On a beaucoup parlé de l’Algérie de Tebboune qui emprisonne honteusement Boualem Sansal avant de le relâcher piteusement. Et on a eu, ô combien, raison.

On n’a pas assez parlé de la Tunisie de Kaïs Saïed qui condamne les opposants par dizaines à raison de peines de dizaines d’années d’emprisonnement. Et on a, ô combien, tort.

Bernard-Henri Lévy a été condamné à 43 ans de prison en Tunisie en raison de la participation à un complot imaginaire avec des personnes dont il ne connaît pas le nom.

Pas question de confondre Sansal et Lévy. L’un a été en prison et pas l’autre.

Mais rappelons quand même que le premier crime de Sansal aux yeux de ses juges a été de se rendre en Israël. Rappelons surtout que BHL a été condamné pour un complot imaginaire qui n’existe que par et pour les 43 années qui le sanctionnent ; complot tout droit sorti des poubelles des services algériens où le pouvoir tunisien est allé, dit-il, chercher ses « preuves ».

Il fut un temps où les esprits éclairés regardaient ces deux pays, qui ouvraient la voie de la décolonisation et portaient la voix des opprimés, avec admiration. Fut un temps, celui de nos parents, où la Tunisie de Bourguiba était la fierté des démocraties et l’Algérie de Boumédiène se rêvait comme le nec et la Mecque de la révolution.

L’Algérie des grands discours et la Tunisie des grandes promesses, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Une caricature. Un mouroir. Une nécropole d’utopies.

L’Algérie et la Tunisie ce n’est pas le même combat, mais c’est bien le même tombeau.

Le Quai d’Orsay qu’en fait-il ? Rien.

La France s’est montrée trop souvent méprisante envers l’immigration maghrébine et méprisable envers les régimes autocrates du Maghreb, qu’elle soutient sans mot dire.

C’est simple : on a tout faux.

La question n’est pas que diplomatique. Elle est morale. 

Elle ne vaut pas que pour les pays mais surtout pour les peuples des deux côtes de la Méditerranée.

Elle vaut aussi pour ceux que l’on veut faire taire.

Boualem Sansal, Kamel Daoud mais aussi Bernard-Henri Lévy.

Comparaison n’est pas raison. BHL est un homme libre dont la liberté, malgré les menaces de l’Iran des Mollah, de la Russie de Poutine et, maintenant, de la Tunisie et de l’Algérie, n’a jamais été entravée.

Mais tout de même. Oui, tout de même. Pourquoi ce silence ?

Car voyez-vous, c’est ça le vrai scandale : pas tant la condamnation elle-même – on sait bien ce que valent les tribunaux tunisiens – mais l’indifférence qui l’accompagne.

Pour Salah Hamouri, terroriste condamné puis exilé en France, il y a des manifestations de soutien chaque semaine, notamment de la Ligue des droits de l’Homme.

Pour BHL, intellectuel condamné à 43 ans de prison en Tunisie (43 ans !), silence radio. On dirait que le monde s’en fout. Que personne n’en a rien à faire qu’un intellectuel français soit condamné par un régime autoritaire.

Nous voilà face à nos indignations sélectives. Pour notre diplomatie, le président tunisien ne sera jamais coupable de la répression implacable qu’il exerce pourtant. Et pour le plus grand nombre, BHL ne sera jamais reconnu comme la victime d’une injustice qui le frappe d’une manière incontestable.

Et une peine de prison n’est jamais décorative. Tout pays, même le plus reculé, tout régime, même le plus fantoche, cherche à faire exécuter ses décisions de justice. BHL, qui a soutenu la Révolution du Jasmin – c’est d’ailleurs bien ce qu’on lui reproche –, est désormais interdit de ce territoire et de combien d’autres encore ?

Ce n’est pas tant pour l’homme, dont je suis l’ami, que je m’inquiète pour l’heure, que pour les démocrates que nous avons été et que nous ne sommes plus, ou alors à peine. 

Si le mot « décolonial » voulait dire quelque chose, il dicterait que nous soyons sans aucune hésitation avec Sansal et Daoud contre le régime algérien et, oui, avec BHL contre le régime tunisien.

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