Dans la nuit parisienne, il chemine sous les arcades du Louvre, l’œil grave et l’air satisfait. Emmanuel Macron marche. Vers ses électeurs, la France et son destin. A 39 ans, le fondateur d’En marche ! devient le plus jeune président de la République à son entrée en fonction. Scénographie parfaite. Solennité de l’instant. L’image (bien) fabriquée de cet Obama à la française imprime la rétine. L’influence mitterrandienne est indéniable. Cette fois, il n’y a pas d’autres symboles que ce qu’il incarne essentiellement : la jeunesse, l’intelligence rapide et le courage politique. Pas de rose socialiste. Plus d’intermédiaire entre le nouveau Roi et son peuple. Macron se donne directement à la France. « Avec amour » a-t-il précisé à la fin d’une allocution victorieuse à la dimension christique évidente.
Derrière EM, la pyramide de l’architecte sino-américain Ieoh Ming-Pei, symbole de cette France frondeuse et conquérante, moderne, ancrée dans la culture, tournée vers demain. Il s’agit là du point final d’une campagne volontaire menée sur les mêmes standards que d’autres grandes aventures politiques contemporaines. Ainsi, les campagnes du canadien Trudeau, de l’italien Renzi et de l’américain Obama ont usé des mêmes ressorts : la fédération des forces vives de la nation, la convocation de l’esprit d’entreprise, l’idéal progressiste réactivé. Mais surtout : il s’agit de jolis produits, d’offres cohérentes, « impactantes » et scrupuleusement « chartées » pour reprendre le langage des agences de communication. Ce n’est pas un mal. C’est le réel. D’ailleurs, il fallait bien cela pour battre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, deux autres « produits » politiques usant, eux-aussi, de puissantes ficelles narratives…
Ce lundi 8 mai, soulagés, nous nous réveillons donc en Macronie. Un pays nouveau qu’il nous faut apprivoiser et auquel il faudra s’habituer. Une contrée qui fut longtemps immatérielle, artificielle et hypothétique. Devenue concrète, la Macronie plaque désormais son intitulé sur un territoire géographique tout ce qu’il y a de plus réel : la France. Quels contours ce pays aura-t-il ? Ressemblera-t-il à la molle Chiraquie ? Se voudra-t-elle réformatrice, nerveuse, voire hystérique à la manière de la Sarkozie ? Prendra t-elle le chemin sympathique mais « empêché » de la Hollandie ? Il est un peu tôt pour trancher, d’autant plus que nous ne savons même pas dans quel camp Emmanuel Macron ira chercher son Premier Ministre. De ce flou savamment entretenu, mitterrandien en diable, nait d’ailleurs la déstabilisation de l’opposition. LR, PS, FN et Insoumis ne savent plus où ils habitent ! Si Macron nomme Edouard Philippe, le maire juppéiste du Havre, la droite républicaine implosera. Si le nouveau Président décide de faire son petit marché dans les rangs socialistes, le PS se scindera en deux. Si le locataire de Matignon est centriste, le désaveu sera puissant. L’espace est donc ouvert et puisque tout est possible, les adversaires d’En Marche ! sont déstabilisés. La chance de Macron est double : c’est l’état de grâce en même temps que l’état de décomposition avancée des grands partis traditionnels. Cela, c’est l’œuvre du nouveau Président et de lui seul : en une année seulement, le candidat victorieux d’En Marche ! a créé les conditions pour s’imposer dans le paysage politique français, pris de vitesse un Parti Socialiste à bout de souffle et une droite républicaine minée par les affaires. Avec un Macron omniprésent sur le chemin de la campagne, la route était barrée pour un Hollande frileux et un Bayrou pas assez réactif. L’héritier politique avait « de la sève » tandis que le reste de la classe politique reproduisait des schémas dépassés. Macron a gagné face à Le Pen certes mais il a surtout suscité un véritable désir d’avenir dans les rangs d’une jeunesse que l’on disait revenue de tout…
Pour Emmanuel Macron, le plus dur commence. Il va falloir sortir de la com’. Commencer à se dévoiler vraiment… Dès aujourd’hui, les alliances promettent de se multiplier. L’opposition la plus acharnée provient d’ores et déjà des pôles populistes que sont le FN de Le Pen et les Insoumis de Mélenchon. Le parallélisme de leurs combats n’étonne plus. Ne leur en déplaisent, les deux tribuns gouailleurs se retrouvent à livrer la même bataille… Chaque camp abat ses cartes. Dans une France en quête de consensus, les extrêmes vont tout faire pour susciter et échauffer les radicalités. Comment leur répondre ? Certainement en leur opposant de nouveaux visages. Les Français ont soif de renouvellement, de table renversée, de modèles différents ? Ecoutons-les ! Balayons la gérontocratie qui monopolise le pouvoir. Imposons de nouveaux leaders ! En changeant de génération, nous changerons mécaniquement d’époque et de cadre. Une chance unique nous est offerte : celle de faire (enfin !) apparaître le nouveau monde gramscien. Ne passons pas à coté par excès de conformisme. Place aux jeunes, vite !