Alors que les images en provenance de Gaza ont saturé les écrans et les journaux du monde entier dès les premières heures de la riposte israélienne au 7 octobre, les médias israéliens, eux, n’ont commencé à les relayer que récemment. Depuis, les débats font rage, ici comme ailleurs – autour de l’authenticité des clichés, du choix des mots pour décrire la situation humanitaire des Gazaouis, et de la charge émotionnelle qu’ils véhiculent. Autant d’éléments qui reflètent un profond malaise, nourri par une réaction légitime face à l’horreur des événements.

Mais les faits sont là. À nos portes, près de deux millions de personnes vivent dans des conditions critiques, sur un territoire désormais presque réduit à néant. Les plus pragmatiques s’en tiendront à ce constat : propagation d’épidémies, contamination environnementale et résurgence du terrorisme. D’autres, dépassant les barrières psychologiques post-7 octobre, souligneront l’urgence humanitaire.

Dès les premières semaines de guerre, de nombreuses ONG et institutions en Israël ont pris le relais pour soutenir, soigner et parfois même faire marcher le pays, en fonction de leur expertise. Parmi elles, l’Institut Arava pour les études environnementales (Arava Institute for Environmetal Studies – AIES) joue un rôle singulier puisqu’il agit à Gaza. Situé au kibboutz Ketura, à 30 kilomètres au nord d’Eilat, ce centre de recherche académique fondé en 1996 et aujourd’hui rattaché à l’université Ben Gourion a pour spécificité l’étude et la mise en place de solutions pour un espace naturel partagé, tout en jetant des ponts entre les différents acteurs du Néguev, sorte de Far West israélien, et leurs voisins – parmi eux, les Palestiniens de Gaza.

Les défis que ce centre s’attache à relever sont liés à sa situation géographique : la vie dans le désert, la préservation d’un milieu à la fois hostile et délicat, et les liens avec les communautés alentours. Derrière les images bucoliques de son site internet – des jeunes marchant main dans la main dans le désert – se cache un solide programme académique et des partenariats de qualité avec diverses compagnies de Green Tech, ainsi qu’avec le Centre Perez pour la Paix et l’Innovation.

Les considérations environnementales ne connaissant pas de frontières, l’AIES s’inscrit tout naturellement dans un contexte régional. C’est ainsi qu’en temps normal, les programmes d’enseignement et de recherche réunissent au kibboutz Ketura des étudiants israéliens, jordaniens et palestiniens, ainsi que des étudiants d’autres pays, et traitent également de diplomatie environnementale appliquée. 

Au lendemain du 7 octobre, l’AIES a dû reconsidérer ses activités en tenant compte de la situation de guerre. Contre toute attente et malgré le choc, son lien de coopération privilégié avec Damour, une ONG palestinienne opérant à Gaza, a réussi à se maintenir ; et rapidement, il a été décidé de venir en aide par ce biais à la population déplacée de Gaza.

Les restrictions initialement mises en place par le COGAT (l’unité israélienne de coordination dans les territoires) ont d’abord cantonné l’aide humanitaire à la distribution de biens essentiels. Progressivement, et en coordination avec cette entité, certains projets entamés avant le début du conflit ont pu être relancés et même accélérés. Parmi ceux-ci figurent notamment l’acheminement et l’installation de panneaux solaires, ainsi que le déploiement de solutions WASH (Water, Sanitation and Hygiene) déjà utilisées dans les communautés bédouines d’Israël. Ces solutions comprennent des générateurs d’eau potable à partir de l’humidité de l’air, des unités mobiles de traitement des eaux, des dispositifs de dessalement, mais aussi l’installation récente de toilettes et le creusement d’un puits. Depuis février 2024, les deux institutions collaborent dans un camp de personnes déplacées.

Mais le cœur du projet, du nom de « Jumpstarting Hope in Gaza » (en français : « Recréer l’espoir à Gaza ») vise à créer un espace de vie de A à Z, pensé comme une solution certes transitoire mais tout de même stable dans un contexte où la reconstruction de la bande de Gaza s’annonce longue et complexe. 

Forts de leurs expériences respectives et d’une rigoureuse analyse des réalités actuelles, les deux instituts ont élaboré un projet de camp de relocalisation qui, contrairement à certaines propositions controversées de transfert forcé vers le sud de l’enclave, repose sur une tout autre logique : il s’agit ici de concevoir, dans un court délai, un environnement capable d’offrir des conditions de vie dignes et durables pour les années de transition à venir. Le plan prévoit l’aménagement d’un quartier destiné à accueillir 10 000 personnes, doté des infrastructures nécessaires et incluant des solutions déjà expérimentées, mais avec une planification englobant tout son fonctionnement, sans oublier des logements de base : des caravanes fabriquées en Cisjordanie. Le projet a reçu l’approbation des autorités militaires israéliennes, ainsi qu’un terrain dédié. 

Dans une situation où actuellement, en Israël, l’alternative d’une solution négociée et d’un apaisement avec retour des otages fait face à une option militaire jusqu’auboutiste, ce projet met en lumière, en plein cœur de la guerre, une coopération discrète mais déterminée entre deux petites structures, l’une israélienne, l’autre palestinienne. Ensemble, elles tracent les contours d’une issue possible à la tragédie gazaouie – une initiative qui ne peut qu’éveiller notre intérêt et notre admiration.

Les projets décrits dans cet article sont financés par des donations privées. Un lien permettant d’y contribuer figure sur le site du Arava Institute for Environmental Studies.