire.
Pour toutes ces raisons, nous relayons un appel à la mobilisation à Paris pour les Kurdes de Syrie ce samedi 12 octobre, Parvis des Droits de l’homme (Trocadéro), 11h30.
Rassemblement à l’initiative de L’Institut kurde de Paris, la revue La Règle du Jeu, et le CCAF (Conseil de Coordination des organisations Arméniennes de France).
Le scandaleux retrait annoncé par Trump des forces US du nord-est de la Syrie ouvre la voie à une offensive criminelle de la Turquie contre ces régions kurdes.
Soyons nombreux à dire non au massacre programmé par l’islamiste-nationaliste Erdogan !
(Personnalités appelant à cette manifestation : Bernard-Henri Lévy, Caroline Fourest, Kendal Nezan, Dominique Sopo, Bernard Kouchner, Pascal Bruckner, Ara Toranian, Mourad Papazian, Patrick Klugman, Hugues Dewavrin, Bernard Schalscha, Gilles Hertzog, Raphaël Glucksmann, Mohamed Sifaoui, Patrice Franceschi)
P(res)-S(oir) : Les États-Unis se trouvent aujourd’hui dans la situation où serait rendu notre Nouveau Monde si on le privait de République en marche. Voilà à quoi je me réfère lorsque je place la trahison (d’une partie) des élites en exergue de leur renversement (partiel, avec dommages collatéraux). Il y a deux ans, je faisais encore confiance aux réflexes antifascistes du leader de la gauche populiste. Entre-temps, son hologramme s’est sensiblement brouillé. J’en arrive à penser que j’aurais beaucoup de mal à rameuter les perdants et les abstentionnistes du premier tour d’une improbable élection présidentielle, où l’on nous condamnerait à singer les otages américains d’un bipartisme populiste. Pour qu’il y ait front républicain, faut-il encore qu’il y ait une République dont on perçoive le pouls.
P(réci)-S : Pour la millième fois, je ne fonctionne pas comme un hater. Je vous le répète : je n’ai jamais écrit une ligne sur la Toile. Si je m’appose ici, c’est toujours en confiance ; jamais par défiance. Peut-être aussi par volonté d’influer, dans une mesure aléatoire, sur le cours des e-vents.
P.-S. : C’est la volonté d’arabiser son prochain qui dénote un penchant raciste, et certainement pas la résistance au joug médiocrement totalitaire d’un fondamentalisme mahométique prônant l’arabisation planétaire.
L’avorton de calife s’imagine qu’il nous tient avec son accord délinquant d’envahisseur par procuration. Mais si l’Union européenne consentait à partager avec l’État tampon le poids démographique des réfugiés de la guerre civile syrienne, n’aurait-elle pas l’intelligence civilisationnelle d’absorber les trois millions six cent mille otages de plusieurs États néocolonialistes visant à rétablir des colonies de peuplement partout où ils le peuvent, otages dont le retour au Rojava détruirait à jamais le rêve légitime fait par les Kurdes syriens de conquérir leur part de souveraineté, sous forme nationale, ou régionale, ce qui serait déjà ça. Au passage, n’est-il pas impayable que le même gougnafier qui considère qu’un régime islamiste administrant 79,8 millions d’habitants n’est pas en capacité d’intégrer 3,6 millions de Frères supplémentaires, conditionne la résolution du conflit israélo-palestinien au retour de plus de 5 millions de réfugiés arabo-musulmans dans un pays comptant 9 millions d’âmes, et qui, contrairement au sien, n’a jamais émis le souhait de prendre place dans le concert ethnocentrique et cacophonique de la nébuleuse panarabe ?
J’ai bien peur que les Gaules ne soient davantage concentrées sur les fesses de Bruel que sur les têtes de Kurde. D’année en année, nous rattrapons notre retard sur l’Amérique et feu son bicentenaire d’avance. Pourquoi ne pas en profiter pour inverser le cours de l’influence ? Faudrait-il voir, dans l’ubuïsation du monde libre, une chance pour Emmanuel de se forger un destin de roi juste en remontant à la source de l’avenir qu’il nous dégagerait, en se débarrassant d’une paire d’apocalypses n’ayant vraiment rien pour résoudre nos très grandes fautes écologiques et économiques. Le président de la République d’un pays légendaire se doit de prendre au sérieux les légendes. S’il n’a forcément pas le pouvoir de faire entendre raison aux auteurs d’atrocités avec qui le renouement de dialogue sur lequel il comptait paraît mal engagé, ce qu’il peut, en revanche, c’est renforcer la stature officielle des géants modestes, des séraphins aux ailes coupées, des anges déchus et néanmoins gardiens d’une idée en voie de disparition, celle d’un monde régi par l’humilité du petit scribe que fut l’immense aède, celle d’un volontarisme poétique ne craignant pas de trébucher sur les tréteaux de notre diplomatie par essence moliéresque. C’est aussi confronter le Tartuffe au Tartuffe. Défaire les YPG de la réputation d’organisation terroriste dont les affuble un parrain du Jihâd, en proposant leur candidature, au côté des peshmergas irakiens, au prix Nobel suprême. Tout reste à faire en somme. Reste à savoir où nous en sommes. Reste à savoir ce que nous sommes.
Insinuer que les Kurdes pratiquent l’épuration ethnique, quand ce sont eux qui la subissent, marquerait au fer l’esclave d’un tel fantasme d’identification. Pris en étau entre plusieurs cryptothéocraties ultranationalistes, les démocrates du Rojava ne sont pas animés par la volonté de chasser les Arabes des territoires qu’ils conquièrent, mais, avant que cette Guerre de Mille ans n’ait eu officiellement pris fin, ils n’auront pas l’inconséquence de se payer le luxe de coexister avec les boucliers humains d’une meute de coranisateurs dormant d’un œil. Ils le prendront probablement, sitôt qu’ils auront recouvré la liberté de présider aux destinées d’un État souverain, unifié, structuré, asseyant sa légitimité sur la force du droit, capable d’assurer l’intégrité de son territoire et la protection de sa propre population contre tout agresseur surarmé et subarmé, provenant d’un pays étranger ou surgissant de ses propres entrailles. L’arabisation du monde ne peut être une fatalité. Dès lors que la fatalité est un concept fainéant.
Inutile de parler dette morale à un homme qui n’a pas de conscience morale. Avec Trump, il faut parler chiffres. Et face au risque d’extermination que le négationniste d’Ankara fait planer sur les Kurdes, savoir que l’Amérique poursuivra sa politique antinéoconservatrice tout en sauvant la face en proférant des menaces de sanctions économiques contre toute tyrannie qu’elle jugera comme telle, mais fuira désormais comme la peste, sauf à ce qu’elle n’envisage que l’arme la plus efficace dont nous disposions pour empêcher l’emmanteleur ottoman de surpasser les prétentions hégémoniques de l’Iran, consiste dans l’édification, aux portes de l’Europe, d’un État de droit multiethnique, laïque, démocratique, dépourvu d’obsessions concernant une Terre sainte placée sous souveraineté israélienne, vigie d’une région du monde dont la véracité est sans cesse mise à l’épreuve par les contorsions que lui impose un dévorateur compulsif qui a pour nom le totalitarisme religieux. Nous avons longtemps pensé que la meilleure façon de prévenir un nouveau dynamitage de la Méditerranée était de traiter la Turquie islamiste comme l’Église de Rome amadouait ses propres intégristes, partant du principe qu’ils eussent été plus dangereux pour elle s’ils l’avaient combattue depuis l’extérieur qu’en son propre lieu saint, celui d’une passion assez rationnelle pour s’auto-exorciser. Hélas, l’ONU ne possède pas l’équivalent d’un Collège cardinalice dont le chemin de rédemption christique arracherait au Shéol les nations pécheresses transfigurées sous l’effet de la propulsion céleste. Elle devra donc compter sur son instinct de progression pour stopper aussi vite que possible la force de régression qui, actuellement, la teste en imposant son modèle aux nations par le truchement du principe de paix à tout prix, lequel profite au crime, chaque fois que ce dernier n’est évitable qu’au prix d’un homicide de moindre ampleur. Dans ce cas spécifique, on reconnaîtra au détournement de fondement principiel une fâcheuse tendance à se généraliser.