Et puis qui dit Allemagne dit encore… (Il semble à l’écoute, soudain, d’un invisible souffleur.)
Ouais, je sais : Marlène… Et Lili Marleen… Et les Walkyries… Et la Lorelei… Et Nico, et Lulu et Lou… Et Bettina von Arnim… Et Mata Hari… Et Mère Courage… Et l’Eve de Cranach… Je sais que c’est pas un mec, l’Allemagne. Je sais qu’ils ont les plus sublimes héroïnes du monde. Mais qui dit Allemagne dit encore – je suis désolé ! – la Grèce maltraitée par des banquiers qui ont quand même une fâcheuse tendance à fourguer leurs remèdes comme on fait boire la ciguë. D’accord, Aube dorée. D’accord, un parti nazi dans le pays de Périclès. Mais, de l’autre côté, il y a aussi ce salopard de banquier Gerhardt, l’an dernier, après cette émission où on s’était frités… (Il se rassied, tape ≪ banquier Gerhardt ≫ et voit apparaître des images d’émeutes en Grèce.) C’était win-win à l’époque, frimait le banquier Gerhardt, dans le bistro branché où il nous avait invités, après l’enregistrement, avec sa femme et son assistante préférée, jupe au ras des fesses et cheveux à la Louise Brooks peroxydés ! Win pour la Grèce qui obtenait, moyennant micmac et maquillage de ses comptes, son visa d’entrée dans l’eldorado de l’euro. Win pour ma banque et, accessoirement, pour moi, banquier Gerhardt, qui me suis fait, rien que sur ce coup, cent millions de dollars de bonus. Mais là… Il a pris l’air navré du type hypersympa, hyperhype, qui a fait tout ce qu’il a pu pour le bien des Grecs mais qui, là, tout à coup, ne peut plus rien. Là, a poursuivi le banquier Gerhardt tout en draguant éhontément son assistante préférée et peroxydée, c’est la lose pour les Grecs. Là, les Grecs ont déconné et j’ai peur qu’il ne faille une nouvelle opération, avec remicmac, et remaquillage des comptes, pour les ressortir, un jour, de la zone euro. (Il se relève, et recommence d’arpenter la scène.) C’était tellement moche, tellement dégueulassement moche et cynique, ce roulage de mécaniques du banquier Gerhardt, que même sa femme l’a lâché. Elle l’a attaqué sur le fait qu’il ronflait la nuit. Puis sur le fait, à mots couverts, qu’il ne la baisait plus. Et en quoi les Grecs ont déconné, j’ai demandé à voix haute ? Oh, a fait le banquier Gerhardt, avec des airs de mystère, mais sans cesser de tripoter son assistante préférée et peroxydée, demandez aux experts de l’agence de notation Pandards et Pauvres combien de Grecs, par exemple, paient leurs impôts. Ouais, j’ai pensé… C’est pas faux… Mais la seule chose pas mystérieuse c’est que, quand les trois mickeys incompétents de l’agence de notation Pandards et Pauvres qui avaient donné le visa d’entrée à la Grèce diront : stop ! on s’est gourés ! le risque pays de la Grèce, malgré les centaines de milliards d’euros qu’on y a déversés, a pris trois points ! on la sort !, il y a des copains, et du banquier Gerhardt, et de l’agence Pandards et Pauvres, qui se prendront l’équivalent en euros sonnants et trébuchants – ils ont touché la première fois ; ils toucheront la deuxième fois ; sans parler de la troisième touche, là, sous mes yeux, et sous ceux de sa femme, et sous ceux de la serveuse qui, de là où elle se trouvait, n’avait rien perdu du manège – elle a eu l’air tellement sidérée, la serveuse, que j’ai fait semblant de faire tomber ma serviette (il mime la scène) pour aller voir, sous la table, comment un grand de ce monde, un puissant, un banquier rock and roll, était monté le long de la cuisse, avait écarté l’élastique de la culotte et était en train de triturer la conque, la framboise, le bijou, le minou, la craquouse, la guitoune, la zezette, le bouton d’amour, la foufounette, la moulasse, la tirelire, la didine, la pompe à foutre, le berlingot, de son assistante préférée et peroxydée. C’est pas que je lui en veuille d’aimer ça. Mais, quand je pense au foin qu’on a fait quand le maître à penser du banquier Gerhardt, son grand manitou garanti FMI, mais qui, lui, n’a jamais touché sur la Grèce, a fait savoir qu’il n’avait rien contre le troumignon, ça me rend fou !
La Grèce, l’Allemagne et le banquier Gerhardt
par Bernard-Henri Lévy
10 juillet 2015
Dans sa pièce Hôtel Europe (Grasset, 2014), Bernard-Henri Lévy abordait la situation grecque, la position de l’Allemagne, et les abus d’un certain banquier Gerhardt… Découvrez cet extrait de l’acte II qui fait écho avec l’actualité brûlante de la semaine. Avec l’aimable autorisation des éditions Grasset.
Je n’ai — tel Hugo — qui n’a jamais été le Victor de Vitrac (métempsycoteur de Jarry) que je ne révère pas — je l’aime trop pour lui faire ce coup — pas encore renoncé à accoster au nouveau monde, émergeant de lui-même, que constituerait la naissance au forceps des États-Unis d’Europe. Sauf que — et là, ça marche comme l’allégorie du cheval de Troie — le retournement d’une partie du camp adverse ne suffit pas pour qui s’est mis en tête de remporter la victoire sur l’Offense. Car en fait de guerre civile, c’est bien aux Achéens qu’incombe, une fois que la porte leur a été ouverte par quelques sujets-otages du fils de Priam, la dure tâche de s’engouffrer dans la brèche et s’attaquer au problème par tous les bouts, de surcroît, au corps à corps. Deuxième point à ne pas chasser trop vite de notre esprit fraternel, l’auteur de la Légende des siècles vouait un culte à Napoléon et la confédération de l’Europe était, chez lui, inconcevable sinon sous l’égide d’un souffle unique, d’un modèle insufflé par un esprit unique et, disons-le, d’un être unique, mettant tout le monde d’accord sous sa botte éperonnée. Pour tout vous dire, je ne suis pas loin de penser que ce doux rêve que nous partageons d’une Europe unie en profondeur, quand même nous renâclons à nous l’avouer, pourrait, sans trop de difficulté, se glisser à l’intérieur du moule impérial dans lequel se coulait l’or universaliste dans son précipité hugolien.
«Quoi? Vous voulez rétablir l’esclavage?
— Très bien. Pour commencer, nous allons reprendre nos esprits… et puis, autant que possible, comprendre ce que nous tentons de comprendre…
— Quoi-t-est-ce que vous nous?»
Pour faire simple, nous désirons des États européens unis sous le modèle de la République française. Par exemple, nous ne souhaitons pas généraliser la monarchie constitutionnelle. Et donc, nous attendons que les derniers monarques d’Europe abdiquent devant la nécessité d’une Union renforcée que nous souhaitons non seulement laïque, mais laïque à la french. Et si je pense que nous sommes dans le vrai, je pense aussi que nous allons devoir prendre soin de ne pas brûler les étapes si nous voulons convaincre nos voisins du bien-fondé de notre modèle. Car, pour l’instant, le Royaume-Uni n’aimerait pas qu’une loi d’interdiction du voile intégral dans l’espace public déborde sur les habitus traditionalistes de sa chambre des Lords. Peut-être aurions-nous plus de chance de le rendre sensible à notre propre excentricité en retournant à la racine de toute culture, n’hésitant jamais à proclamer, et ce où que nous tenions le rang qui est celui de nos principes, que pour la France, la laïcité est une loi sacrée.
«Mais l’Angleterre, c’est pas la zone euro! Vous dites n’importe quoi!»
Comme je disais… ne pas brûler les étapes. Et puis, nous sommes bien d’accord que nous ne rétablirons pas l’esclavage en vue de financer, d’une main d’œuvre gratuite, la Grande Armée européenne qu’il nous faudra former pour venir à bout de Daech après que nous l’aurons laissé piétiner les dernières lampes à huile d’Alija Izetbegović et fonder, dans le cimetière de l’islam des Lumières, le premier califat d’Europe.
a) Éviter d’aiguiller les candidats européens au Jihâd vers la Bosnie-Herzégovine.
b) Ne pas réagir à l’envers. Comme pour la Grèce, c’est bien d’être hors de soi que l’Europe se menace.
Il y a bien un moyen pour que les peuples européens acceptent de céder un peu de leur souveraineté avec l’assurance de ressortir plus forts d’un tel effort. Les amener à réaliser un autotransfert de souveraineté. Envisager l’Europe comme une nation, ce serait devenir citoyens d’une superpuissance aussi souveraine que n’importe quelle autre. L’Europe refera rêver parce qu’elle aura cessé d’être cette abstraction bureaucratique, impersonnelle et déshumanisante. Donner un gouvernement à sa zone monétaire, d’accord, un parlement, pourquoi pas, mais cela ne prendra pas avant que nous nous soyons procuré à nous-mêmes, Citoyens (nationaux) de tous les pays (dont ne nous sommes, à l’instar des occupants d’une chambre d’hôtel, que les usufruitiers), le sentiment que nous devenons les Citoyens (internationaux) de la première puissance mondiale. Face à la Chine ou aux États-Unis, il nous faut imposer une image restaurée de nous-mêmes, étant seuls responsables de l’estimation comme de la mésestimation de notre juste valeur. Ainsi, entre le syndrome de Napoléon et le complexe d’Astérix, il y a de la place pour le rêve européen d’une nouvelle acception de la superpuissance mondiale. D’une citoyenneté à la multiethnicité patente qui nous préserve d’un transfert du sentiment nationaliste à l’échelle continentale. D’une avant-garde de la civilisation universaliste de par son dépassement des antagonismes mortifères. Quand on y pense, il n’y a pas de quoi faire profil bas. Il y a même de quoi nous prévaloir du redressement prodigieux de la civilisation à terre, une civilisation qui se montrera digne du modèle qu’elle prétend exporter de par l’union de tous ses États, partiellement surmontés dans la cuve de fusion de la Grande Histoire.
L’histoire d’Europe est symbolisable jusque dans sa bannière étoilée. Constellation en forme d’alliance, ou de cerceau enflammé, notre drapeau révolutionnaire n’a pour ainsi dire aucune raison d’avoir honte de lui-même. Je serais lui, je la ramènerai davantage. Conscient que ceux qui le rejettent sont aussi ceux qu’il rejette, c’est tout bêtement ensemble qu’ils devront dépasser le stade du rejet. Repousser les frontières est un instinct comparable aux étirements naturels que nous effectuons au réveil. En prélude à l’éveil, les arts savants se comportent comme des savants, étrangers à la notion de frontière nationale. Ce n’est pas encore le cas pour les arts populaires, qui montrent trop souvent une fâcheuse tendance au séparatisme. L’Europe traverse actuellement une crise identitaire qui est le produit des évolutions disparates reconfigurant l’intégralité de son territoire. La politique culturelle d’un monstre politique de ce genre, si elle souhaite populariser son idée auprès de sa métacitoyenneté, devra, cela s’entend, mettre à contribution ses pop idols jusqu’à ce qu’elles lui fabriquent une mémoire collective comparable à celle de la grande époque de la Reconstruction. Eh oui, rappelez-vous ce temps où l’Europe cherchait encore à se séduire, bien avant qu’elle ne se fût claquemurée dans une forme de laisser-aller proprement suicidaire… Je vous parle d’Ullmann Liv, de Schygulla Hanna, de Mastroianni Marcello, de Mercouri Melina. Mais il ne faudra pas s’arrêter là : où nous serons repartis : de là où nous nous étions arrêtés. Le mouvement européiste ne doit plus se limiter à être l’addition des courants européens. Ses héros, fussent-ils nés aux quatre coins de l’Europe, doivent nous tracer une Route 66 sur-mesure. Et si leur détermination à devenir qui ils sont aura pour inévitable effet d’élargir la guerre philosophique, on peut aussi envisager, dans ce domaine particulier, l’arrivée des renforts. J’invite donc, de ce pas, notre grand voisin serbe à se joindre à notre beau projet, lui qui n’a pas besoin de moi pour apprendre que la meilleure façon de repousser les soupçons de génocide consiste à projeter sa propre compulsion à exterminer sur ceux qui en font les frais : «Un antifasciste est traité de nazi, alors qu’un nazi est qualifié de démocrate (Emir Kusturica. Sputnik France, 17 juillet 2015).» Ce théorème — nous voyons bien qu’il vaut pour la tentative russe d’annexion de l’Ukraine — s’applique à l’épineuse question de la Turquie et à nos propres arrangements avec la vérité en échange de son maintien au sein de l’OTAN; une hideuse compromission, nous assurant d’une zone tampon entre l’Europe et ces 1 300 km de frontières avec l’Irak et la Syrie.
Force est d’admettre que l’eurozone ne fonctionnera jamais comme une organisation nationale. Car l’Europe est irréductiblement une entité internationale, elle doit traiter ses États-membres à la manière dont l’ONU agit avec les siens et attribuer son leadership aux plus puissants d’entre eux. Nous ne voudrions pas qu’une trop jeune démocratie, ignorant tout des défis sidérants auxquels sont confrontés les nouveaux blocs, détînt un droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies. Si l’Europe a pour principal intérêt de nous doter de sa potentielle superpuissance, à l’évidence, ce sont les plus fortes de ses puissances constitutives qui sont en capacité de la diriger, et non pas les plus faibles. Depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, nous tentons par tous les moyens d’empêcher le grondement des nations de sauter par-dessus les barrières de l’enclos économique, prévenant, à chaque fois qu’on le peut, le déclenchement d’un conflit armé. Sur ce point précis, la crise que nous venons de traverser ne doit pas nous induire en erreur. Dans certains cas, la solidarité fait principalement œuvre d’exemplarité. En l’occurrence, les Eurozonards n’ont pas toujours compris que l’harmonisation des règles et leur observation commune est une question de solidarité. Avant de songer à partager le fruit de nos efforts, veillons à répartir avec davantage de justesse les efforts que nous espérons fructueux. 1. L’Europe doit éviter de correspondre trait pour trait à sa caricature. 2. L’eurozone n’est pas censée être à l’Europe des peuples ce que l’Eurovision est à l’Europe du peuple. Lorsqu’on tient un tel rang mondial, on ne se donne pas ainsi en spectacle. On monte sur les planches, et si l’on slame vers les chats-huants, ce n’est pas sans s’être donné pour objectif de les arracher à la nuit.
Les premiers de la classe sont, en règle générale, bêtes et disciplinés + Comme les Français, les Grecs sont indisciplinés – Je me souviens de la quinte de toux de Dominique Strauss-Kahn au moment où Mme Clarke l’avait interrompu en pleine déglutition de champagne, après une heure d’interrogatoire musclé, pour lui demander, En aparté, s’il lui arrivait, en se rasant, ce matin par exemple… de songer à la présidentielle + Si DSK s’était contenté de son siège au FMI, Nafissatou Diallo n’aurait jamais croisé son chemin / Aujourd’hui, dimanche 12 juillet 2015, les discussions entre les Grecs et leurs créanciers sont dans l’impasse pour la simple raison qu’elles n’ont pas résisté à s’attarder sur le mode libidinal de la fixation sur une date butoir + Nous ne sommes pas condamnés à, d’un côté, foncer droit dans le mur et, de l’autre, nous constituer prisonniers d’une impasse – Lorsqu’on se rend compte que la route qu’on a prise est sans issue, on a tendance à s’y sentir séquestré; au lieu de paniquer, appuyons sur la pédale d’embrayage et enclenchons la marche arrière x Le maintien de la Grèce dans la zone euro est un problème d’ordre géostratégique = Ne confiez pas votre avenir à des comptables!