«Otages à Entebbe» est le quatrième long métrage consacré à la célèbre opération Thunderbolt déclenchée le 4 juillet 1976 par le gouvernement israélien pour libérer plus d’une centaine de passagers d’un vol Air France reliant Paris et Tel-Aviv retenus en otage à Entebbe (Ouganda) par des terroristes palestiniens et allemands.
Pour le metteur en scène José Padilha, ce projet est aussi l’occasion de prendre sa revanche au cinéma après l’échec artistique de son remake de «Robocop», la «pire expérience» de sa carrière, selon son propre aveu. Auteur de la série télévisée «Narcos» et surtout du diptyque «Troupe d’Elite», le réalisateur brésilien possédait de solides références et un regard a priori plus distancié pour traiter du terrorisme palestinien. On n’en est que plus déçu par son film.
Qui étaient les terroristes allemands ?
Difficile de ne pas éprouver un profond malaise face au choix de construire le récit à travers les yeux des deux terroristes allemands, particulièrement Wilfried Böse, interprété par Daniel Brühl.
Au terme de flash-backs sur sa radicalisation progressive, destinés à fortement humaniser le personnage, le spectateur non-averti se trouve bien en peine de comprendre à quelle organisation Böse se trouvait affilié. S’agissait-il de la Fraction Armée Rouge (RAF), la fameuse «bande à Baader», comme le lui demande un autre personnage du film ? Mais le personnage se contente de continuer de fixer son interlocuteur, sans répondre. Plusieurs allusions sont faites au sujet du suicide d’Ulrike Meinhof (co-dirigeante de la RAF) dans sa cellule, comme si le détournement du vol Paris-Tel Aviv résultait du désir de venger les morts de la Fraction Armée Rouge. Ces non-dits et ambiguïtés rendent l’histoire incompréhensible alors qu’il suffisait de contextualiser la création des Cellules révolutionnaires (RZ), organisation créée par Wilfried Böse en 1973. Dans le cas du détournement du vol Paris-Tel Aviv, cette organisation hybride faisait bien office de partenaire du groupe palestinien radical FPLP. Il ne s’agissait donc pas de la Fraction Armée Rouge, qui fut toutefois l’alliée opérationnelle du FPLP, mais dans d’autres opérations.
Wilfried Böse n’était pas, et de loin, le petit libraire idéaliste un peu naïf tel qu’on nous le dépeint. Passé à la clandestinité et ayant créé sa propre organisation, il avait projeté des attentats contre des représentants de la communauté juive allemande et avait même proposé d’enlever et d’assassiner Simon Wiesenthal – ce que ce dernier a mentionné dans son ouvrage «Justice n’est pas vengeance» (1989).
Quelques mots sur la terroriste Brigitte Kuhlmann, incarnée par la Britannique Rosamund Pike. Il existe très peu d’informations sur cette membre des RZ issue de l’extrême-gauche la plus radicale. Les témoignages s’accordent cependant sur un point : elle fut comparée par ses otages à une gardienne de camp de concentration, ne cessant de hurler sur les passagers, les menaçant et proférant des insanités antisémites. Cet aspect est très lissé dans le scénario, qui s’efforce par ailleurs de montrer chez elle des moments de vulnérabilité. C’est bien connu, les bourreaux sont aussi de grands sensibles.
Quant aux terroristes qui menaient l’affaire, ils étaient bien les Palestiniens mais ceux-ci se trouvent réduits à des silhouettes inconsistantes. Ce qui tend à les disculper.
Comment penser l’Histoire ?
Probablement conscients que les précédents films consacrés à l’opération Thunderbolt sont d’une certaine indigence, tant sur le plan technique que narratif (la structure de «Raid sur Entebbe», réalisé par Irvin Kershner en 1977, s’avérant la plus fouillée), José Padilha et les producteurs mettent en avant le parti-pris consistant à multiplier les points de vue et à relier Entebbe à l’histoire du conflit israélo-palestinien. Il n’y a là rien de novateur dans la mesure où le film de Kershner adoptait déjà une narration fragmentée, en s’attardant notamment sur les phases de préparation militaire.
Le piège de « Otages à Entebbe » réside dans le choix d’une contextualisation qui se voudrait propre au XXIème siècle alors que les précédents films sur Entebbe assumaient leur position pro-israélienne. Le scénariste semble hélas convaincu que l’opération Thunderbolt permet de penser l’histoire d’Israël. La création de l’Etat hébreu et le conflit israélo-palestinien sont ainsi résumés, au début du film, de manière plus que tendancieuse, laissant implicitement penser que le conflit israélo-palestinien est né avec l’annonce de la création de l’Etat d’Israël. Cette approche simplificatrice est dommageable, c’est le moins qu’on puisse dire. Quant à l’appellation «terroriste», elle est laissée à l’appréciation des autorités israéliennes, avec de gros guillemets, malgré la mention d’opérations palestiniennes menées contre des civils.
Le récit aménage un espace important aux tensions au sein du gouvernement israélien, avec un leader charismatique (Yitzak Rabin, interprété par le formidable Lior Ashkenazi) et un personnage fourbe et inquiétant (Shimon Peres, incarné par le théâtral Eddie Marsan). Deux conceptions de l’autorité qui ne s’opposent pas tant que cela, sur le fond, mais plutôt sur la forme. Cet affrontement feutré entre les deux hommes permet d’apporter une résonance certaine à un récit fort convenu. Malheureusement, certains dialogues placés dans la bouche des comédiens relèvent du prophétisme et du psychologisme primaire. Il n’y avait rien de tel dans le film d’Irvin Kershner : seule comptait l’efficacité tactique.
L’opération menée à Entebbe a constitué un succès militaire, politique et médiatique pour Israël, cimentant un récit national meurtri par la guerre du Kippour et la chute de Golda Meïr. Avec ses ramifications transnationales, il constitue un épisode symboliquement marquant du contre-terrorisme, qui effacera partiellement le traumatisme de Munich, quatre ans auparavant. De là à en faire une parabole sur le conflit israélo-palestinien, le pas est un peu rapide à franchir…
Comment filmer la guerre ?
Situé dans le dédale des favelas de Rio, «Troupe d’élite» avait révélé chez José Padilha un talent prodigieux de topographe de la guérilla urbaine. En plus d’offrir une parfaite lisibilité d’actions complexes et évolutives, Padilha n’hésitait pas à aborder frontalement les sujet les plus dérangeants comme l’utilisation de la violence formellement légitime et ce qu’elle révélait de nos sociétés : corruption, absurdité de la bureaucratie, dissolution du corps social, tentation fascisante de la loi du talion, (in)compétence opérationnelle… On était donc en droit de s’attendre ici à un décryptage de l’intervention d’Entebbe, non pas dans une optique militariste mais réellement signifiante, afin d’offrir au spectateur les émotions requises tout en questionnant son propre regard sur la violence, y compris au nom d’une cause moralement inattaquable (sauver les otages).
Or, c’est comme si Padilha avait décidé d’émasculer sa propre grammaire cinématographique. Les 20 minutes de l’opération militaire israélienne se trouvent réduites à quelques flashes d’un ralenti pesant entrecoupés d’une chorégraphie artistique qui permet de renoncer à toute exigence de signifiant et de fluidité. Autrement dit, alors que Padilha se targue d’avoir une vision plus critique du succès militaire d’Entebbe, il entérine à l’image son incapacité à structurer la matière narrative que constituait la réponse militaire d’Israël. Le symbolisme de cette chorégraphie sur scène n’est donc pas pertinent : il a pour effet de détourner notre regard du drame qui se noue et de ne pas rompre vraiment avec le militarisme cinématographique.
Quant à l’authenticité du récit, on ne peut que trouver inconvenante l’absence d’une grande partie de l’opération militaire, à savoir les 20 soldats ougandais abattus, les Mig au sol détruits au moins partiellement et les otages tués lors des échanges de tirs. Certaines sources persistantes attribuent la mort d’un à deux otages aux tirs israéliens. Une quatrième otage, qui avait été hospitalisée, a été assassinée le lendemain par la garde d’Ada Imin Dada. Les victimes, elles, n’ont aucune place dans ce film avant tout construit autour des états d’âme de deux terroristes allemands, piteux exécutants d’une opération planifiée par le FPLP.
Cette démarche a pour effet de nous éjecter brutalement d’un récit discutable et parfois laborieux de 90 minutes. Au vu des nombreuses omissions et approximations relevées, il n’est pas excessif de juger qu’«Otages à Entebbe» échoue à penser la guerre et ne rend surtout pas justice à l’Histoire.
Bonjour,
Ulrike Meinhof a été retrouvée pendue dans sa cellule le 9 mai 1976, soit quelques semaines avant le détournement du vol Tel-Aviv Paris. Il n’est donc pas aberrant qu’il en soit fait mention dans le film.
Par contre, en 1977, il est vrai que lorsque le détournement à Mogadiscio d’un Boeing de la Lufthansa échoue suite à l’intervention des autorités allemandes antiterroristes, dans les heures qui suivent, Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan Carl Raspe sont trouvés mort dans leur cellule. Une autre membre de la RAF est retrouvée grièvement blessée mais elle a survécu.
Le film s’évertue à contextualiser l’action des deux terroristes allemands tout en laissant planer le doute sur leur affiliation à la RAF.
Wilfried Böse connaissait les fondateurs de la RAF car, à l’époque, la galaxie de l’extrême-gauche radicale, particulièrement en Allemagne de l’Ouest, était faible numériquement, contrairement à l’Italie. Tout le monde se connaissait plus ou moins.
Böse a recruté Hans-Joachim Klein, « repenti » des Cellules révolutionnaires. Dans son livre-témoignage, LA MORT MERCENAIRE, ce dernier décrit avec beaucoup de détails le positionnement de Böse et sa proximité avec Carlos. On y découvre un homme beaucoup plus résolu que dans le film.
L’opération d’Entebbe n’a jamais concerné directement la RAF même si les Cellules révolutionnaires ont exprimé dans plusieurs attentats leur soutien aux « camarades » de la RAF. Contrairement à l’Italie, il semblerait qu’il y ait eu moins de rivalités entre les groupes armés d’extrême-gauche.
Les demandes des terroristes d’Entebbe portaient sur la libération de prisonniers pro-palestiniens détenus dans plusieurs pays. Ce fait est intéressant à relever par rapport à la lecture « germanique » du film.
Tiens, j’apprends quelque chose grâce votre critique sur ce film ….. Le réalisateur ne sait donc pas que le suicide d’Ulrike Meinhof a suivi la fin de la prise d’otages du vol Lufthansa LH181 après l’opération du GSG 9 allemand à Mogadiscio en octobre 1977