Le 5 mars dernier, Bernard-Henri Lévy a créé l’évènement à Milan, où, au Teatro Parenti, devant une salle comble, il interprétait son monologue pro-européen, Looking for Europe. La pièce est un soliloque, mélancolique, comique, littéraire, où, autour de l’expérience de la guerre civile à Sarajevo, se mène une réflexion philosophique sur le destin et les racines du continent depuis le mythe grec de la princesse Europe. La pièce, qui est désormais en tournée dans 22 villes en Europe (de Lisbonne à Kiev) se veut, dans la lignée du théâtre de tréteaux, une contribution intellectuelle au débat des élections au Parlement européen, déjà phagocytées par les différents partis nationalistes ou populistes.
Le texte de Looking for Europe s’adapte chaque fois au contexte local. Dans le cas de l’Italie, Bernard-Henri Lévy a ainsi évoqué le destin de laboratoire du pire de ce pays (la représentation, le 5 mars, tombait justement le jour du centième anniversaire de la fondation du parti fasciste). Devant un public prestigieux réunissant l’élite de la gauche italienne (de Giuseppe Sala, maire de Milan à Matteo Renzi), il s’est adressé indirectement aux libéraux et démocrates de la péninsule. Glosant sur les liens troublants entre Berlusconi et Trump, ou sur les déclarations nauséabondes des membres du parti Casa Pound, le philosophe a mis en garde son public contre la dérive de Matteo Salvini. BHL a fait de Salvini sa cible principale, se moquant de sa propension puérile à jouer au pompier ou au gendarme ; relevant les phrases les plus infâmes du vice-Président du Conseil et ministre de l’Intérieur ; et démasquant une dérive fasciste, à peine dissimulée, à la façon, a ajouté le philosophe, du héros de Théorème de Pasolini, qui commet ses crimes avec insolence et impudence.
Suite aux nombreuses déclarations de BHL à la presse, avant et après la représentation, le ministre de l’Intérieur Matteo Salvini, piqué au vif, a répliqué sur Twitter. «Le philosophe-conseiller de Macron reprend ses fonctions en disant que je suis un « personnage inquiétant » et que, à cause de moi, l’Italie risque « la tragédie ». Au lieu de dire des bêtises, ce monsieur devrait peut-être s’intéresser davantage à ce qui se passe en France. Ai-je tort?».
Aussitôt, Bernard-Henri Lévy lui a répondu, sur Twitter également : «Vous m’invitez à me soucier de ce qui se passe en France. Je vous invite à vous soucier des crimes de Poutine qui vous finance. De la mémoire de l’Italie que vous souillez. De la noyade promise aux enfants migrants. Parlons-en. Idéologie contre idéologie. Chiche?»
Rappelons en effet, que dans l’hebdomadaire italien l’Expresso, deux journalistes, Giovanni Tizian et Stefano Vergine, auteurs du Livre noir de la Ligue, accusent le dirigeant du parti d’extrême droite d’avoir organisé un système de rétro-commissions entre la compagnie russe Rosneft, proche du pouvoir, et le pétrolier italien ENI afin de financer la campagne des élections européennes de la Ligue.
P.-S. : Je ne sache pas que Jean-Paul II aurait secrètement désiré que Mélanie l’Ancienne fût soumise à Rufin d’Aquilée. S’il lui était arrivé de déraper en ce sens, la rue européenne se serait levée comme un seul homme pour détruire chez lui tout espoir de porter atteinte à son intégrité.
La tolérance n’est pas la pierre angulaire des systèmes et régimes fondés sur l’égalité politique, lesquels réfutent la supériorité d’un quelconque groupe social ou individu par rapport à un autre et, partant, sont intolérants à tout mode d’expression qui offrirait un véhicule à des idéologies inhumanistes s’étant révélées foncièrement incompatibles avec les leurs. Notre capitulation face aux intimidations de l’Union eurasienne a jeté, sur les routes verglacées d’un improbable Eldorado, plusieurs millions d’opposants apolitiques aux dictatures en voie de développement. Or, notre modèle de civilisation ressortirait en miettes d’un effritement de ses fondamentaux, tels que le droit d’asile ou l’égalité des sexes. Donc, l’impératif du sauvetage des victimes très majoritairement musulmanes de persécutions plus ou moins directement islamistes, interdit aux héritiers de Mirabeau et Condorcet de perdre le combat du voile dans l’espace qui leur est consacré.
D’un côté, l’Europe du repli souverainiste insupportablement indifférente au cauchemar des réchappés de Daech que par ailleurs elle abandonne à un Boucher de Damas qui restera de loin leur principal bourreau, de l’autre, l’Europe du remords incapable d’imposer des principes universels dans lesquels l’otage migratoire est encouragé à faire le tri sous la pression d’une congrégation d’attardés de la décolonisation transposant le modèle de papa partout où l’indigène de l’autre rive menace de remettre les voiles, entre les deux, l’obligation d’endiguer l’Europe des relents auto-annulatoires sans faire contenir l’ire dionysiaque aux digues illibérales des faussaires du non-autre.
Il y a environ un an, la campagne italienne en vue des élections générales bat son plein. Une femme frappe à la porte d’un pavillon de banlieue. Elle dit être envoyée par la mairie afin d’apporter des éclairages sur la consommation d’énergie des ménages. Mes parents l’invitent aussitôt à s’asseoir autour de la table de la cuisine. Avant même d’entamer les préliminaires, la démarcheuse les invite à lui montrer leurs relevés de compte bancaire de manière à leur faire la démonstration, calculette en main, du gain notable qu’ils pourraient réaliser en changeant de fournisseur d’énergie. Se montrant certes alléchés par son offre, les deux octogénaires, briefés par leurs enfants sur les escrocs pour lesquels ils étaient devenus une proie facile, refusent toutefois de signer un contrat avant d’avoir pris le temps de l’étudier en détail. La charmeuse de l’ENI leur propose alors de monter un dossier de souscription pour lequel elle va avoir besoin d’un RIB, puis elle quitte ses clients, très touchés par les marques de sympathie dont elle les gratifie. Quand je suis mis au courant de toutes ces manigances, je presse ma mère de vite rappeler sa bienfaitrice et d’annuler tout ce qui vient d’être dit entre elles quelques minutes plus tôt. Mes parents ne recevront donc jamais aucun formulaire de souscription ni ne signeront a fortiori aucun contrat avec cette société italienne d’hydrocarbure aux méthodes pour le moins douteuses. Pourtant, le mois suivant, un premier prélèvement ENI apparaîtra sur leurs relevés de comptes. Il nous faudra attendre plusieurs mois avant de parvenir à résilier un contrat onéreux
auquel ils n’avaient jamais souscrit et les réabonner chez leur ancien fournisseur.
Monsieur le Secrétaire général du Comité central du Parti entriste de la Désunion soviétique ferait bien de prendre garde aux partenariats que scellent ses oligarques ; il serait préjudiciable au néobloc de l’Est qu’à la liste de ses crimes par procuration, vienne maintenant s’ajouter un procès collectif pour abus de faiblesse à l’encontre de l’Europe des seniors.