A la mémoire de ma mère.
Rabbin (ou rabbine) du Mouvement Juif libéral de France, Delphine Horvilleur publie En tenue d’Ève au sous-titre sous forme d’exposition de sa problématique «féminin, pudeur et judaïsme». Il s’agit ici de la femme dans la manière dont les hommes la voient, la regardent, la désirent, la repoussent, tout à la fois, de la femme dans sa pudeur, son humanité, dans le mythe dont les mâles l’habillent ou la déshabillent. Dans sa fonction de sujet et non plus dans son in-condition «orificielle» dont parle Delphine Horvilleur.
Avant d’avancer plus avant dans la lecture de ce livre, je veux d’abord ouvrir Sur la terre comme au ciel de Jorge Bergoglio, devenu le pape François, avec le rabbin Abraham Skorka. Au cœur de l’ouvrage se trouve un chapitre court mais dense consacré à la femme, suivi d’un autre sur l’avortement. S’agissant de son rôle dans le christianisme, le pape alors cardinal met en avant la place de Marie et de la femme dans l’axe primordial de la maternité. Abraham Skorka veut la situer, lui, face à un judaïsme moderne, qui diffère par certains côtés profondément du rôle qui lui fut et lui reste dévolu dans le judaïsme orthodoxe.
Pourquoi, à de rares exceptions près avant l’époque contemporaine, si peu de femmes ont pu étudier? (A l’exception notable de Berouriah, rendue célèbre par le Talmud, et des filles de Rachi de Troyes, qui étudiaient dans sa yéshiva [école rabbinique]) ? Pourquoi, encore aujourd’hui, dans notre pays en tout cas, les femmes ne sont-elles pas admises ni à l’Ecole rabbinique de France (ou Séminaire israélite) ni dans aucune yéshivot ?
«Le rôle de la femme dans le culte a changé» poursuit-il, dans le mouvement «traditionaliste» massorti, où la fonction de rabbin lui est enfin ouverte depuis plusieurs décennies. La première femme qui fut ordonnée «rabba» (féminin de rabbi, rabbin) dans un séminaire orthodoxe est Sarah Hurvitz. Que son ordination ne soit pas reconnue notamment par le consistoire israélite français est une aberration doublée d’un scandale. Celui-ci sépare encore les femmes qui veulent vraiment étudier des hommes et comme il n’y a pas d’écoles rabbiniques ou yéshivot pour femmes, elles sont obligées de s’expatrier en Israël ou aux Etats-Unis.
Delphine Horvilleur peut bien affirmer : «Dans le monde religieux en général, il y a aujourd’hui une urgence à réhabiliter la voix des femmes en dialogue avec les textes et avec les hommes. Cette évolution n’est possible qu’à condition de cesser de percevoir le corps féminin comme une nudité exposée» (p. 35).
À trop percevoir cela, les hommes − et surtout les orthodoxes juifs comme ceux de la plupart des religions − n’affirment-ils pas du coup, sans vouloir le reconnaître, leur tendance obsessionnelle à ne penser qu’au sexe en voulant faire accroire que c’est Elle qui est la cause de tout, alors que c’est Lui, l’homme, qui, plus il est religieux mais ignorant, moins il est capable de se contrôler à voir leur lutte en Israël pour obtenir la séparation des sexes dans l’espace public. Nous savons que les vrais religieux pour la plupart ne sont pas ainsi.
En tenue d’Ève n’est pas le livre d’une féministe pure et dure, mais celui d’une femme qui, dans un monde d’hommes se croyant les dépositaires du divin − alors qu’au livre de la Genèse (1 : 27) nous lisons : «Dieu créa l’homme à son image (…) mâle et femelle il les créa» −, prouva que si le genre féminin n’est en rien en deçà du genre masculin, celui-ci n’a jamais reçu l’apanage d’être le porte-parole du Saint, béni soit-Il. D. Horvilleur, dans son analyse des causes de «l’hyper-génitalisation du corps de la femme» (25), montre que si la Bible a sa part de responsabilité depuis le mythe archétypal de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, dans cette représentation du féminin à travers une hyper-érotisation, qui va jusqu’au paroxysme incluant ses invisibles cordes vocales, celle-ci a été rattrapée aujourd’hui par l’hyper-marchandisation de son corps. Transfert qui s’est engouffré dans l’art, le cinéma, la photo, la publicité.
Le rabbin Skorka, évoqué plus haut dans son dialogue avec Jorge Bergoglio, aborde comme le fait D. Horvilleur, le scandale de ces ultra-religieux israéliens qui ont voulu interdire aux femmes soldats de chanter dans les chœurs d’hommes lors des cérémonies nationales. Skorka dit : «Je pense que chacun doit lutter avec soi-même pour s’efforcer de sublimer ce qu’il possède instinctivement en lui.» Comme si l’autre, la femme en l’occurrence, était responsable de l’incapacité de tant d’hommes, parmi lesquels nombre d’orthodoxes, à gérer le trouble érotique que produisent en eux les femmes, leur voix, leur proximité.
Puis, abordant l’avortement avec le futur pape, le rabbin Skorka se démarque quelque peu de le position catholique. Si le judaïsme traditionnel (consistorial) y est par principe opposé, un texte de la Mishna du Talmud de Babylone (traité Ohalot, «tentes»), indique qu’en cas de danger vital pour la mère, il faut sauver la mère plutôt que le fœtus. Pour d’autres questions graves concernant le viol, une malformation grave, chaque rabbin consistorial ou orthodoxe peut arguer pour apporter une solution qui prend en compte l’ensemble du problème.
Dans la seconde partie de son livre le rabbin Horvilleur aborde d’autres questions cruciales comme l’antinomie entre «l’obsession ultra-orthodoxe de la pudeur des femmes», déjà évoquée, et le fait qu’un homme «juif» (mais en réalité tout homme) dit viril est celui «qui domine son mauvais penchant» comme l’affirme le Traité des Pères (Pirqé Avot, 4 : 1). «Pourquoi la femme constituerait-elle une menace pour l’homme, quand elle seule est un être capable de se contrôler ? S’agit-il de la protéger ainsi d’elle-même, de sa propre pulsion et de son incapacité à se dominer ? S’agit-il de protéger l’homme d’une bien plus grande menace ?» (163-164). L’homme qui cède à ses pulsions déchoit mais doit-on pour autant dire comme le font certains textes midrachiques, qu’il rétrograderait du genre masculin au genre féminin ? Le genre n’est pas seulement le sexe.
L’avant-dernier chapitre du puissant livre touche à une question cardinale, la bénédiction quotidienne que les juifs (sauf les libéraux et les massorti ou conservative comme disent les anglo-saxons) prononcent : merci de ne pas m’avoir créé femme ! Delphine Horvilleur étudie toutes les interprétations de cette prière, depuis celles de rabbins orthodoxes mais rénovateurs qui ont voulu réhabiliter cette prière fort machiste disant que les femmes «possèdent une supériorité spirituelle intérieure» (qui serait donc supérieure à celle du commun des hommes) pour reprendre les termes du rav Joseph B. Soloveitchik (166-167), jusqu’à celles plus nombreuses et plus anciennes surtout, qui parlent du féminin «comme un genre « en carence », dont même le supplément éventuel de talent constitue une forme de handicap» (168).
Un dernier mot sur ce livre qui doit être lu par le plus grand nombre de ceux qui s’interrogent sur la place de la femme dans le monde religieux. Delphine Horvilleur achève sa réflexion en proposant une analyse aussi profonde que problématique pour ceux qui sont sûrs d’avoir la vérité pour eux.
Si l’Adam primordial selon la Genèse a été créé masculin et féminin dans le même être, ce n’est que dans un second passage que Dieu tira d’Adam nommé ici Ish, l’homme, une côte dont il fit sa compagne, Isha, la femme (Gen. 2 : 21-22).
Toute la problématique vient du fait que masculin se dit en hébreu «zakhar[1]», qui est aussi la mémoire, le souvenir, zakhor, alors que féminin, nekeva, signifie oblitération ou trou, comme « trou de mémoire ».
Les gardiens de l’orthodoxie juive en France ou ailleurs n’ont-ils pas été frappés par un trou de mémoire, une cécité, leur oblitérant le sens fondamental de la place de la femme dans son rapport à l’homme dans la vie juive, et par là leur voilant la vraie question, celle de l’obsession érotique qui habite le mâle qui n’a pas su endiguer ses passions négatives, ses instincts ?
Le statut de la femme dans l’orthodoxie, s’il diffère heureusement du statut de la femme dans l’islam radical, n’en est pas moins arriéré sur tant de conceptions. Il faut que les femmes parviennent à acquérir aussi bien dans le catholicisme que dans le judaïsme ou l’hindouisme les mêmes droits que les hommes à la prêtrise, à la voie rabbinique ou brahmanique. Je demande : à quand une femme grand rabbin, pape, que sais-je encore ?
La question de l’homosexualité, qui a fait et fera encore couler tant d’encre de la part des tenants des orthodoxies religieuses, ne pourra pas être posée par les instances rabbiniques ou romaines avant que celle des femmes ne le soit véritablement.
C’est par l’évolution du statut de la femme que le judaïsme rabbinique d’abord, orthodoxe ensuite, accomplira peut-être l’indispensable Vatican II du judaïsme. Restera alors à l’Eglise catholique de se poser les bonnes questions sur sa vision machiste de la prêtrise et du divin.
[1] Prononcé comme la « j » espagnole ou le «kh» russe, ou le «ch» allemand dans Buch ou Bach, soit zah’ar.
Le refus d’évoluer est la caracteristique commune aux integristes religieux de tous bords.
Il est regrettable que ce soit aussi notre cas.
Les juifs orthodoxes devraient se poser la question de qui a écrit « merci de ne pas m’avoir créé femme « . Suite à la reponse inevitable « c’est l’homme », tout être honnête devrait se demander quelle valeur a une telle prière.
Je suis homme, mais il y a une question que je ne me pose pas connaissant la réponse: si les femmes n’existaient pas, existerions nous ?
Je suis personnellement ravi de voir que la condition de la femme evolue en Israel, où les femmes sont autorisée maintenant à lire la torah devant le mur, à porter une kippa. Qui sommes nous pour leur refuser le droit d’honorer le seigneur ?
Je pense que la nouvelle loi Tall qui impose le service aux heredims fera évoluer les choses. Je pense que c’est aussi une excellente chose que les partis religieux ne soient plus au gouvernement, car politique et religions doivent etre separés (si vous en doutez, rappelez vous des horreurs commis par l’église en Europe, et regardez autour de vous ce qui arrive dans les pays soumis à la charia).
Israel va dans la bonne direction : nous devons nous en réjouir, et tant pis si cela froisse les integristes de tous poils.
Ouf ! enfin une belle claque aux intégristes religieux totalement en contradiction avec le judaïsme; ces intégristes ne valent pas mieux que ceux des autres religions et même, oui, chez de nombreux athés pour qui la femme n’est qu’un objet. Bravo et merci pour les femmes, le dernier « peuple » toujours pas décolonisé.
Vive le vatican deux du judaïsme.
Après la transmission du judaïsme uniquement par la femme comme le préconisent les soit disant libéraux enfin un ajustement au rôle clair qu’elles revendiquent !
ETRE PLUS EGALES que les hommes pour enfin se débarrasser des ces derniers qui les ont laissé “s’épanouir ” et revenir au cher bondage sources de tous leur plaisir.
Et si une lesbienne n’était pas juste une femme qui en veut terriblement à son père de s’être comporté comme sa mère si on n’était pas obligé d’aller jusqu’à là pour foutre en l’air toutes ces libertés insupportables pour toutes. (combien fuient l’Afrique, combien fuient les ultra religieux de toutes sortes) presque zéro.
Et s’il suffisait que la femme de Dieu aborde sa fonction comme un homme. Je ne dis pas qu’elle devrait agir comme si elle avait été faite homme, j’entends par là qu’elle est censée se saborder tel qu’un homme y est conduit avant de se noyer jusqu’à l’interstice des eaux. L’homme de Dieu n’est pas une femme comme les autres. Car l’homme de Dieu n’est plus tout à fait humain durant le temps où il accepte d’enfiler l’aura du monde qui le dépasse. La question de la pudeur des femmes, comme par ailleurs des hommes, s’évanouit d’un seul coup dès lors qu’une femme de Dieu n’est pas davantage une femme qu’un homme ne demeure dans son sexe au moment où nous lui demandons d’être en mesure de nous hisser hors de nous-mêmes. En outre, la pudeur ne fut jamais l’apanage des femmes. Le Talmud stipule, entre autres interprétations visant la tenue à l’écart des traditions idolâtriques auxquelles les Benéi Israël seront ou furent exposés aux quatre coins de leur royaume cosmopolite, que l’homme, s’il doit obéir au commandement négatif concernant et le rasage et la taille de la barbe, se voit intimer l’ordre d’abandonner tout comportement jugé «efféminé», ce qui induit à se couper de tout ce qui est susceptible de charmer ses semblables quand il n’y a que Dieu auquel un homme de Dieu devrait chercher à plaire. Or le membre du Peuple élu est par définition un homme de Dieu. Partons du postulat que le ou la rabbin(e) d’une société laïque sont chargés de renvoyer aux hommes et femmes qui partagent leur foi une image de cet autrefois. Suivant l’antique terminologie, il faudrait donc «viriliser» l’attitude de la femme de Dieu, ce qui se traduirait par une sorte de neutralité sexuelle dans le rapport que la rabbine ou Grande-Rabbine nouerait avec ses coreligionnaires, chose qui ne devrait pas trop poser de problème; il ne me semble pas qu’une femme dont la tête réside dans les ciels ait besoin qu’on vienne lui rappeler qu’avant de monter à la bimah, elle ne déploiera pas le justaucorps, béni soit-il, de Natalie Portman.
Mais je m’attarde en Vayyikra 19, 27 sur nos deux commandements négatifs :
«Vous ne tonsurerez pas le coin de vos têtes.
Tu ne détruiras pas le coin de ta barbe.»
Le premier s’énonce à la deuxième personne du pluriel, le second à la deuxième personne du singulier. Cela ne vous choque pas? Un commandement pour une personne en particulier, un autre pour plusieurs, mais combien? Si Dieu S’adresse à tous les porteurs de barbe, c’est donc qu’Il S’adresse à tous les humains de sexe masculin. Il faudrait ainsi dire «Vous ne détruirez pas le coin de vos barbes», or Dieu dit bien «Tu», puis «ta», et Son choix en dit long sur le «Vous» qui précède. Ce «Vous» n’est pas plus large que ne l’est Son «Tu». À l’évidence il englobe deux «Tu», trois au plus si l’on compte l’enfant, peu importe son sexe, avec sa génitrice. Et chacun sait que les six cent treize mitsvot, si elles sont simultanément inapplicables, n’en sont pas moins censées l’être et à la lettre près. Pouvaient-elles se laisser piétiner par le talon achilléen des femmes tandis que leurs bonshommes fermaient les yeux tel que Socrate sous le pot de chambre de Xanthippe? C’est inimaginable. Il fallait donc que l’Hébreuse étudie la Tora avec la même qualité d’écoute que manifestait tout Hébreu à l’endroit de celui ou celle qui lui en enseignaient la moindre lettre — vous pensez bien que la mère n’allait pas sciemment laisser ni son fils ni sa fille ignorer une mitsva. — Alors oui, le patriarcat hébraïque avait institué une domination du mâle au sein du foyer qu’il avait cofondé non sans contrainte de faire passer la connaissance aux femmes et aux enfants, tout père de famille devenant ainsi rabbin dans sa propre maison. Or croyez-vous vraiment que la fille d’un ou une érudit(e) mariée à un inculte se privait de lui décocher une remontrance aussitôt qu’il l’avait cherchée? Pas davantage hier qu’aujourd’hui.
Ce n’est pas par machisme que les femmes se virent écartées des fonctions relatives au culte du Dieu-Un. La régularité infrangible des séquences rituelles était inconciliable avec une autre régularité, d’une organisation tout aussi organique, celle du cycle menstruel qui indispose Dieu, quand ne l’oublions pas, ce dernier — oh m… — ce premier — essuyage de sueur — a fait à Son image la moitié de l’Adâm (prière de bien prononcer l’«m»). Après l’effondrement du Beth-haMikdach, il n’y avait plus d’objection à ce qu’une femme assurât la fonction de rava si l’on considère qu’un rav n’a pour obligation que de tenter de répondre aux inépuisables questions que ses dissemblables se posent sur les lettres qui les composent, réalisateur de la cohésion apparemment irréalisable d’une collectivité chaghallienne dont les sujets, aussi hétéroclites qu’ils soient, finissent toujours par faire en sorte que, de leur disposition hasardeuse, résulte le nombre d’or. Dans ce cadre, je ne verrais aucun mal à ce qu’une Mariée de la tour Eiffel échappée du Cantique des Cantiques soit portée de nouveau à la tête de ces réchappés éternels du désert, dont la rigueur prophétique de Debora avait guidé les pas à une période où, faut-il y voir un paradoxe? leurs patriarches optaient pour un régime théocratique. Les rabbanîm ne sont ni des Cohanîm ni même des Levi’îm dont le nombre eut au temps de leur temps autant d’importance que le nom ou l’ombre. Rien n’empêche en l’espèce qu’ils soient remplacés au pied levé par ceux qui les secondent lorsqu’un office, s’il doit être célébré, peut l’être, et l’est déjà dans nombre de synagogues, par l’irréductible décalogue vibrant qu’incarne le miniane. Rien non plus n’empêchera que ce «quorum de dix hommes» nécessaire à la récitation des prières soit compris au sens générique et humaniste de son terme. Ainsi que le constate par extension Rava Horvilleur, l’étude et les femmes, c’est bien une histoire d’orifices, une histoire de divin baiser ou de bouche à oreille, l’une comme l’autre ne datant pas d’hier. N’oublions pas que le quatrième Juge fut aussi la Charlemagne de son peuple en ce que sous elle, les yeshivot ont essaimé sur les terres imparties aux douze tribus, son sexe l’ayant conduite à se préoccuper davantage de l’éducation des petits, avec lesquels les femmes sont outillées pour développer d’inégalables relations de proximité, que ne l’avaient fait jusqu’à elle ses plus grands frangins. Dont acte.
Oui… j’ai vu. Ma dernière volute ne concorde pas avec la première. C’est donc qu’il y a bien un caractère indépassable de la condition sexuée, lequel devra en temps voulu cohabiter avec cette dimension asexuelle de la nature humaine. À première vue, il y aurait autant d’intérêt à puiser dans le sexe qu’à en contourner l’intelligence orificielle. Et aussitôt me reviennent Les demoiselles d’Avignon. Ces putains gigantesques aux courbes angulaires devant lesquelles, à ce qu’on m’a dit, j’étais resté cloué une bonne trentaine de minutes sans plus pouvoir bouger alors qu’elles étaient de passage à Paris. L’Être va parfois Se loger en des recoins qu’on ne Le soupçonne pas de fréquenter… L’artiste Le contemple jusqu’à l’ivresse. Il sait, devant ce qu’il voit, qu’il traverse l’un de ces déluges dont l’homme ressort mutant. Et pour une espèce aussi précaire que la sienne, ce n’est pas rien.
Et s’il suffisait que la femme de Dieu aborde sa fonction comme un homme. Je ne dis pas qu’elle devrait agir comme si elle avait été faite homme, j’entends par là qu’elle est censée se saborder tel qu’un homme y est conduit avant de se noyer jusqu’à l’interstice des eaux. L’homme de Dieu n’est pas une femme comme les autres. Car l’homme de Dieu n’est plus tout à fait humain durant le temps où il accepte d’enfiler l’aura du monde qui le dépasse. La question de la pudeur des femmes, comme par ailleurs des hommes, s’évanouit d’un seul coup dès lors qu’une femme de Dieu n’est pas davantage une femme qu’un homme ne demeure dans son sexe au moment où nous lui demandons d’être en mesure de nous hisser hors de nous-mêmes. En outre, la pudeur ne fut jamais l’apanage des femmes. Le Talmud stipule, entre autres interprétations visant la tenue à l’écart des traditions idolâtriques auxquelles les Benéi Israël seront ou furent exposés aux quatre coins de leur royaume cosmopolite, que l’homme, s’il doit obéir au commandement négatif concernant et le rasage et la taille de la barbe, se voit intimer l’ordre d’abandonner tout comportement jugé «efféminé», ce qui induit à se couper de tout ce qui est susceptible de charmer ses semblables quand il n’y a que Dieu auquel un homme de Dieu devrait chercher à plaire. Or le membre du Peuple élu est par définition un homme de Dieu. Partons du postulat que le ou la rabbin(e) d’une société laïque sont chargés de renvoyer aux hommes et femmes qui partagent leur foi une image de cet autrefois. Suivant l’antique terminologie, il faudrait donc «viriliser» l’attitude de la femme de Dieu, ce qui se traduirait par une sorte de neutralité sexuelle dans le rapport que la rabbine ou Grande-Rabbine nouerait avec ses coreligionnaires, chose qui ne devrait pas trop poser de problème; il ne me semble pas qu’une femme dont la tête réside dans les ciels ait besoin qu’on vienne lui rappeler qu’avant de monter à la bimah, elle n’empoignera pas la bouteille de Schweppes, bénie soit-elle! de Nicole Kidman.
Mais je m’attarde en Vayyikra 19, 27 sur nos deux commandements négatifs :
«Vous ne tonsurerez pas le coin de vos têtes.
Tu ne détruiras pas le coin de ta barbe.»
Le premier s’énonce à la deuxième personne du pluriel, le second à la deuxième personne du singulier. Cela ne vous choque pas? Un commandement pour une personne en particulier, un autre pour plusieurs, mais combien? Si Dieu S’adresse à tous les porteurs de barbe, c’est donc qu’Il S’adresse à tous les humains de sexe masculin. Il faudrait ainsi dire «Vous ne détruirez pas le coin de vos barbes», or Dieu dit bien «Tu», puis «ta», et Son choix en dit long sur le «Vous» qui précède. Ce «Vous» n’est pas plus large que ne l’est Son «Tu». À l’évidence il englobe deux «Tu», trois au plus si l’on compte l’enfant, peu importe son sexe, avec sa génitrice. Et chacun sait que les six cent treize mitsvot, si elles sont simultanément inapplicables, n’en sont pas moins censées l’être et à la lettre près. Pouvaient-elles se laisser piétiner par le talon achilléen des femmes tandis que leurs bonshommes fermaient les yeux tel que Socrate sous le pot de chambre de Xanthippe? C’est inimaginable. Il fallait donc que l’Hébreuse étudie la Tora avec la même qualité d’écoute que manifestait tout Hébreu à l’endroit de celui ou celle qui lui en enseignaient la moindre lettre — vous pensez bien que la mère n’allait pas sciemment laisser ni son fils ni sa fille ignorer une mitsva. — Alors oui, le patriarcat hébraïque avait institué une domination du mâle au sein du foyer qu’il avait cofondé non sans contrainte de faire passer la connaissance aux femmes et aux enfants, tout père de famille devenant ainsi rabbin dans sa propre maison. Or croyez-vous vraiment que la fille d’un ou une érudit(e) mariée à un inculte se privait de lui décocher une remontrance aussitôt qu’il l’avait cherchée? Pas davantage hier qu’aujourd’hui.
Ce n’est pas par machisme que les femmes se virent écartées des fonctions relatives au culte du Dieu-Un. La régularité infrangible des séquences rituelles était inconciliable avec une autre régularité, d’une organisation tout aussi organique, celle du cycle menstruel qui indispose Dieu, quand ne l’oublions pas, ce dernier — oh m… — ce premier — essuyage de sueur — a fait à Son image la moitié de l’Adâm (prière de bien prononcer l’«m»). Après l’effondrement du Beth-haMikdach, il n’y avait plus d’objection à ce qu’une femme assurât la fonction de rava si l’on considère qu’un rav n’a pour obligation que de tenter de répondre aux inépuisables questions que ses dissemblables se posent sur les lettres qui les composent, réalisateur de la cohésion apparemment irréalisable d’une collectivité chaghallienne dont les sujets, aussi hétéroclites qu’ils soient, finissent toujours par faire en sorte que, de leur disposition hasardeuse, résulte le nombre d’or. Dans ce cadre, je ne verrais aucun mal à ce qu’une Mariée de la tour Eiffel échappée du Cantique des Cantiques soit portée de nouveau à la tête de ces réchappés éternels du désert, dont la rigueur prophétique de Debora avait guidé les pas à une période où, faut-il y voir un paradoxe? leurs patriarches optaient pour un régime théocratique. Les rabbanîm ne sont ni des Cohanîm ni même des Levi’îm dont le nombre eut au temps de leur temps autant d’importance que le nom ou l’ombre. Rien n’empêche en l’espèce qu’ils soient remplacés au pied levé par ceux qui les secondent lorsqu’un office, s’il doit être célébré, peut l’être, et l’est déjà dans nombre de synagogues, par l’irréductible décalogue vibrant qu’incarne le miniane. Rien non plus n’empêchera que ce «quorum de dix hommes» nécessaire à la récitation des prières soit compris au sens générique et humaniste de son terme. Ainsi que le constate par extension Rava Horvilleur, l’étude et les femmes, c’est bien une histoire d’orifices, une histoire de divin baiser ou de bouche à oreille, l’une comme l’autre ne datant pas d’hier. N’oublions pas que le quatrième Juge fut aussi la Charlemagne de son peuple en ce que sous elle, les yeshivot ont essaimé sur les terres imparties aux douze tribus, son sexe l’ayant conduite à se préoccuper davantage de l’éducation des petits, avec lesquels les femmes sont outillées pour développer d’inégalables relations de proximité, que ne l’avaient fait jusqu’à elle ses plus grands frangins. Dont acte.
Oui… j’ai vu. Ma dernière volute ne concorde pas avec la première. C’est donc qu’il y a bien un caractère indépassable de la condition sexuée, lequel devra en temps voulu cohabiter avec cette dimension asexuelle de la nature humaine. À première vue, il y aurait autant d’intérêt à puiser dans le sexe qu’à en contourner l’intelligence orificielle. Et aussitôt me reviennent Les demoiselles d’Avignon. Ces putains gigantesques aux courbes angulaires devant lesquelles, à ce qu’on m’a dit, j’étais resté cloué une bonne trentaine de minutes sans plus pouvoir bouger alors qu’elles étaient de passage à Paris. L’Être va parfois Se loger en des recoins qu’on ne Le soupçonne pas de fréquenter… L’artiste Le contemple jusqu’à l’ivresse. Il sait, devant ce qu’il voit, qu’il traverse l’un de ces déluges dont l’homme ressort mutant. Et pour une espèce aussi précaire que la sienne, ce n’est pas rien.
Je hais l’autocensure. En revanche, je ne voudrais pas faire sciemment rechuter Miss Kidman dans la dépression. Pour le reste, nous sommes à la merci de l’esprit irascible de ces hommes qui non contents d’avoir confisqué aux femmes le pouvoir de décision, subissent à jets continus les sanctions du réel sans jamais rectifier leur conduite. Aussi, je ne ferai pas comme eux et n’opposerai pas le zhr (masculin/mémoire) au nkv (féminin/trou), l’expression «trou de mémoire» n’étant pas aussi universelle qu’il n’y paraît. Le vide s’apparente au lieu, lequel en son principe ou HaMaqom est l’un des noms de Dieu. Et mettre chez un être une telle dimension en exergue n’implique pas qu’on ait dû le réduire à ce qu’il n’est ou n’a qu’entre autre cause. La mémoire nécessite un passage par où son effusion se réalise au risque de s’assimiler à un problème de rétention. Un genre féminin associé à un axe de transmission si cher au judaïsme, cela ne se refuse pas. J’ai longtemps souffert de ce que les traditionnalistes de ma famille résistaient à me laisser entièrement rentrer dans le sein pharisien. Je finis par admettre n’avoir jamais totalement souhaité me couper des autres courants judaïques, et puis, de quelques uns que j’ai trouvés au- delà. Je reconnais malgré tout que sans leur insistance à persister dans la loi telle que l’avait conçue la génération de la Dispersion, il y a belle lurette que nous n’aurions plus rien de vivant à épouser ou à quoi nous opposer venant de la source biblique. Les juifs libéraux se fatiguent pour rien à vouloir libérer les garants d’une tradition d’une exigence extrême, laquelle d’ailleurs ne s’impose à personne quand certains pères ou mères issus des nations ont pu se heurter vingt ans de suite à un refus de conversion. Le mieux qu’ils aient à faire, c’est de renforcer la science et la sagesse de leur courant qui en est un à part entière. Quant à moi, je serai ainsi que je l’ai toujours été, dans la place qui me revient de droit comme de choix.
Que peut bien représenter un passage au sens où Dieu même en serait Un? Sans doute un peu plus qu’un vulgaire tube par lequel on ferait glisser un pneumatique. Un peu plus proche, j’imagine, d’un principe d’apriorité raisonnablement pur, autant qu’il est encore possible au Pneuma-Saint de s’autocritiquer arrivé à ce stade de procession temporelle et spatiale. Où le vide, s’il évoque bien une page de couleurs primaires aspirées par leur propre prisme, induit donc à une continuité ontique entre l’infinité de la ténèbre et l’infinité de la lumière. Quand Aleph noir se convertit à rebours en Aleph blanc. Silence du néant négatif. La lumière émanant du Moshè post-contact l’oblige à se bander les yeux par souci de protéger ceux que son regard aveuglerait. Aleph est vide au sens où une absoluité peut l’être. Absolument vide, ou plutôt, vide absolu. Pas d’écho sans oxygène. Pas de réverbération dans une chambre sourde. Seul le passage de l’unité, lequel passage est encore l’unité. Aleph est symbole d’unité, symbole d’introspection, avec ses deux rayons en forme de cornes de pictogramme qui n’en sont qu’un(e), lequel Youd à son Vav embranché se retournera comme une chaussette à l’intérieur de l’Elohîm licornéen, signe d’intériorité qui est la seule manière possible à l’unité de s’étendre vers une autre forme, à commencer par une forme d’Autre.
Autre chose. Car je pressens le d’où-il-parle qui me tombe dessus. D’où Il parle, celui-Là? Eh bien, je parle après le dernier barreau de l’échelle, ou si vous préférez, avant le premier. Je parle du point de vue de Celui qui est. Je me place du point de vue suprême, et je m’offre le luxe de bien prendre acte de ce que ma place est ailleurs. Pour autant, je n’ai rien d’un gnostique. Le mal n’est pas le monde quand même le Créateur est autre que Sa création. Le mal n’est pas davantage la ténèbre qu’il n’est la lumière. Nous l’avons vu, ou non, ce qui revient au même. Surtout, pas de malentendu à propos des cornes de l’Aleph que d’aucuns aperçurent perçant le front du Satân ou celui de Moshè — le tout est de savoir dans quel sens. — Tout est Là. Première mitsva. L’adoration d’un autre que Dieu est la toute première des grandes proscriptions. Le commandement négatif prévenant l’agissement nihiliste. La négation de Ce qui est a fait imaginer au Satân qu’il suffisait d’effacer Dieu de sa mémoire pour que ce dernier des derniers S’en trouvât renversé. Alors, c’est lui qui sera renversé. C’est lui qui se sera renversé sans se voir tel que le ça se le montre, autrement dit, sans le savoir. Prendre la place de Celui qui est revient à prendre toutes les places. Voler la place de tous les êtres. Nier sa propre place, voilà ce qu’est le mal. De là procède la négation de toute place. De là procède le meurtre à infinie échelle. Ça, seul Dieu est censé pouvoir l’accomplir. C’est pourquoi Il repousse le méchant dans son feu éternel aussi longtemps que nécessaire à la purification de la forme d’unité spirituelle ou Homo spiritus que la psyché malade a déformée. L’écriture est une forme d’expression de la parole. Or le texte préexiste à l’écrit. Je dirais encore mieux que le texte naît sans paroi. Au cœur d’une bouillonnante trépanation. À un autre degré, le spermatozoïde est propulsé dans le vide utérin, ce qui ne signifie en rien que l’ovocyte ne soit rien. Et si le mal ne devra pas être confondu avec la ténèbre ni même avec la géhenne, Adâm, qui dès le principe y a pris part, ne sera pas assimilé au genre féminin et masculin qu’il possède en partage. Le yin est irrévocablement mêlé au yang, or le yang n’efface pas davantage la femme qu’il a irradiée que le yin n’anéantit l’homme en creusant ses méninges. Il n’existe pas de génération spontanée à ce stade procréatif de l-être. Une question se formule, qui est une réponse à un événement en phase de rumination. La première phrase appelle à une deuxième réponse. Cette deuxième phrase est une troisième question. Laquelle peut très bien devoir céder la place à une réponse faite à un autre événement englouti. Lequel exige une réponse qui se découvre alors en fusion dans une autre. En surgit une sorte de vie, un parcours, une trajectoire, un segment de quelque cause trop grande pour se laisser appréhender par un esprit-frappeur. Quelque chose qui vous laisse derrière le clapet de l’âme un goût d’inachevé. Tout œuvre en sera réduit à ceLà.
Mais quelque chose me saute aux yeux. La création ou la procréation n’ont rien d’un froid mécanisme. C’est pourquoi je ne parle pas d’écho. Singer Céline ou Kafka n’a jamais célinisé ni kafkaïsé personne. Les mixer serait non seulement une vilénie, mais une astuce grossière. Il y a aussi le cas du noircisseur de blanc qui répète quarante fois de suite la même chose et confère une allure prolifique à son manque d’inspiration. Illisible car trop visible. La création dit quarante choses dans une seule phrase. Pas plus lisible, vrai. Ou plutôt, moins visible. Donc, pour un tout autre genre de lecteur. Un lecteur doté de la capacité de répondre à l’événement du monde, dont il n’entend que l’avènement. Le style provient du fond et uniquement du fond. Le fond reste à toutes fins le maître de la forme. Et tout au fond, la moindre variable est consciente de ce qu’elle porte en soi un nouveau monde, qui est un autre monde, qui se perçoit déjà, en ce qui le différencie de ce qui ne le peuple pas. Il ne cherche pas à s’affirmer bêtement, aux dépens de ce qui l’intimide. Il ne croit pas en ce qu’il voit. Il ne voit pas dans son prédécesseur son successeur. Il regarde mieux que cela. Il voit plus loin. Il voit beaucoup plus loin. Sous la surface du temps. Quelque chose qu’il vient de découvrir à laquelle il se surprend à ressembler qui pourrait bien éprouver la même chose que lui à l’instant de son émersion. À moins que cet être ne soit très conscient, de son côté, de sa gigantesque différence immergée.