Lueur solitaire dans la nuit où s’enfonce l’Amérique de Trump, un petit opus roboratif vient nous rappeler la grandeur de cette même Amérique à la veille de la seconde guerre mondiale, quand le vent de l’histoire balançait entre le progrès émancipateur et la barbarie totalitaire. A parcourir cet ouvrage bienvenu, le lecteur mesurera combien l’expérience du New Deal fut riche d’innovations et d’enseignements pour l’avenir du progressisme dans les démocraties modernes. Quatre-vingts ans plus tard, l’histoire de cette poignée d’hommes résolus qui allaient sauver l’Amérique, n’a pas pris une ride.

Voici donc le vadémécum d’Une autre Amérique. Ressuscitée par Judith Perrignon, écrivaine-journaliste, la belle et glorieuse Amérique de Roosevelt nous est peinte en direct, à travers le journal de bord de l’argentier du New Deal, Henry Morgenthau. Un héritage toujours vivant que Trump et ses affidés, balayant les décennies d’un revers de main, entendent aujourd’hui éradiquer point par point.

Plus que la woke culture, circonscrite aux campus californiens et de la Côte Est, le New Deal, historiquement, reste la bête noire des forces conservatrices américaines de tous bords, le virus obsédant dont il urge de purger le pays. Ce moment fondateur du New Deal ne fut-il pas, à leurs yeux, l’origine de tous les maux actuels : le pouvoir fédéral surpuissant, l’interventionnisme économique de l’Etat, le contrôle des banques, des bourses, les marchés sous surveillance, les Agences gouvernementales ayant barre sur l’entreprise privée, l’Etat-providence et son cortège d’assistés, et de parasites sociaux, vidant les caisses publiques, l’internationalisme s’ingérant dans des guerres dont l’Amérique n’a que faire ? Vouant aux gémonies les gardiens du temple rooseveltien, fustigeant ce socialisme masqué partout inscrit dans la mémoire collective, les nouveaux maîtres de Washington, des media et de la Toile portent aux nues les mantras libertariens chers jadis aux magnats de l’industrie et la finance, qu’entonnent à leur tour les géants de la Tech : « Liberté pour le Big Business ! Une seule loi pour tous, la loi des puissants et des forts ! America first ! » 

Prenez le mot de deal, commun au patriarche légendaire de la démocratie américaine et à la baudruche peroxydée de la Maison blanche d’aujourd’hui. Le New Deal était une nouvelle donne, un pacte des élites avec le peuple, aux fins de sortir ensemble de la grande Dépression. Le deal trumpiste est synonyme d’accord au forceps, politique, diplomatique, économique ou autre. Le politique se résume à un bras de fer entre les acteurs. L’Etat de droit est mis à mal.

Tel est le climat présent, aux antipodes, presque terme à terme, de l’ère Roosevelt. Revisiter la geste rooseveltienne dans ce contexte nauséabond fait barrage au désespoir, au sentiment d’impuissance qui saisit le monde depuis la réélection de Trump. Face au chaos ambiant, aux masses qui suivent en aveugles ces mauvais bergers, revenir aux leçons du New Deal s’avère une propédeutique à la portée de tous. Et c’est comme respirer un air plus pur.

Qui était donc ce berger d’un peuple aux abois qu’allait incarner Roosevelt ? Fils unique choyé par une mère qui rêvait pour lui d’un destin hors du rang, membre d’une grande famille WASP (White Anglo-Saxon Protestant) de la côte Est, neveu du Président Théodore Roosevelt, élève à Harvard, danseur mondain, riche, portant faux col et pince-nez, tout était dû à cet heureux du monde, plein d’assurance. Mais rien, à commencer par son appartenance de classe, ne prédestinait Franklin Delano Roosevelt à devenir, à la faveur de la crise de 29 (15 millions de chômeurs ; Wall Street et le PNB à l’agonie) le héros des oubliés du rêve américain, le sauveur de millions de fermiers et de prolétaires en déshérence. Bouclier du peuple contre « les malfaiteurs de grande fortune », répudié par sa caste, en butte bientôt aux isolationnistes américains, l’homme qui, contre vents et marées, releva une nation à genoux était lui-même paralytique.

Loin d’être une révolution sociale et politique remettant en cause le capitalisme américain, loin d’être dicté par un idéal de justice sociale, le New Deal est d’abord une relance de l’économie par des grands travaux d’infrastructure sous la houlette de l’Etat fédéral enfin sorti des limbes, une relance programmée et financée par l’investissement public, serait-ce au prix d’un endettement colossal et du déficit budgétaire, en vue de relancer la production, donc l’emploi, les salaires et la consommation populaire, et par capillarité d’irriguer ainsi tout le tissus social. L’heure est à la dépense publique sans compter. C’est toute une révolution. Keynes n’est pas nommé, mais il est bel et bien passé par là. Haro sur la déflation. Les tenants du moindre Etat, les fanatiques de l’équilibre budgétaire s’étranglent. Morgenthau, le secrétaire aux finances, freine lui-même des quatre fers. Mais rien n’ébranle Roosevelt, à qui l’histoire va donner raison. La courbe du chômage s’inverse, la justice sociale est en marche, le Big Business, qui n’y a rien perdu, s’incline, le peuple américain relève la tête. L’économie de guerre achèvera de guérir l’Amérique, transformée en un gigantesque arsenal des démocraties, du traumatisme de la grande Dépression. Merci Roosevelt.

Deux ombres, toutefois, au tableau. 

La ségrégation raciale. 1933 marque un pic dans les lynchages de Noirs à travers le Sud profond, par pendaison aux arbres. « Strange fruits » chante Billie Holiday. Roosevelt a besoin du vote des démocrates sudistes pour faire passer l’énorme législation du New Deal au Congrès. Cédant à leur chantage, il exclura les gens de couleur de plusieurs lois protégeant les salariés. De même, il ne bougera pas le petit doigt pour imposer une loi anti-lynchage, abandonnant la lutte contre la ségrégation à son épouse, l’admirable Eleanor Roosevelt. 

Même chose face à la menace qui pèse sur les juifs européens, que Morgenthau et d’autres ne cessent de lui représenter. Roosevelt, antitotalitaire convaincu, entend préparer le pays à la guerre contre l’Allemagne, jugée inévitable. Il a contre lui une opinion publique chauffée à blanc par les isolationnistes, dont bon nombre d‘antisémites patentés, à l’instar de Lindberg, le héros du premier vol transatlantique, qui déjà dénonçaient dans le New Deal un Jew Deal. Roosevelt recevra Jan Karski et découvrira l’ampleur de la Shoah. Mais il n’en dira mot publiquement de toute la guerre, de crainte que les pronazis américains ne présentent le conflit aux Américains comme une guerre pour les juifs et voulue par eux. Les voies ferrées qui mènent les trains de la mort à Auschwitz ne seront pas bombardées. 

A part cela, merci plus que jamais au grand Roosevelt, à l’heure de l’infâme Trump. Les leçons du New Deal : une source d’inspiration, qu’il faut sans tarder remettre à l’ordre du jour.

Un commentaire

  1. Le zozo du Kremlin lève les mains en l’air ; il nous assure n’être pour rien dans l’attaque délibérée de son vassal n° 1 contre cet hôpital israélien dont le symbole éclaire sur les objectifs génocidaires d’une abomination de la nature, qu’une authentique communauté internationale se serait elle-même chargée de désarmer si elle en avait la capacité ou tout au moins la volonté.
    Le kremlinisateur veut jouer au plus saint ? Donnons-lui-en pour son argent ; rappelons-lui qu’Israël est un État souverain qui, contrairement à ses voisins européens, n’est du genre à refouler ni le bois dont il est fait ni celui dont on le chauffe.
    La dissuasion à laquelle se raccroche l’ex-bloc de l’Est en vue de juguler les potentialités d’intervention défensive de l’OTAN au-delà du Rideau fantôme, cet équilibre des forces aussi rassurant qu’angoissant demeure une joie et une souffrance pour tous ceux qui en jouissent, la garantie d’une conservation ou d’un anéantissement de leurs écosystèmes civilisationnels, une possibilité éventuellement salutaire d’entrevoir l’Apocalypse que nous lègue le génie scientifique du siècle de tous les désastres.
    Les Allemands qualifiaient de « science juive » les grandes révolutions scientifiques du XXe siècle sans lesquelles le Sovietsrarevitch n’aurait aucun moyen de jouer au Dr Strangelove avec sa Petite Rus’, raison pour laquelle le Troisième Reich exigerait des autorités scientifiques aryennes qu’elles procédassent à la réédition intégrale des ouvrages de référence de la science contemporaine après avoir pris soin d’en biffer les noms juifs.
    Quatre-vingts ans plus tard, non seulement l’Ours bipolaire n’a pas eu le courage, ou plutôt l’intrépidité de s’aventurer personnellement dans le ciel israélien, mais contrairement à cette Ukraine qu’il considère psychopathétiquement comme l’un de ses organes vitaux, la nation juive que se sont mis en tête de déchiqueter les petits ogres gris de Téhéran, est une puissance officieusement dotée.
    Pensez-vous sincèrement qu’en phase de rechute, l’anatomie d’une Bête immonde lui offre la moindre chance de retomber sur ses pattes ? Comment alors, Herr BRICS+, proposeriez-vous d’aider à la résolution de l’Événement, puis au Dégourdissement commun et collectif qui est censé en procéder ?
    De notre côté de l’échiquier eurasien, à en juger par l’enroulement des bobines blêmes auxquelles Kremlinator a fait visualiser la vitrification instantanée de l’inviolable forteresse Europe, on peut comprendre que l’Ami ukrainien se soit obstiné à nous désigner comme la prochaine cible de son bourreau, quand bien même cette approche du problème n’aurait pour effet que de réactiver les causes d’un engourdissement stratégique désormais séculaire parmi les interneurones inhibiteurs des presqu’Alliés d’un État dissident de la néoguerre froide.
    Car ce n’est pas le risque de voir annihilé notre être, mais à l’inverse, l’inanité de telles fanfaronnades qui devrait l’inciter à riposter de la manière la plus appropriée aux intimidations choquantes, impudentes et pour le moins insupportables de Moscou.
    À ce propos, je dirais que l’orthorexie anti-Busherie du gendarme des mondes n’est pas étrangère au conditionnement pavlovien d’Occidentés en quête perpétuelle de désescalade a priori et à tout prix.
    Ne pas fourrer son nez là où l’on ne vous cherche pas personnellement des noises, tel est le mot d’ordre commun aux pacifistes à courte vue qui, depuis l’extrême droite jusqu’à l’extrême gauche en passant par les pragmaticiens à la petite semaine, s’estiment capables de repousser indéfiniment les expansions crépusculaires d’une aveuglante entre-deux-guerres.
    Outre l’anticipation médiocre d’un effet papillon qui, eu égard au caractère inéluctable des catastrophes dont on ne participe pas à enrayer la comorbidité des effets, n’épargnerait aucune région de la planète, il semble que la France ait oublié la vocation des humanistes à porter assistance à l’incarnation de leur idéal chaque fois qu’un peuple s’apprête à relever la tête sous le joug d’une tyrannie dans l’espoir et le but d’élargir le spectre lumineux des droits universels.
    Cela pourrait être le cas pour des forces armées partiellement décapitées auxquelles les partisans et artisans d’une démocratie libérale iraient restituer l’âme noble, la dignité altruiste, l’amour de la justice, pour ne pas dire la justice amoureuse telle que surent s’en nimber d’héroïsme les Antiquités perses. — On ne parle pas ici d’un gouvernement en exil qui aurait très astucieusement placé à sa tête une néoféministe voilée dont la démocratie à la sauce moudjahid (combattant pour la foi), litt. « celui qui fait le djihad », finirait un jour par nous valoir une condamnation à trente ans de prison ferme pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ; comme par hasard, le principal membre du Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) est l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), opposant au Shahanshah (roi des rois depuis l’Empire achéménide), puis principal rival au régime altermondialiste de Khomenei auquel il souhaiterait substituer sa propre interprétation révolutionnaire de l’islam ; une forme d’alternance politique n’étant donc aucunement porteuse de la promesse de transition démocratique, mais d’une poursuite de la fuite en avant régressiste du millénarisme chî’ite à propulsion arrière, immémorialement impérialiste s’entend.
    Est-ce une raison pour se carapater à Vienne et déclencher un second compte à rebours favorable à une clique de serpents qui n’en sont qu’au début de la construction de leur arsenal nucléaire ? C’est à ce type de chantage que se bornerait votre plan de paix, Citoyens du monde libre : le Quatrième Reich ou le chaos ?
    À cela, franchement, je préférerais cent fois l’occupation de l’Iran assortie d’un programme de déradicalisation du peuple et des élites voué à prévenir tout risque de résurgence de l’idéologie islamofasciste ou de restauration d’un régime totalitaire ouvertement génocidaire, lequel monstre à l’article de la mort ne désespérera pas de pouvoir bénéficier à l’arraché de notre mansuétude pleine de compréhension aussi longtemps que nous continuerons de jeter notre imagination au cachot.