Outre s’inscrire en bonne place dans la lignée des bouffons politiques qui, de Caligula et Néron à Amin Dada et Kadhafi, n’ont cessé d’endeuiller l’Histoire de leurs frasques sinistres, Donald Trump vient de rejoindre dans le grand livre des lâcheurs de peuples les tenants, jadis, à Paris et à Londres de la Non-Intervention qui abandonnèrent la république espagnole à Franco et ses parrains fascistes, suivis à Munich des Daladier et Chamberlain qui sacrifièrent la Tchécoslovaquie à Hitler, par hantise de la guerre. Le même Trump, hier encore, qui vantait la vaillance et la constance des combattants kurdes pour leur lutte au premier rang contre l’Etat islamique, et les assurait de la reconnaissance de l’Amérique, s’est, en une de ces pirouettes géopolitiques dont il est coutumier et contre l’avis des plus hauts militaires américains, mué en Nouveau Ponce Pilate. Se souciant comme d’une guigne des conséquences du retrait des deux mille hommes des Forces spéciales américaines qui sanctuarisaient le nord de la Syrie face au rêve d’Erdogan d’éradiquer l’irrédentisme kurde, Trump, après le renoncement d’Obama de punir Damas pour l’emploi des gaz contre les populations civiles, après le lâchage par les Occidentaux du Kurdistan irakien coupable d’avoir voté l’indépendance, a sonné une nouvelle défaite morale, politique et militaire de l’Amérique.
Devant le tollé universel, Donald Trump, dans un xième retournement, parle désormais de reporter le désengagement américain et, après lui avoir donné son feu vert, menace la Turquie de désastre économique si l’armée d’Ankara fondait sur les Kurdes syriens. Mais, devant tant d’inconséquences, de bravache, qui peut croire encore en la parole de l’Amérique, en la fidélité à ses engagements ? N’avons-nous d’autre choix, nous Européens, que d’être les complices impuissants et navrés des foucades irrationnelles du docteur Folamour en poste à la Maison Blanche ? Ainsi que BHL le pointe dans les colonnes du Point cette semaine, les deux mille conseillers américains que Trump s’apprêtait à rapatrier, sont un contingent aussi décisif politiquement que modeste numériquement. Les remplacer par un contingent égal de militaires européens, outre qu’y sont présents depuis trois ans deux cents hommes des Forces spéciales françaises, n’est en aucune façon une tâche ni un fardeau insurmontables pour les vingt-sept nations du Vieux continent, pour peu qu’elles en décident ainsi. Il n’y faut rien d’autre, en effet, que ce ressort, si rare par les temps qui courent, que serait une volonté politique digne de ce nom. Volonté tant vis-à-vis de l’(ex) Ami américain que du bourreau de Damas et du néo-sultan d’Ankara, afin de contenir par une présence européenne sur place l’esprit d’abandon qui anime outre-Atlantique le fossoyeur en chef de l’Occident et, au Proche-Orient, de barrer la route à l’esprit de meurtre des deux fossoyeurs de peuples qui broient jour après jour la Syrie. L’Europe proclame haut et fort vouloir avancer comme entité unie sur le plan militaire et diplomatique. Elle a, comme hier en Bosnie et au Kossovo, une occasion à peu de frais de faire œuvre commune pour elle-même et sa sécurité collective contre le terrorisme, en fortifiant nos alliés kurdes dans le combat de tous contre les djihadistes de Daech, qui sont loin d’avoir dit adieu aux armes – et encore moins au crime – sur les bords de l’Euphrate et du Tigre.
On s’étonne que dans le concert de protestations diplomatiques et autres contre le n’importe quoi trumpiste, nulle voix européenne ni même française ne se soit, à ce jour, fait entendre pour proposer de reprendre le flambeau de la lutte avec les Kurdes de Syrie contre l’ennemi commun et de combler le vide laissé par le départ, serait-il remis pour l’heure, des Américains. En prime, va-t-on laisser Erdogan, après qu’il se soit emparé de l’enclave syrienne d’Afrin, faire le ménage des populations kurdes toujours plus loin de ses frontières ? Va-t-on, de même, laisser Bachar El Assad imposer aux Kurdes syriens la fin sans rémission de leur autonomie, si chère payée ?
L’Europe qui désespère à voix haute de l’Amérique de Trump, va-t-elle se réveiller, joindre les actes à la parole ? Ou, arguant médiocrement, misérablement que sans les Américains on ne peut rien, fermer les yeux et laisser faire ?
Europe somnambule ou Europe debout : le choix, une fois de plus, est là.