Les convoitises

Si les conflits internationaux sont souvent présentés sous l’angle des rivalités géopolitiques, des tensions ethniques ou des oppositions idéologiques, il n’est pas nécessaire d’être docteur en géopolitique pour voir que les intérêts économiques et financiers constituent fréquemment le véritable moteur des tensions. Derrière les discours sur la sécurité nationale, la démocratie ou l’identité culturelle, se cachent des enjeux de contrôle des ressources, d’accès aux marchés et de domination financière qui expliquent en grande partie la géographie des conflits contemporains.

Le conflit en Ukraine illustre parfaitement cette dimension économique cachée à la veille de la guerre. L’Ukraine contrôlait des réseaux de gazoducs stratégiques qui acheminaient le gaz russe vers l’Europe, représentant des milliards d’euros de revenus annuels pour Moscou. En 2022, la Russie fournissait 40% du gaz européen, générant des revenus de plus de 100 milliards d’euros par an.

L’annexion de la Crimée en 2014 n’était pas seulement motivée par des considérations géopolitiques, mais aussi par le contrôle des gisements gaziers offshore en mer Noire, estimés à plusieurs centaines de milliards de mètres cubes. De même, les régions du Donbass sont riches en charbon et en industries sidérurgiques, représentant une part importante du PIB ukrainien. L’Ukraine et la Russie représentent ensemble près de 30% des exportations mondiales de blé. Le contrôle de ces « greniers du monde » confère un pouvoir géopolitique considérable, particulièrement sur les pays dépendants des importations alimentaires au Moyen-Orient et en Afrique.

On pourrait multiplier les exemples de par le monde. Au Moyen Orient et en Inde l’enjeu hydrique est aussi capital que l’enjeu pétrolier pour expliquer les conflits guerriers. D’ores et déjà les ressources minières du Grand Nord suscitent la convoitise. Autant que demain les ressources minières d’Afrique, la richesse forestière de l’Amazonie, et l’espace lui-même seront les nouveaux terrains de jeux guerriers… Avec, derrière les États de grandes multinationales conquérantes.

Il est important de noter que nous n’avons pas démissionné uniquement devant des dictatures. Nous avons démissionné aussi devant des multinationales qui logent leur production dans des pays où la main-d’œuvre est à la fois abondante et privée de droits syndicaux. Nous avons démissionné devant ce grand de la pharmacie mondiale qui a interdit la vente de génériques contre le sida pour continuer à vendre ses produits plus chers. Nous avons démissionné devant ce grand de l’industrie agroalimentaire qui inonde de produits trop sucrés les mégapoles de la pauvreté où le taux d’obésité infantile explose. Nous avons démissionné devant les grands exploitants agricoles qui polluent le sol de produits chimiques dangereux. Nous avons démissionné devant le cartel des constructeurs automobiles qui ont comploté pour ralentir l’avancée des technologies anti-pollution.

Les défis inédits du XXIe siècle devraient être l’occasion de repenser entièrement l’architecture juridique mondiale pour reconstruire des règles du jeu adaptées aux nouveaux enjeux géopolitiques et technologiques. La paix ne pourra être durablement établie que si l’on retrouve des mécanismes de coopération économique qui rendent la guerre moins profitable que la paix, en développant des institutions capables de réguler équitablement l’accès aux ressources et aux marchés mondiaux.

C’est cette tâche qui devrait mobiliser notre diplomatie. L’heure n’est plus aux dépêches creuses et aux conférences inutiles. Face à la fatigue des institutions et au cynisme des puissants, il faudrait réinventer le droit international. Il serait vain d’imaginer retrouver la voie d’une certaine sérénité privée sans un minimum de sécurité publique.

Ré-enchanter l’Europe

Il est pourtant une région du monde où le droit veut encore dire quelque chose : l’Europe. Notre continent, autrefois ravagé par des siècles de conflits sanglants, a vu s’opérer au XXe siècle une mutation sans précédent : la guerre remplacée par le droit. 

De 1870 à 1945, la France et l’Allemagne se sont affrontées dans trois guerres majeures. Pourtant, depuis le traité de Rome le droit international est devenu l’outil de la réconciliation. Les États ont transféré volontairement des compétences à des institutions communes, créé une Cour de justice, et ont soumis leur droit national à des règles supérieures. Résultat : depuis 1945 aucune guerre n’a opposé deux États membres de l’Union européenne. Beaucoup d’esprits chagrins, enclins à revisiter le nationalisme, feraient bien de s’en souvenir.

Au moment où tant d’enjeux majeurs secouent le monde, la carence des leaders européens de notre époque, l’étroitesse de leur horizon, appellent un jugement sévère. Leur réalisme bas de plafond illustrera un jour le tableau d’honneur des grandes occasions manquées. L’Allemagne a défendu ses rentiers, la Grande-Bretagne son insularité, la France ses quotas laitiers, l’Italie ses garde-côtes, la Belgique ses coalitions illisibles, les Pays-Bas son mercantilisme, l’Espagne ses fruits et légumes, l’Irlande son laxisme fiscal, la Pologne son rigorisme religieux, la Hongrie ses tentations illibérales… Aucun grand leader n’émerge pour dire : tous vos égoïsmes nationaux nuisent aux intérêts de vos nationaux.

Face à ce gâchis il faut en finir avec le pessimisme autoréalisateur. Les tergiversations à l’égard de l’Union Européenne ne sont plus de mise, en particulier à gauche. Le contexte géopolitique montre l’urgence de construire une Europe confédérale, quitte à la construire seulement sur certains domaines et à partir d’un noyau restreint de pays volontaires. Les traités actuels sont obsolètes et les pratiques bruxelloises enlisées dans la bureaucratie. Traités et pratiques doivent être repensés. Mais cela ne suffira pas. L’Europe doit surtout reprendre confiance en elle-même car elle demeure le plus bel exemple de démocratie libérale dans le monde.

Les tensions internes sont bien réelles : pressions populistes, méfiance envers les élites, fragmentation de l’opinion. Mais la force de l’Europe est précisément de ne pas céder aux raccourcis autoritaires. Peu de régions du monde peuvent se targuer d’un tel niveau de protection des libertés individuelles, des droits sociaux et de la dignité humaine. La gauche doit avoir à cet égard une attitude claire et mettre le projet européen au cœur de ses ambitions.

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L’enjeu est de taille : il s’agit de prouver que la démocratie peut encore offrir de l’espoir dans un monde incertain. Les défis posés par les mouvements de droite radicale et d’extrême droite aux démocraties occidentales sont multiples et complexes. Ils reflètent l’angoisse issue des transformations profondes de nos sociétés.

Si nous ne faisons pas face à ces traumatismes, le malaise des classes moyennes continuera d’alimenter la montée de l’autoritarisme, avec toutes les conséquences tragiques que l’histoire nous a déjà enseignées. L’avenir de la démocratie occidentale dépendra largement de notre capacité à relever ce défi : contrôler ce moteur à explosions auquel nous avons, par lâcheté, abandonné notre destin.

3 Commentaires

  1. Tout prouve que la création d’un État palestinien n’aurait d’autre effet que de préparer la restauration d’un empire islamique dont le mieux placé des prétendants à la succession mahométane prendrait la tête motrice de l’hydre Oumma.
    La Palestine n’a jamais été et ne sera rien d’autre, dans l’univers parallèle où elle a vocation à n’être, qu’une province d’Empire, assumée ou non par les États de non-droit qui se seront ligués contre un pilier irréwokable de notre civilisation ; sa reconnaissance prolonge, du moins dans les imaginaires qu’elle hypnotise, l’existence d’une Judée colonisée ou, pour paraphraser un certain candidat à l’élection présidentielle en visite d’humiliation chez son rentier mémoriel : une Terre sainte hébraïque dont le seul et unique peuple de l’Histoire qui y eût jamais partagé l’exercice d’une souveraineté — « Ainsi, rendez à Caesar ce qui est à Caesar, etc. » — a donc été victime d’un crime contre l’humanité en série.
    Il serait tout de même dommage, Monsieur le Président, que, dans le dernier virage, vous vous révéliez être de ceux qui balancent leur universalisme à la poubelle pour un plat de lentilles, une garbure des Pyrénées ou une soupe de goulasch. Non, je refuse de le penser. Pourquoi voudrais-je qu’à 47 ans, vous commenciez une carrière de criminel contre l’humanité ?

  2. S’il y a prise de conscience collective du désastre, alors la machine à détruire du progrès irrationnel, sans limite ni règle, pourra ralentir la folle course vers l’abîme.
    Dans l’exemple que je viens de lire, cette prise de conscience est clairement affichée par des industriels du textile. Prochainement, une information, libellée Écobalyse, sera visible sur les étiquettes de vêtements, permettant aux consommateurs, par son score, de mesurer l’impact sur l’environnement d’une production à grand volume. Les acheteurs auront ainsi la possibilité d’orienter leur choix vers la préservation écologique.
    Plusieurs critères sont pris en compte pour calculer cette note. On peut citer : la quantité d’eau utilisée, la durabilité, le potentiel de recyclage, les rejets de microplastiques lors du lavage, le volume de production. Et si on considère en plus les risques que l’emploi de certaines fibres synthétiques a sur la santé, on parvient à un cadre complet qui permettrait de défendre l’industrie textile européenne de l’assaut de celle en provenance des sources douteuses et à bas coût. Il est également évident qu’une telle industrie, confrontée à une compétition sauvage en terme environnemental et de prix, pour survivre devrait trouver de l’aide à l’investissement au niveau européen.
    Voici donc l’Europe, propulsée au rôle de guide pour donner le cap aux défis environnementaux qu’attend la planète. Elle est appelée à trouver un équilibre entre les polycrises de court terme et les objectifs de durabilité de long terme.
    C’est le contexte d’une guerre à ses frontières, ce sont les crises économiques, sociales, géopolitiques, qui peuvent créer les risques systémiques auxquels seront appelées ses politiques, sans s’écarter des objectifs de transition écologique, de durabilité des ressources.
    Certainement une gauche éclairée, libérale et démocratique, est en tête de ce combat, structurée sur la nécessité d’aligner les politiques économiques, sociales et de sécurité européennes sur les objectifs climatiques et environnementaux. Mais rien n’empêche les autres forces politiques démocratiques, vu la gravité de la situation, de s’unir à ce combat en y apportant leur contribution spécifique. C’est par la prise de conscience élargie à tout le monde que le moteur évitera d’exploser.

  3. Quelle est jolie notre gauche française et européenne !!!
    Avec notre lider Maximo, el comandante Mélenchon, et Olivier Faure, son toutou bien pomponné,
    Avec l’hidalgo espagnol Sanchez qui rêve de ressusciter la Santa Inquisicion,
    Avec nos syndicats qui veulent toujours plus de dépenses à condition que ce soit les zézés qui payent,
    Avec ses vaillants militants islamistes qui, à Paris, s’attaquent courageusement à une vieille dame de 75 ans parce qu’elle est juive,
    Avec ses politiciens belges qui mesurent la frontière linguistique entre Flamands et Wallons au centimètre carré près, mais ont laissé s’installer à Bruxelles une Sharia City,
    Avec ces bobos écolos dont l’idéologie a servi de prétexte à l’expulsion de tous ceux qui ne sont comme eux des centre-villes,
    Et j’en passe.
    C’est-y pas mignon tout plein, tout ça, prometteur d’un avenir radieux ?