D’habitude, les écrivains ont trop de choses à dire. Ils vous embarquent dans un flot de paroles submergeant, compensent le récit de ce qu’ils ne vivent pas par le récit de ce qu’ils auraient voulu connaître. Avec Christine Angot, c’est différent. Ecrivaine aux mots rares, l’auteure a fait de sa plume un outil précis, elle a méticuleusement bâtit un système narratif dans lequel chaque mot a sa place. Dans son expression, il n’y pas de flamboyance. Rien de superflu. Rien de trop. Pour arriver à ce stade de précision, il faut un talent fou. Et de la distance… Quand on y pense, quand on connaît ses sujets d’écriture, on mesure la prouesse.
Ce qui frappe le plus quand on fait la connaissance de Christine Angot, ce ne sont pas ses mots, c’est d’abord son regard noir et ses silences. Avant même de se concrétiser en livres et articles, Angot est une atmosphère, un univers. On se sent petit en face d’elle. On a une image construite dans notre tête, un a priori, peut-être aussi cette appréhension : la peur qu’elle rentre chez elle et fasse de nous un personnage moyen de son prochain roman. Mais sitôt qu’elle commence à parler, Christine Angot brise cette image : elle se révèle profondément humaine. Rien d’étonnant donc à la retrouver dès cette semaine en librairie avec La petite foule, un recueil de textes courts racontant des instants de vie de dizaines de personnages. Mis bout-à-bout, on découvre là des portraits de la France contemporaine : des jeunes et des vieux, des hommes et des femmes, ceux que l’on connaît tous, ceux que l’on côtoie dans notre vie quotidienne. Cette petite foule est celle du métro ou du bus le matin, celle croisée au supermarché, chez le médecin, au cours des repas de famille ou au cimetière. Tantôt moqueuse, tantôt sérieuse (mais toujours juste), Angot décrit chaque fois un moment précis de leur vie. On retrouve ainsi l’homme qui a une scoliose, la jeune chômeuse, le professeur d’anglais ou encore la manifestante. Il y a le fou, l’employée du guichet et le Parisien d’adoption. Chaque fois le regard de l’auteur se pose sur le détail qui fait mouche. C’est hyper-réaliste. Ca se dévore. C’est moderne. Dans la forme, l’exercice pourrait faire penser aux Microfictions de Régis Jauffret et le fil entre les deux œuvres pourrait être la volonté de raconter l’humain par une économie de mots. Jauffret comme Angot traversent des foules, reconnaissent certains visages. Ils juxtaposent le banal des vies ordinaires. Dans cent ans, on les lira peut-être pour mieux comprendre notre époque…
Dans un monde qui vit plus vite et dont les habitudes de lecture changent, on ne dira jamais assez combien il est nécessaire de se réapproprier la nouvelle, autrement dit l’écriture ramassée, un genre qui, à l’instar d’Angot, arrive à dire beaucoup par sa brièveté et ses silences.
La Petite foule est enfin une bonne leçon donnée à ceux qui ne pensaient Angot capable que de récits introspectifs. Dans son dernier livre, l’auteure ne parle pas d’elle, elle ne dit pas « je ». Mais les écrivains sont incorrigibles, vous le savez bien. Alors Angot trouve le moyen d’être omniprésente. Ce ne sont certes pas ses histoires mais bien elle qui en est la conteuse. Or si le « je » s’efface, l’ombre d’Angot et son regard noir planent toujours. Et c’est tant mieux !