Khatoon Ali Kheder est la commandante de l’unité militaire féminine yézidie des Peshmergas (autrement nommée « l’unité du Mont Sinjar »). Appelée à diriger cette unité particulièrement symbolique dans la lutte contre Daech, elle a également mené plusieurs délégations en Europe, notamment en Belgique et à Strasbourg, pour plaider la cause kurde auprès de l’Union européenne : « Nous demandons à l’Union Européenne de nous envoyer des armes pour nous aider à battre Daech », déclarait-elle à la presse en octobre 2015, entourée d’autres officiers peshmergas. Le bataillon qu’elle dirige est composé de plus de 500 femmes yézidies et s’étoffe de jour en jour depuis que ces dernières ont décidé de rejoindre les rangs de l’armée kurde. Et ce sont bien ces figures de proue féminines de la lutte anti-Daech qui sont mises à l’honneur dans le film Peshmerga de Bernard-Henri Lévy.
Armes de communication et de contre-discours selon certains commentateurs, ces soldates fascinent autant qu’elles dérangent leurs ennemis. BHL rappelle dans le film que l’une des terreurs des djihadistes de Daech serait de périr sous les balles d’une femme, ce qui les priverait alors de la supposée promesse divine d’« houris aux grands yeux ».
L’action de ces femmes, le film le rappelle également, s’inscrit aussi dans le combat pour l’émancipation des femmes et pour l’égalité hommes-femmes au Moyen-Orient. L’Histoire les aura ainsi conduites à jouer un rôle militaire et politique désormais incontestable, sur le front, comme dans le civil.
En première ligne de la barbarie perpétrée par l’Etat islamique, les femmes yézidies payent un vertigineux tribut au nom de Dieu : viols érigés en système, esclavage, humiliations ultimes, certains de leurs enfants enlevés et élevés pour devenir les soldats de leurs bourreaux.
Dans un communiqué émanant (enfin) du parlement européen le 4 février dernier, la qualification de génocide, en débat jusque là – débat dans lequel de nombreux députés avaient nommé en tant que tel l’extermination des minorités religieuses, en particulier chrétiennes et yézidies, par l’Etat islamique –, a été formulée pour caractériser la situation dans laquelle sont plongées les minorités au Levant : « Les députés pressent la communauté internationale à prendre des mesures urgentes pour contrer le massacre systématique des minorités religieuses par le groupe État islamique, EI ou Daech », précisait-t-il. L’instance ajoutait, dans une note aux rédacteurs, quelques éléments relatifs aux déclarations des Nations unies, reconnaissant des actes pouvant s’apparenter à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En effet, le 19 mars 2015, l’ONU livrait un rapport faisant état des crimes de l’Etat islamique « contre de nombreux groupes ethniques et religieux en Irak » dont certains pouvaient « constituer un génocide » : « Le schéma manifeste des attaques contre les Yézidis a indiqué l’intention de l’EI de détruire les Yézidis en tant que groupe. ». C’est, encore, la position de BHL dans ce film, Peshmerga. Et c’est ce qu’il dit dans les premières interventions accompagnant la sortie du film…
Un espoir que la formulation exacte du terme puisse entraîner un basculement de l’implication internationale, et surtout une responsabilité supplémentaire devant l’Histoire ?
Hemin Anthony Chamon, le président de l’Association des Yézidis de France (AYF) a réagi : « Quelques lignes, après deux ans d’alerte, cela reste un peu honteux. Nous nous en félicitons tout de même, évidemment, mais cela aura pris tellement de temps… Des organisations et des députés yézidis ont pourtant témoigné il y a des mois devant les euro-députés. Tout est très documenté. Nous avons besoin de soutiens. Les Yézidis ont été abandonnés et continuent de l’être ».
Plusieurs milliers de femmes et d’enfants sont toujours portés disparus, séquestrés, ou réduits en esclavage par les membres de Daech, de nouveaux charniers sont découverts régulièrement dans cette région. 3 500 femmes yézidies seraient toujours emprisonnées en tant qu’esclaves, ainsi que 1 500 enfants. Environ 300 000 réfugiés survivent en situation d’urgence humanitaire. Même pour ceux qui ont réussi à gagner l’Europe, la précarité administrative et économique sur fond d’éparpillement et de diaspora, reste terrible. Sur place, des Yézidis organisés en quelques bataillons tentent de résister comme ils le peuvent, dont des groupes de femmes armées, tel celui de la capitaine Khatoon Ali Kheder, l’une des héroïnes de ce film que Bernard-Henri Lévy est venu présenter à Cannes – la capitaine à ses côtés…
Dans une lettre adressée à la France, elle déclarait alors aux côtés de ses collègues officiers : « Nous combattants kurdes, qui sommes venus ici pour cette grande occasion, voudrions remercier par cette lettre Bernard-Henri Lévy pour le film qu’il a consacré aux nôtres et qui s’intitule Peshmerga, ce nom que nous portons depuis que nos pères, nos grands-pères, avant nous, ont combattu pour notre peuple ».
Je n’imagine pas un instant que vous hésiteriez une seconde à trancher quand l’impossible choix qui vous serait proposé consisterait entre, d’une part, prendre votre vieille mère chez vous à plein temps du fait que vos frères et/ou sœurs dédaigneraient d’en partager la garde et, d’autre part, placer celle qui vous a mis au monde en hospice. Il serait à l’évidence plus juste que la Fratrie mondiale se répartisse le poids que représente la charge de tous les réfugiés de toute guerre oubliable d’autant plus obsédante que notre instinct de conservation nous programme pour en raturer, à défaut de pouvoir l’effacer, le caractère incontestable. Mais la Fratrie mondiale est aussi susceptible de voir clair que rouge lorsqu’on lui demande de faire un effort outrepassant ses forces. Et les nations dotées d’une résistance morale à toute épreuve n’attendront pas que la Mama mésopotamienne soit décharnée par l’emmurement d’un arsenal de lois n’ayant pas d’autre cœur que celui des hommes, au sens humaniste du terme, qui les interprètent. Elles ne lui feront pas attendre en vain un appel téléphonique émanant d’un néomonstre de Risi.