La conversation rapportée par Bloomberg entre Vladimir Poutine et Xi Jinping au sujet de l’immortalité a interpellé bien au-delà des apparences d’une simple boutade, car elle expose un projet de pouvoir sans limite.

Cet échange entre les dictateurs pourrait sembler grotesque, presque comique, s’il ne révélait pas l’un des ressorts les plus intimes et les plus inquiétants du pouvoir russe.
Xi, le septuagénaire, affirmant que l’espérance de vie humaine s’allonge au point que, désormais, à soixante-dix ans, « une personne est encore un enfant ». Poutine de huit mois plus âgé que son homologue chinois répondant que grâce aux biotechnologies et aux transplantations d’organes, l’humanité s’approchait de l’immortalité.

Ces mots, échangés au sommet de l’État, ne sont pas de simples extravagances de dirigeants coupés du réel. Ils révèlent la foi d’un homme persuadé qu’il est destiné à défier la loi universelle de la condition humaine : la mort.

Poutine est convaincu d’être spécial, d’avoir été choisi – par Dieu, par l’Histoire ou par la Providence russe –pour mener une mission qui dépasse les limites biologiques de la vie humaine.
Il se donne vingt à vingt-cinq années de pouvoir actif supplémentaires, persuadé qu’au cours de cette période la science inventera de nouveaux moyens de prolonger son existence.

Cette conviction façonne son rapport au monde.
Il a déjà vu passer et mourir nombre de dirigeants : Eltsine, Chirac, Castro, Kohl, Thatcher. Il a survécu au pouvoir en Russie à Clinton, Bush, Obama, Merkel. Chaque disparition physique ou politique de ses homologues renforce sa certitude d’être à part.
Depuis qu’il se voit immortel, il ne se soucie plus des autres acteurs politiques. Trump, Macron, Merz, Starmer : tous seront balayés de leurs postes dans trois à cinq ans, et quitteront un jour ce monde. Même Xi Jinping, son partenaire stratégique, ne représente à ses yeux qu’un horizon limité.
D’ailleurs, cette conversation peut se lire comme une tentative de manipulation : offrir au président chinois la perspective de l’immortalité, suggérer qu’il en détient le début de la formule, provoquer son intérêt et le « fidéliser » en attendant le progrès de la science.

Cette croyance délirante sous-entend son obstination guerrière.
Il pense que les soutiens de l’Ukraine s’éroderont, il est convaincu que l’Occident n’a ni la patience ni la cohésion pour soutenir Kyiv pendant de longues années encore.
Dans son imaginaire, il lui suffit d’attendre : il survivra à tous ses adversaires, il verra passer les cycles électoraux occidentaux, et il placera peu à peu ses fidèles dans les capitales européennes.

Ce n’est pas seulement une posture : c’est sa réalité et il y croit.

Depuis son arrivée au pouvoir, Poutine prépare son immortalité, jusqu’à diriger la formation et l’orientation professionnelle de ses deux filles dans cette direction.

Maria Vorontsova, endocrinologue, s’est spécialisée dans les recherches de pointe sur la génétique et la reproduction. Elle occupe des fonctions stratégiques dans plusieurs programmes de longévité soutenus par l’État russe, où la science devient autant une arme qu’un héritage.

Katerina Tikhonova, pour sa part, est placée à la tête d’une société Innopraktika et d’un institut d’intelligence artificielle à l’université d’État de Moscou. Elle y orchestre un réseau où s’expérimentent des technologies de pointe, de l’IA aux projets scientifiques émergents. Sa société se veut une pépinière de talents et de concepts, un lieu où le pouvoir russe tente de capter l’avenir avant qu’il ne lui échappe.

Ce ne sont pas seulement leurs carrières scientifiques qui sont en jeu.
Elles participent à un projet grandiose : la survie biologique du père et l’avenir du clan. Leur fortune, leur statut, leur sécurité dépendent directement de la longévité de celui qui règne sans partage sur la Russie. Tous ont beaucoup à perdre.
À travers ses filles, les rares à qui il donne sa confiance, Poutine investit son pouvoir dans la promesse d’un futur sans fin, où il serait toujours là, échappant au temps.

Est-ce un simple délire de dictateur assoiffé de pouvoir ?
Pas uniquement. Ces idées existent bel et bien ailleurs que dans les folies des laboratoires du Kremlin.
Depuis plusieurs décennies, la Silicon Valley et certains grands centres de recherche investissent massivement dans la longévité.
Parmi les prophètes de ce mouvement, Ray Kurzweil occupe une place à part. Ingénieur et futurologue, il affirme que l’humanité est sur le point de franchir un seuil décisif : si l’on tient jusqu’à 2030, dit-il, les progrès combinés de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies et des thérapies géniques rendront l’immortalité accessible. Non pas une immortalité mythologique, mais une capacité technique à réparer indéfiniment le corps, à remplacer les organes défaillants, à reprogrammer les cellules, voire à transférer la conscience dans des supports numériques.

Kurzweil promet une « singularité biologique », où l’homme cesserait d’être soumis aux limites naturelles.

Ces discours trouvent un écho particulier chez les puissants. Repousser la mort, ce n’est pas seulement prolonger la vie : c’est prolonger le pouvoir. Dictateurs en fin de cycle ou milliardaires californiens, tous rêvent de préserver leur empire.

Pour Poutine, cette illusion n’est pas abstraite : elle conditionne ses décisions concrètes. Persuadé d’avoir encore plusieurs décennies devant lui, il peut s’enfoncer dans une guerre interminable. Il peut attendre que l’Ukraine s’épuise, que les Occidentaux se lassent, que les démocraties changent de gouvernement. Son calcul repose sur la patience et le mépris : il croit avoir le temps et il est persuadé qu’il prendra sa revanche sur tous ceux qui lui manquent du respect aujourd’hui.

C’est là que le délire devient une catastrophe pour les autres.
Un homme persuadé de défier la mort ne raisonne pas comme les communs des mortels. Il n’a pas d’urgence à négocier, pas de contrainte liée à l’âge, pas de conscience du temps qui passe. Il s’autorise une guerre sans fin, parce qu’il s’imagine sans fin lui-même.

Pourtant, la réalité biologique est inébranlable.
La vieillesse n’est pas un accident qu’on peut réparer ; elle est inscrite dans la condition humaine, dans l’équilibre même de la vie. La mort n’est pas un défaut de la nature, mais son principe organisateur.
Et même si les biotechnologies modernes permettent de prolonger l’existence de quelques décennies, la mort apportera sa leçon ultime au petit homme du Kremlin, aux mains ensanglantées.

Poutine croit défier la nature.
C’est elle, pourtant, qui aura le dernier mot, malgré le sursis dont il profite déjà depuis trop longtemps…