L’Histoire a, décidément, plus d’imagination que les hommes.

Nous sommes vendredi 21 septembre.

Le monde ne bruit que des manifestations de haine qui, d’un bout à l’autre du monde arabo-musulman, ont pris prétexte du minable « film » anti-islam.

Il n’est partout question que de ces salafistes, trop heureux de l’aubaine et de l’OPA qu’elle leur permet, une nouvelle fois, de tenter sur les printemps égyptien, tunisien et, hélas, libyen.

La révolution est glacée, disent les uns. La preuve est faite, grondent les autres, que ces sociétés sont définitivement rétives aux valeurs de mesure et de tolérance qui sont l’âme de la démocratie. La dictature avait du bon, triomphent les troisièmes : n’avait-elle pas, au moins, le mérite de maintenir un semblant d’ordre, de tenir en lisière la bête humaine, d’étouffer les extrémistes ?

Et voici qu’à Benghazi, cette capitale de Cyrénaïque qui fut le berceau, il y a presque deux ans, du soulèvement anti-Kadhafi mais où vient de se produire, dans des conditions non élucidées mais atroces, le meurtre de ce personnage ˗ lumineux, généreux, ami, ô combien, de la Libye nouvelle, qu’était l’ambassadeur américain Chris Stevens, survient un coup de théâtre qui, en quelques heures, change tout : ce sont des milliers, que dis-je ? des dizaines de milliers de manifestants pacifiques qui descendent dans la rue pour, d’une seule voix, sans emphase mais fermement, réclamer le désarmement des milices et, dans deux cas au moins, celui de la milice salafiste Ansar al-Charia et celui de la Brigade des martyrs d’Abou Slim, les chasser des quartiers généraux, des casernes, parfois des hôpitaux, qu’ils occupaient depuis la fin de la guerre et d’où ils s’employaient à faire régner la terreur.

L’événement est trop frais pour qu’il faille déjà pavoiser.

Mais le fait est que les citoyens de Benghazi ont fait en quelques heures, à mains nues, ce que les responsables avaient, en dix-huit mois, avec leur police et leur embryon d’armée, à peine osé entreprendre.

Le fait est qu’ils ont, sur leurs banderoles, dans leurs slogans (« Plus jamais Al-Qaeda ! » ou « Le sang versé pour la liberté ne doit pas l’avoir été en vain » ou « Non aux groupes armés ! oui à l’armée en Libye ! »), exprimé l’exact message que les amis de la Libye libre désespéraient d’entendre dans la bouche des dirigeants élus.

Et le fait est, enfin, que, concernant l’ambassadeur martyr, la circonstance leur a inspiré les mots de désolation et de deuil, les mots justes, les mots vrais, que n’avaient pas su trouver, non plus, des responsables dont le premier réflexe avait été de reprocher aux États-Unis de n’avoir pas assez bien protégé leurs représentations diplomatiques : « Nous demandons la justice pour Stevens ! » lisait-on sur certaines pancartes et, sur d’autres, ornées de son portrait derrière lequel marchait la foule : « La Libye a perdu un ami ! » – en une formule, tout était dit ; d’un souffle, le même que celui qui les portait aux heures héroïques de 2011, le peuple
saluait l’un des siens et lui rendait hommage.

Les combats, car il y en a eu, ont fait, cette nuit-là, une dizaine de morts – ce n’est pas rien.

La confusion des heures a fait qu’a été prise d’assaut la ferme, à Hawari, 15 kilomètres de Benghazi, qui servait de quartier général à une autre brigade qui s’était, elle, déjà placée sous l’autorité du ministère de la Défense – c’était une erreur et les manifestants l’ont reconnu en quittant aussitôt les lieux.

Et rien ne dit, surtout, que le départ des islamistes n’est pas un repli tactique, une ruse, leur permettant de se refaire et de revenir de plus belle, à la première occasion, recommencer leur sale travail liberticide et factieux.

Mais il n’empêche.

L’événement est là, magnifique et, d’une certaine façon, sans appel.

Le peuple, quelle que soit la séquence qui viendra après, a donné une rare leçon de dignité, d’intelligence politique, de courage.

Dans la lutte sans merci que se livrent, depuis la chute du dictateur, les assassins des villes et leurs amoureux, les urbicideurs et les citoyens citadins, ce sont les seconds, les citoyens-citadins-civilisés, qui ont marqué le point décisif, et cela aussi est ineffaçable.

Dans la seule guerre qui compte, dans la guerre qui, en Libye comme dans le reste du monde arabe, oppose, non pas l’Occident à l’Islam mais, en Islam, l’islam qui veut la paix et celui qui veut la guerre, l’islam qui aspire au dialogue des civilisations et celui qui parie sur leur choc – dans cette guerre, donc, les libéraux avaient pris un avantage décisif en gagnant haut la main, en juillet, les premières élections libres de l’après-Kadhafi ; eh bien, ils viennent d’en prendre un deuxième, non moins éclatant, en contraignant le pouvoir à mettre enfin au pas ces vrais insulteurs du Coran que sont les assassins de Stevens et leurs mauvais mentors.

Ainsi va la révolution libyenne, de rêve en cauchemar, de recul sanglant en avancée modératrice et fraternelle.

Ainsi vont toutes les révolutions, de 89 en 93, de Gironde en Montagne, de fête de la Fédération en massacres de Septembre puis, encore, en Thermidor.

Mais la vérité est que, ce vendredi, voyant ces images de femmes et d’hommes qui voulaient juste sauver leur ville et, avec leur ville, la mémoire d’une lutte qu’ils refusaient d’abandonner aux naufrageurs de l’espoir et dont ils renouaient, ce faisant, le pacte fondateur, j’étais fier de mes amis libyens.

2 Commentaires

  1. Cette communion n’appartient qu’aux morts.
    Cette communion appartient aux morts.
    Appartenir aux morts. Mais que peut vouloir dire un principe de propriété appliqué à un être qui vient de perdre la possibilité de rien posséder? L’être d’un mort. L’être de quatre morts qui sont redevenus, mais à quel moment avaient-ils cessé de l’être, la propriété d’un être dont l’effusion les avait englouti à la manière de la lumière interne d’un tableau de hassid. Ce sentiment que la communion des Libyens avec leurs morts américains a valeur de sanctuaire, excluant qui ne partage pas sa trop sombre douleur, n’ayant rien d’autre à faire qu’à être avec l’être duquel provient tout être et vers lequel une, deux, trois, quatre effluves de formes effectuent leur retour, cette sombre lumière ne résidant qu’en ceux qui ont su l’accueillir à la cime d’une vie frissonnante, capable, que dis-je, non incapable de repousser les rieurs éclatants et creux, boîtes d’obscurantisme clinquant dont la légèreté n’a d’égale que la dureté.
    Il est des lettres qui sautent aux yeux. Il est des images qui parlent d’elles-mêmes. Et si l’anesthésie prend le pas sur la synesthésie, une piqûre d’adrénaline pourrait bien leur sauver la mise. J’ignore sur quoi au juste mise l’OCCIse DENT d’Ur. Si c’est sur le naufrage du tyrannique ou sur l’épuisement du tyrannisé. Mais je n’ai plus de doute, et Dieu sait si j’en eus, sur la victoire de l’amour du prochain là où parfois nos proches n’en conçoivent plus la notion ni la matrice de toute nation, je pense à la nation matricielle, à la nation homo sapiens, à la naissance d’une nation une, d’une civilisation des civilisations, de la première, de celle qui naît avec le premier homme, aussi insituable que son saut de mutant fut invraisemblable. Humain. Universalité du genre. Une Histoire avant tout autre. Une Histoire durant toutes les autres. Entre autres d’Abrahâm, le natif d’Ur, berceau polythéiste pour le père du monothéisme. C’est la mathématique!
    Appartenir aux morts. Mais que peut vouloir dire un principe de propriété appliqué à un être qui vient de perdre la possibilité de rien posséder? Rien, à part tenir aux morts. Tenir ou être tenu. Tenu de par sa propre mortalité. Tenu de faire que justice lui soit rendue. Tenu de faire que justice soit rendue à ces morts en sursis concernant lesquels il est toujours encore temps de la rendre avant qu’il ne nous faille le faire pour la mièvre raison qu’ils ne soient pas morts pour rien.
    Que reste-t-il de l’horizon Kouchner? Le Jihâd a-t-il à ce point érodé l’imagination futuriste de la génération native de la fin du monde? L’ovation faite à Mahmoud par les siens doit-elle assourdir la tempête hugolienne sous le crâne des nations accessibles au complexe, ô combien supérieur, de culpabilité?
    Que reste-t-il de la si surprenante et pourtant si tardive responsabilité de protéger? Rien, à première vue. Rien, depuis que les ennemis du casque bleu ont appris à gagner du temps sur le terrain du volte-face à la voûte scellée. Rien, dès l’instant que rien ne nous autorise, à part nous-mêmes, à affirmer que le droit se situe dans le camp des Terriens qui ne sont pas allés chercher Satan à l’extérieur d’eux-mêmes. Rien ne nous y autorise, à part nous-mêmes. Or avons-nous encore le cran de nous agréger un Noûs, pauvres de nous?! Qui sommes-nous? Où sommes-nous? Moi, je compterais déjà les frères de Chris Stevens, et je leur ajouterais les frères des frères de Chris Stevens. Par «frères des frères», je n’entends pas un barrage mais l’écluse d’une fraternité de témoignage, où j’entends bien-aimer le fait que ceux à qui l’on avait martelé qu’il leur fallait la haïr aient bravé les plus perverses menaces de représailles afin de promulguer la lointaine loi d’amour de leur prochain.
    Que reste-t-il du principe de responsabilité collective à l’échelle de la mondialisation? Que reste-t-il du monde sous son propre fracas? Rien, excepté ceci, ou plutôt ceux-ci : les frères de sang de Christopher de Libye.
    Deux entonnoirs entre deux murs, c’est le palindrome d’Ur :
    IYYI
    Libye Syrie
    Eye Wye Why I
    Le fleuve de l’étant m’a à l’œil. Pourquoi moi?

  2. La Lybie, comme tous les autres pays des révolutions arabes, est traversée par les soubresauts des luttes de pouvoir provoquant l’instabilité, et tout son cortège de violences. La société peine à trouver des points d’ancrage. Difficile de construire une démocratie après des dictactures qui ne permettaient pas à l’opposition de s’exprimer. Ainsi vont les hommes ballotés par des courants de pensées et de croyances qui se heurtent les unes aux autres.
    A notre propre échelle de valeur n’en est-il pas de même, nous, occupants des pays libres ?
    Comment trouver ces points d’ancrage sinon par la foi en Jésus-Christ ? Elevé, Jésus, Fils de Dieu, comme souverain des peuples peut paraître absurde, et de plus dans des pays musulmans, cependant en Lybie comme dans d’autres pays de religion musulmanne, vivent des chrétiens, malheureusement persécutés à cause de leur foi.
    Les démocraties ont pour fondement le christianisme : respect de l’autre, liberté de penser et de croire, proscription de la violence, ces valeurs sont les pivots d’un savoir vivre harmonieux.
    Jésus est le modèle parfait pour les hommes, sa mort et sa résurection font de ceux qui croient en son oeuvre de nouvelles créatures, capables par l’Esprit Saint qui les habite, de respecter les valeurs de l’évangile.
    Que pouvons-nous faire pour ces peuples qui souffrent ? Prier bien sûr, apporter aux chrétiens, au travers de mission comme Portes Ouvertes l’aide dont ils ont besoin : secours alimentaires, éducatifs, soins aux malades, apport de bibles …. La tâche est immense mais Dieu est avec ses enfants, ceux, le servent pour le bien de l’humanité.
    Jésus a dit « Je suis le chemin, la vérité et la vie, nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14:6)
    Voici d’autres versets qui appuient la véracité de l’Evangile
    Ephésiens 4:14
    Romains :7:15 à 20.
    Esaïe 53:6