Monsieur le Président,
Il est des hommes et des femmes qui ont longtemps fait du silence et de l’oubli le moyen de sauver leurs enfants de l’Histoire. Car il est des crimes dont la mémoire laisse à jamais sur la figure des victimes la signature monstrueuse des bourreaux.
Dans quel état ces enfants seraient parvenus jusqu’au siècle dernier avec les poignets et les chevilles enflés, bleuis et ensanglantés par les fers qui entravent les pères « bohémiens », déportés aux galères par une ordonnance de Colbert, tandis que les mères sont tondues et enfermées dans les hospices du Royaume de France ? Dans quel état ces enfants seraient parvenus jusqu’au siècle dernier avec les reins meurtris, le sein flétri par les fouets et les fers des propriétaires moldaves d’esclaves « Tigani » ? Dans quel état seraient-ils parvenus, la langue tranchée, l’oreille coupée par les armes des gens de Torquemada, inquisiteur, qui croit anéantir ainsi l’esprit des « Gitanos » d’Espagne; et le cou brisé par les cordes des polices de Frédéric Guillaume Premier qui entreprend de pendre tous les « Zigeuner » de Prusse ?
Ainsi ceux-là, Monsieur le président, ont traversé la violence des siècles en redonnant chaque fois leurs enfants à un monde capable d’innocence. Le silence et l’oubli n’étaient ni une fable, ni un conte, mais la promesse confiante que ces enfants trouveraient toujours un abri pour à leur tour aimer et donner la vie.
Or, au milieu du siècle dernier, le progrès des temps a porté au cœur des Etats d’Europe, le « Auschwitz-Erlass », la réalité technique de l’extermination de masse.
Heinrich Himmler, Commissaire du Reich pour le renforcement de la race allemande, décide le 16 décembre 1942 de la destruction des « Zigeuner-mischlinge, rom- Zigeuner und balkanischen Zigeuner » du Grand Reich.
Dés le 4 octobre 1940, le Commandant militaire du Reich en France, Otto von Stülpnagel, ordonne que « Les Tsiganes (…) doivent être transférés dans des camps d’internement ». Le préfet de la Mayenne, écrit le 23 octobre : « les chefs de brigade noteront spécialement ceux des nomades qui présentent les caractères ethniques distinctifs par quoi se signalent extérieurement les individus d’origine nettement bohémienne, appelés encore « romanichels » ou « Tziganes ». »
Un quart de ceux qui sont ciblés par cette ordonnance française seront assassinés sur le territoire de l’Europe par l’administration unifiée et centralisée du Reich avec la complicité multiple et variable des États européens alliés et collaborateurs.
Nulle forêt ni caverne ne peut plus abriter les enfants de la violence meurtrière de l’Histoire. Avec les hommes, les femmes et les enfants a été détruite la possibilité de l’abri, du silence et de l’oubli.
Tout a été détruit, Monsieur le Président.
Avec la mort au mois de mars 1945 du « plus innocent d’entre nous », l’enfant que trouve Primo Levi dans un baraquement, abandonné de tous, celui dont il ne reste désormais rien que le nom inventé d’Hurbinek, que lui donne celui qui n’est pas mort, dans La Trêve, car nul de ceux, parlant toutes les langues d’Europe, qui sont là avec lui, ne connaît sa provenance ; avec la mort de celui qui n’a jamais appris à dire son nom car sa mère a été gazée et brûlée la nuit du 2 au 3 août 1944, avant de le lui apprendre ; depuis cette nuit, ceux qui, depuis l’horizon de leur passé, avaient fait de l’oubli la condition de leur confiance dans le monde, n’ont plus la possibilité de l’anonymat et du silence.
Nul ne naît abandonné dans une aire d’accueil à La-Ferté-sous-Jouarre, dans un bidonville à Casilino, dans un bloc de la cité de Ferentari, ou dans l’Albacyn à Grenade, sans la conscience précise et écrasante d’une hostilité incompréhensible et coupable du monde à son égard. Le monde a perdu son innocence. Nous n’avons pas perdu notre amour. Mais désormais nous savons. Et il nous revient de bâtir l’abri où nos enfants aimants rachèteront l’innocence du monde. Dût-ce être aussi notre faute, désormais notre Histoire commence.
C’est pourquoi, Monsieur le Président, avec le réseau TernYpé (jeunesse en langue Rromani), mouvement européen de la jeunesse Rom ), nous vous invitons solennellement le 2 août 2013 à Auschwitz, pour vous souvenir avec nous de la liquidation du « Zigeuner-familienlager » d’Auschwitz II –Birkenau, et du génocide des Roms.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération,
Saimir Mile, Président de l’association
Pierre Chopinaud, Responsable des relations internationales
Et qu’a fait le Président ?
A-t-il répondu / fait répondre ?
Dans ce cas, quel a été le contenu de cette réponse ?
Merci.
Merci pour cette belle lettre, défendant une cause qui me tient à coeur. Les souffrances de ce peuple sont loin d’être finies. Il souffre encore dans l’Europe actuelle. Cette commémoration serait enfin la reconnaissance qui lui manque tant et ainsi permettrait, je l’espère, une prise de conscience nécessaire afin que ce peuple puisse enfin être reconnu et fasse défendre ses droits. J’aimerais soutenir cette pétition. Comment faire ?
Dans l’attente de votre réponse, je vous adresse mes cordiales salutations.
Christine Courant Vidal