Quelque chose est passé quasiment inaperçu.
Nous entendons partout, non seulement dans la bouche de Poutine, mais en Europe même, que la Crimée fut rattachée par Khrouchtchev à l’Ukraine en 1954, quand cela n’avait aucune importance, l’URSS coiffant tout, et qu’elle n’a jamais été ukrainienne ni de peuplement ni politiquement. C’est tout simplement faux.
Elle fut ottomane et tatare avant que les Russes ne s’en emparent par la force à la fin du XVIIIè siècle et, en 1944, ne déportent tous les Tatars (ils ne sont revenus qu’à la chute de l’URSS). Mais c’est faux, plus encore, politiquement, car si Khrouchtchev agit souverainement sans demander quelqu’aval que ce soit à qui que ce soit, il se trouve qu’à la chute de l’URSS en 1991, l’Ukraine, proclamant son indépendance en août, un référendum fut organisé en décembre dans tout le pays, Crimée compris, sur l’indépendance du pays. « Approuvez-vous l’acte de déclaration de l’indépendance de l’Ukraine ? »
Sait-on comment vota la Crimée, et les mêmes populations, exactement, qu’aujourd’hui ? Non seulement nul, en Crimée, ne dénonça le référendum comme illégitime tant il irait de soi que la Crimée serait russe, même si le taux d’abstentions fut élevé (60%), mais 54 % des habitants, russes et non russes de Crimée, se prononcèrent pour l’indépendance de l’Ukraine et 46 % contre. Le pourcentage atteignit même 58 % à Sébastopol, base de la marine russe. Quant aux provinces orientales ukrainiennes, que Moscou convoite de détacher de l’Ukraine et de faire passer sous sa coupe sous prétexte qu’ils sont peuplés de russophones « opprimés » par les « fascistes » de Kiev, les chiffres sont encore plus éloquents, flirtant partout avec les 90 %, à Kharkov, au Donetsk et ailleurs.
La Crimée, de la volonté même de ses habitants, est ukrainienne, au moins depuis 1991.
Invoquer 1954 est un pur artifice. Que les Russes ukrainiens de Crimée aient, depuis, changé d’avis, est leur droit. Mais alors, à l’inverse du référendum bidon d’hier, à l’image, au contraire, de ce qui fut fait pour le maintien ou non de la Nouvelle Calédonie dans la République, sous Mitterrand, où votèrent tous les Français, le seul référendum légitime et démocratique est de demander aux Ukrainiens tous ensemble si la Crimée doit ou non rester ukrainienne. Cela et cela seul s’appelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Seuls tous les Ukrainiens et non une fraction d’eux-mêmes peuvent disposer de la Crimée. Pas Vladimir Poutine et ses affidés sur place.
Crimée : ce que nous apprend le référendum de 1991
par Gilles Hertzog
18 mars 2014
Quelque chose est passé quasiment inaperçu lors du référendum de ce week-end.