En 1954 j’apprends à Madrid que Mère Courage et ses enfants (Mutter Courage und ihre Kinder) avec Helene Weigel BB sera joué. Je pars alors à Paris pour un voyage délirant, mouvementé, accidenté et crazy, en auto-stop. C’était une pièce fondamentale pour moi, l’auteur de Pic-nic.
Le personnage principal est inspiré d’un roman picaresque du XVIIe siècle de Grimmelshausen : La Vagabonde Courage (Titre complet en allemand : Trutz Simplex oder Ausführliche und wunderseltzame Lebensbeschreibung der Ertzbetrügerin und Landstörtzerin Courasche).
La pièce se déroule pendant la guerre de Trente Ans. Anna Fierling (Mutter Courage) est une vendeuse ambulante qui, pour survivre, navigue habilement entre les uns et les autres en suivant l’armée suédoise dans son chariot, profitant ainsi de la guerre. Elle réalise des menus profits grâce à la guerre… qu’elle va payer de la vie de ses trois enfants : Eilif, Schweizerkas et Catherine. Finalement, tous les trois sont abattus, et Mère Courage se retrouve seule, alors même que la guerre n’est pas encore terminée.
C’est un hymne pacifiste, où Mère Courage – figure propre à toutes les guerres – se retrouve seule avec son chariot branlant… Une allégorie de la Seconde Guerre mondiale. Mère Courage utilise (comme me l’a soigneusement expliqué Helene BB) le Verfremdungseffekt (effet de distanciation) pour éviter la catharsis et permettre au public de comprendre ses actions et les conséquences de la guerre. Selon elle, le personnage de la mère représente l’alliance entre la guerre et le commerce, où la cupidité mène à des pertes irréparables. Le public devrait réagir avec indignation face à la futilité de la guerre et non éprouver de la pitié émotionnelle pour Mère Courage, disait-elle.
Au milieu du combat, Helene, pour nourrir ses enfants, plume un coq tenu entre ses cuisses, réalisant l’une des scènes les plus prodigieuses du théâtre.
Reconnue mondialement comme l’une des plus grandes réalisations d’Helene BB, elle était née (comme elle me l’a dit) dans un magasin de jouets appartenant à une famille juive. Adolescente, Helene fréquente une école progressiste controversée fondée par le réformateur social Eugène Schwarzwald. En 1924, elle rencontre B.B., qu’elle épouse en 1929 et avec qui elle aura deux enfants, Stefan (1924-2009) et Barbara (1930-2015). Avec la montée du nazisme en 1933, le couple est contraint d’émigrer, pour finalement s’installer aux États-Unis. Ils retournent en Allemagne en 1948 pour fonder le Berliner Ensemble, et créer notamment Mère Courage et ses enfants, pour lequel elle remporte le Prix du Festival des Nations à Paris en 1954 au Théâtre Sarah Bernhardt.
Elle atteint le sommet du Soleil par la Voie lactée en 1971.
[Paris a la vocation de ces Chantiers d’Europe[1] lancés en 2010 par le patron du Théâtre de la Ville et metteur en scène Emmanuel Demarcy-Mota. Aujourd’hui la talentueuse flamande Lisaboa Houbrechts fait la mise en scène. Laetitia Dosch a repris l’énorme rôle en trois semaines, dont quatre jours de répétitions seulement, pour le créer aux Festwochen de Vienne. La guerre résonne, rayonne de ses glaçantes ténèbres, dans la famille comme dans les corps, hors de nous comme à Nancy lorsque Jack Lang crée le festival mondial du théâtre, en 1963.]
Treize « arrabalesques » à la mémoire d’Helene Weigel BB
« …devrons-nous déclarer à l’héroïsme une guerre pacifique sans drapeaux ? »
« …quand nous n’avons rien à dire, débattons-nous avec les commandants ? »
« …l’espace est né de notre passion du détail ? »
« …continuer, n’est-ce pas durer ? »
« …tout ce qui est profond est-il si divertissant ? »
« …existe-t-il la cérémonie du vécu ? »
« …la stupidité des choses est-elle aussi insupportable que celle de nos voisins ? »
« …est-il essentiel et décisif d’assister au passage de notre propre existence ? »
« …ce qui est à moi est-il le point de convergence de ce qui n’est pas à moi ? »
« …oui, mais moi, n’est-ce pas le même ? »
« …si pessimiste ! …mais à quoi s’attendait-il ? »
« …les événements trouvent toujours la personne idéale ? »
« …la perfection est-elle superbe, comme un diamant ? »
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[1] Intégrés à la programmation du Théâtre de la Ville, les « Chantiers d’Europe » célèbrent la diversité et la circulation artistique et culturelle en Europe. Ils offrent un espace de découverte pour des artistes originaux et des formes scéniques singulières, dans un esprit d’échange, de créativité et de solidarité.