On l’attendait. On l’espérait. On la craignait. On a été déçu. Ce « Chaharshanbeh Suri », ou «Mercredi de feu » n’a pas permis à l’opposition iranienne de se relancer. Elle qui avait pourtant eu un mois entier pour se préparer, après l’échec du 31ème anniversaire de la Révolution islamique, le 11 février dernier, au cours duquel un déploiement sans précédent de forces de sécurité avait empêché ses membres de s’exprimer. Un mois durant lequel les leaders de l’opposition, les « vaincus de la présidentielle », MirHossein Moussavi, et Mehdi Karoubi, ont poursuivi leur critique acerbe du gouvernement, mais ont surtout brillé par leur désorganisation et leur incohérence, appelant tout d’abord leurs membres à utiliser le «Mercredi de feu » pour protester contre Ahmadinejad, avant de revenir sur leurs propos, afin de ne pas faire le jeu des forces répressives gouvernementales. Dès le 12 février, Moussavi et Karoubi ont évoqué la nécessité d’avoir recours à d’autres moyens plus efficaces et moins dangereux pour faire entendre la voix des manifestants. Certaines figures à l’étranger ont notamment parlé de la possibilité de grèves à l’échelle nationale. Or les deux leaders n’ont toujours rien trouvé.
Mardi soir, de nombreux Iraniens à travers tout le pays, sont sortis dans la rue pour sauter au-dessus du feu et commémorer cette tradition perse préislamique, osant par la même défier la fatwa du Guide suprême iranien, l’Ayatollah Khamenei. Dimanche dernier, celui-ci a ainsi demandé aux Iraniens de ne pas fêter cet événement créant du « mal et de la corruption » et qui n’a « aucune base dans la charia ». C’est déjà un acte courageux et remarquable de la part du peuple. Alors que beaucoup de jeunes en ont profité pour faire la fête, ce dont ils avaient grandement besoin, certains sont même allés jusqu’à scander des slogans antigouvernementaux tels que « Mort au Dictateur » et « Khamenei assassin, ton règne touche à sa fin ». Ceci alors qu’à chaque carrefour du pays, avaient été dépêchés en nombre des forces anti-émeute. Certaines vidéos montrent même des manifestants en train de jeter des pierres dans leur direction, répondant aux attaques et aux arrestations dont ils ont été victimes. Or le lendemain, tout ce petit monde est retourné à son douloureux quotidien, et le gouvernement Ahmadinejad est plus que jamais en place.
Plusieurs titres de la presse internationale ont annoncé hier la nouvelle victoire de l’opposition iranienne qui a de nouveau bravé les menaces de ses dirigeants en osant sortir dans la rue. Certains ont même déclaré que le nombre impressionnant de forces de l’ordre était une preuve de la faiblesse du Régime, qui n’est pas parvenu à restaurer le calme. Tout ceci est fort exact. Et après ? Neuf mois après la réélection ô combien contestée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence du pays, le mouvement vert démocratique de contestation est toujours en vie. C’est déjà une excellente nouvelle. Mais depuis décembre, et cette tragique journée d’Ashoura (8 morts), qui a vu des milliers de manifestants envahir les grandes villes du pays et déstabiliser les forces de l’ordre, il faudrait être aveugle pour ne pas se rendre compte que le mouvement d’opposition est sur le déclin. Et c’est totalement normal.
Depuis janvier, le Régime iranien est bien mieux organisé dans la préparation des dates clés que l’opposition souhaite détourner. Des milliers de leurs forces sont ainsi dépêchées à chaque occasion pour étouffer tout rassemblement d’à peine plus de trois personnes. Sans oublier que, toujours depuis janvier, deux manifestants ont été pendus et neuf autres attendent dans le couloir de la mort, l’un d’entre eux simplement pour avoir jeté trois pierres ! Après cela, vous y réfléchissez à deux fois avant d’aller manifester, n’est-ce pas ?
Aujourd’hui, un autre problème se pose. Le profond décalage entre les revendications de certains membres du mouvement, notamment la jeunesse, et celles des leaders Moussavi et Karoubi. On a entendu lors des dernières manifestations des slogans s’attaquant directement au Guide suprême iranien, l’Ayatollah Khamenei, et à travers lui à la République islamique dans son ensemble. Certains sont même allés jusqu’à demander la fin du Velayateh Faqih, principe de base de la Constitution iranienne, selon lequel le religieux domine le politique. Or Moussavi et Karoubi, dans leurs différents discours, n’ont jamais remis en cause le Régime de la République islamique, centrant toujours leurs attaques sur le gouvernement Ahmadinejad. D’où la question, dans quelle mesure les deux leaders représentent-ils toujours les aspirations des manifestants?
Autre problème et pas des moindres, la nouvelle stratégie à adopter. Il est désormais indéniable que la tactique du « détournement des journée officielles » a clairement montré ses limites, face à un Régime dorénavant fort bien préparé. Dans la situation d’impasse dans laquelle se trouve le mouvement, plusieurs analystes ont évoqué la possibilité et la chance que constituerait le ralliement au mouvement vert des classes les plus modestes du pays, touchées de plein fouet par la gestion économique catastrophique du gouvernement Ahmadinejad. Ainsi, sa récente loi sur la suppression des subventions accordées aux produits courants de consommation pourrait encore davantage les faire sombrer, et les rendre vulnérables. Encore faut-il que les Moussavi et Karoubi aient un discours et un projet précis qui parlent à ces classes. Or jusqu’à aujourd’hui, hormis une nouvelle élection et la libération des prisonniers politiques, ce projet n’existe pas.