Préambule politique

Le 17 mai 1990 l’Organisation mondiale de la santé (OMS) retirait (enfin !) l’homosexualité de sa liste qui classifiait des maladies mentales. Trente-cinq ans plus tard, où en sommes-nous vraiment ?

Aux États-Unis, le second mandat de Donald Trump a amorcé un tournant inquiétant, en décomplexant la haine LGBTphobe, ciblant particulièrement le « délire transgenre », qui serait, je cite : « une menace pour l’identité nationale ». Dès son discours d’investiture, en janvier 2025, Trump donnait le ton : « à partir d’aujourd’hui, la politique officielle du gouvernement des États-Unis sera qu’il n’y a que deux sexes, masculin et féminin. » Une parole programmatique. Dans la foulée, une série de décrets présidentiels ont institutionnalisé la discrimination la plus crasse : exclusion des femmes trans des compétitions sportives féminines (Décret 14201), interdiction de leur présence dans l’armée (Décret 14183), suppression de toutes mentions des identités transgenres dans les documents officiels (Décret 14168), interdiction de modifier son prénom sur ses papiers d’identité, et disparition du genre neutre « X »… J’ajoute que fin janvier une série de décrets ont ordonné le transfert des femmes trans incarcérées vers des établissements pénitentiaires masculins. Il ne s’agit pas que d’un processus d’invisibilisation : l’État favorise les conditions de l’expression de la haine, met en scène un théâtre du pire. L’étau se resserre.

Les organismes de protection contre les discriminations ont été démantelés, laissant place à une politique de surveillance ciblée en fonction de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre. Les refuges et centres d’accueil ferment désormais leurs portes aux personnes LGBTQIA+. L’administration légitime la chasse aux sorcières. C’est une violence d’État. Outre-Atlantique, les agences fédérales ont les mains libres pour traquer, exclure et invisibiliser. Le refus de reconnaître l’existence des identités de genre minoritaires devient une arme politique, un argument-massue pour draguer le redneck à casquette rouge et Smith & Wesson. Un processus d’effacement qui ne se limite pas aux États-Unis : il inspire, et se propage auprès de l’internationale populiste. L’Europe n’est pas épargnée.

La Géorgie s’inscrit dans la trajectoire russe de la législation poutinienne qui vise la « propagande LGBT », en adoptant une loi basée sur le « protection des mineurs » et la défense des « valeurs familiales ». Idem pour la Bulgarie qui interdit la « propagande homosexuelle » dans les établissements scolaires, en s’appuyant sur un loi votée par la Hongrie dès 2021. Cette même Hongrie où l’Extrême droite a voix au chapitre et qui a interdit la Budapest Pride en mars dernier. Viktor Orban, dans les pas de Donald Trump, affirmait : « toute personne est soit un homme, soit une femme ». Le mois dernier, la Slovaquie a quant à elle franchit une nouvelle étape vers l’exclusion légalisée : le gouvernement a présenté une série d’amendements constitutionnels visant à définir une vision strictement binaire du genre, et à réserver le droit à l’adoption aux seuls couples hétérosexuels… mariés !

En ce 17 mai 2025, Journée mondiale de lutte contre les LGBTphobies, La Règle du jeu donne la parole à quatre voix, le temps de quatre récits singuliers. À travers ces parcours de vie se dessinent les visages multiples de la discrimination, sa violence et ses effets. Pour lutter contre celles-ci – et à travers elles contre le fascisme et l’intégrisme religieux dont elles sont des révélateurs –, il faut décrypter leurs mécanismes et, ainsi, comprendre comment elles agissent. On ne se bat pas contre un ennemi sans visage. – Félix Le Roy

Amber : « La transphobie c’est l’homophobie amplifiée par le sexisme »

La haine m’est souvent tombée dessus sans préavis. C’est difficile à encaisser, et tout aussi difficile à exprimer. Trouver les mots, les ordonner… c’est déjà un combat, parce que cette violence sème le désordre, elle est faite pour ça.

Je suis une femme transgenre. Et à travers mon parcours, j’ai subi les deux faces d’une médaille qui n’en est pas une : l’homophobie et la transphobie. Si je pouvais choisir, je préférerais ne jamais avoir eu à porter ce fardeau. C’est un poids qui pèse sans cesse. Mais je dois l’admettre, sans établir une échelle dans l’horreur : la transphobie m’a frappée avec une violence bien plus brutale et dévastatrice que l’homophobie. Elle m’a usée. Je me sens comme une cible. Ouvrez les yeux, regardez les États-Unis de Trump, ça s’aggrave, crescendo ! Il y a des combats qu’il faut continuer de mener sans relâche. Et puis il y a ceux, comme celui pour nos droits, pour notre sécurité – à nous les personnes trans –, qu’il serait temps de prendre au sérieux. Je suis le « T » de LGBTQIA+, je me sens un peu noyée. Je ne dis pas qu’il faut en faire moins pour les gays, les lesbiennes ou quiconque d’autre. On nous met tous dans la même galère, il n’y a pas de compétition. Je dis qu’il faut en faire autant pour tout le monde. Les trans, on nous dévisage plus qu’on ne nous voit. Et parfois, il faut qu’on meure poignardées pour enfin exister. Mais moi, j’ai mieux à faire que de finir en fait divers.

Je suis comme je suis, et pour moi, la discrétion n’a jamais été une option. Souvent, j’aurais aimé pouvoir m’échapper, me glisser dans la foule sans attirer les regards, les jugements, les menaces… sans avoir peur. Mais voilà : pour certains, les ignorants et les salauds, je ne suis qu’un homme avec une perruque. C’est d’une violence inouïe. Les gens manquent cruellement d’éducation. Est-ce à moi de faire de la pédagogie ? Le simple fait qu’un regard puisse assigner un genre en dit long sur la profondeur des préjugés qu’on doit encore déconstruire. Avant, c’était ma sexualité qui dérangeait. Aujourd’hui, c’est mon existence même – la femme que je suis. Ce n’est plus ce que j’aime qui est remis en question, c’est qui je suis. Et « moi », c’est un tout. C’est immense. La transphobie transperce, corps et âme. Et les discriminations, elles, prennent mille visages. Tous violents. Tous épuisants.

Parlons-en, de ces histoires de vestiaires, de toilettes ! Ce fantasme qu’on nous ressort sans cesse. Il est temps d’arrêter de faire croire que les femmes trans représentent une menace pour les autres femmes. C’est tout simplement faux. Et d’ailleurs, cet adjectif « trans », est-ce qu’il me définit vraiment ? On me l’impose. Pourtant, j’aime ce mot. J’aime ce qu’il évoque : le mouvement, mon choix, le chemin parcouru. C’est la mémoire de mon devenir. Mais quand il devient une barrière, un prétexte pour me marginaliser ou m’exclure, alors je veux qu’on me voie pour ce que je suis : une femme. C’est tout. La transphobie c’est l’homophobie amplifiée par le sexisme le plus brutal, doublée d’un machisme violent et oppressant. C’est une violence au carré. Plus jeune, je travaillais dans un salon de coiffure, en province. C’était ma passion, mon métier. Mais quand j’ai amorcé ma transition, on m’a clairement fait comprendre que je n’avais plus ma place. Je devenais « trop choquante », disaient-ils. La vérité, c’est que beaucoup de personnes trans sont écartées du monde du travail, non pas à cause de leurs compétences, mais à cause de l’affirmation de leur identité. La discrimination à l’embauche est bien réelle.

Et puis il y a cette autre forme de transphobie, plus insidieuse mais tout aussi violente : celle qui s’exerce dans le monde médical. L’ultra psychiatrisation de la transition identitaire est une erreur grave, dévastatrice et contre-productive. Je ne suis pas malade mental. Je pense à toutes celles et ceux qui grandissent dans un corps qu’ils n’ont pas choisi. À ces adolescentes et ces adolescents qui souffrent chaque jour d’une assignation forcée, et qui, en France, n’ont pas accès aux traitements hormonaux qui pourraient les soulager. La douleur qu’ils ressentent n’est pas un caprice d’ado rebelle fâché avec papa, maman, ou la terre entière. Moi-même j’ai parfois eu du mal à avoir accès à mes traitements. Aujourd’hui je suis bien suivie, bien traitée, encadrée par un médecin exemplaire. Je sais que c’est une chance. On devrait toutes et tous avoir le droit et les moyens de choisir le corps dans lequel on veut vivre, aimer, s’aimer.

Je continuerai à devenir la femme que je suis, envers et contre tout, contre tous. Protect the dolls !

Robin Josserand : « À ses yeux, je n’étais pas un auteur. J’étais un auteur homosexuel »

Je me souviens qu’on m’avait demandé, un jour, si je n’avais pas peur, avec mes livres, de m’enfermer dans un « système ». Sous-entendu : de risquer la caricature. De tourner en rond. D’ennuyer les lecteurs. J’avais alors interrogé mon interlocuteur ; lui serait-il venu à l’esprit de poser cette question à un hétérosexuel ? « N’avez-vous pas peur, cher monsieur, de la redondance avec vos histoires de femmes ? » Et de reléguer notre littérature à une littérature de genre – sans mauvais jeu de mots – destinée à un lectorat spécifique : nous autres, gays du « milieu ». Après tout, « le sodomite était un relaps, l’homosexuel est maintenant devenu une espèce. » (Foucault) Il n’y a pas là d’homophobie à proprement parler mais une relégation, une réduction ; notre désir comme une singularité un peu curieuse, parfois excitante, que les hétérosexuels considèrent avec un regard attendri – je ne parle pas des idiots. Comme si on autorisait l’homosexuel à écrire un ou deux livres sur ses amours afin qu’il puisse ensuite passer aux choses sérieuses. Or, on part toujours de soi. C’est-à-dire qu’on écrit depuis son désir. J’ai toujours été curieux, pour ma part, du désir hétérosexuel, me projetant sans difficulté dans ses fictions ; avec ces hommes qui aimaient les femmes, je partageais les mêmes joies et les mêmes peines. Moi qui me suis construit grâce aux récits de ces hommes-là – même si, avouons-le, cette fiction aurait été un peu plus grisante si Frédéric Moreau avait couché avec son ami Deslauriers.

Ce tropisme, cet impair – je dois aussi dire que mon interlocuteur s’était repris, s’excusant pour sa maladresse –, matérialise un déséquilibre, un abîme, cet « eux » et ce « nous », symbolisant une place dont nous ne voulons pas – parce qu’ils ne la veulent pas non plus. Je n’étais pas blessé mais légèrement froissé. À ses yeux, je n’étais pas un auteur. J’étais un auteur homosexuel. Et qui parlerait, encore une fois, « d’auteur hétérosexuel » ?

« Quand je me mets à écrire un roman, écrivait Yves Navarre dans sa Biographie, je ne prends pas la décision d’écrire “homo ou pas homo”, même si je sens une pression au niveau de l’éditeur pour que mon prochain roman ne le soit pas. Parce que paradoxalement, et effectivement, pour lui, en chiffres, “les romans homos de Navarre se vendent moins bien”, l’écrit homo-porno se vend, pas l’écriture de l’homosexualité. » Ces mots datent du début des années 1980. Les choses évoluent, heureusement, et les éditeurs sont désormais de notre côté, mais nos petites humiliations, souvenirs déplaisants de rencontres, de salons, sont encore légion.

Il y a la question. Et puis il y a la question qu’on pose. Là où elle provoque, chez celui qui la reçoit, une légère honte – la honte de celui qui écrit et qui s’inquiète de la « réception sexuelle » de son texte (un hétérosexuel s’est-il déjà posé cette question ?) –, une pudeur, un doute – et si, après tout, il avait raison ? Il y a enfin les excuses. Car l’homosexuel n’est jamais à court d’arguments pour décupler sa culpabilité – qui est, peut-être, l’un des degrés les plus fourbes de l’homophobie. Nous poussant, ainsi, à nous écarter de notre désir. Donc de notre réel. Donc de notre écriture. Après tout, pourquoi s’obstiner avec ces histoires qui n’intéressent que quatre pourcent de la population ? Car c’est peut-être ça le plus pénible : nous faire douter de ce qu’on écrit, pour des raisons étrangères à la littérature.

Dorian Jollet alias Bellatomic The Muse : « Je ressens une tension brutale entre fascination et rejet, qui a mis mon intégrité physique en péril »

J’étais cet enfant attiré par le raffinement, le féminin, la mode. C’était mon goût, voilà tout. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit : ce n’est pas parce qu’on met un t-shirt rose à un petit garçon qu’il va devenir homosexuel. Je ne crois pas à ce genre de déterminisme. C’est absurde. J’ai grandi dans une atmosphère inconfortable du préjugé. Très tôt mon espace vital ça a été le secret. Il fallait se cacher, dissimuler. Ma famille ne semblait pas intolérante, mais elle vivait avec ses modèles, des cloisons mentales. « Sois un homme, mon fils. » Et moi, très vite, j’ai remis ça en question. En silence. Dans la clandestinité la plus totale. Il fallait élucider quel genre d’homme je serai. Ce malaise profond a creusé en moi une introversion terrible. J’ai mis des années à m’en libérer. Puis-je parler d’un climat familial homophobe ? Je ne sais pas. J’ai encore du mal à le formuler, ou à l’admettre. Il y avait un ordre des choses, une marche à suivre pour rentrer dans le rang. Ce conformisme n’a pas été sans conséquences. Si j’en parle, c’est que quelque chose de l’ordre du traumatisme réside dans cette période. Le début de quelque chose qui ne s’est pas arrangé…

Il y a eu le collège : la corrida, vraiment. Le jaillissement du harcèlement. Je me souviens parfaitement du jour où j’ai dit, avec la certitude de ma naïveté, que je voulais devenir coiffeur – j’ai commencé à coiffer à l’âge de six ans. Tout a explosé. Les insultes, les rires, les regards moqueurs, les menaces… La honte qui infuse. Je suis encore étonné, en y repensant, que tant de stéréotypes aient pu être déjà si solidement ancrés dans des esprits aussi jeunes. En affirmant simplement une passion, j’ai signé l’acte officiel de ma différence. Et si on ne s’était pas autant moqué de cette envie-là ? Où en serais-je aujourd’hui ? Ce fossé entre moi et les autres, je ne l’ai pas creusé. On l’a ouvert sous mes pieds. Et il n’a cessé de s’élargir au fil du temps. De temps à autre ils le resserraient. Il fallait s’approcher de moi, assez près pour frapper. Réduire la distance pour que me parviennent les insultes. Un murmure qui vous colle à la peau. Quelque chose s’est brisé en moi, là.

À force, j’ai fini par répondre aux questions qu’on m’imposait. À 18 ans, j’ai rencontré un homme – le premier. Et pendant que mon entourage s’éloignait, qu’une partie de ma famille me tournait le dos, ma mère m’a protégé. J’ai cru que quitter la province m’aiderait à respirer. J’étouffais. Alors je me suis abandonné aux nuits parisiennes, inlassablement. Un solitaire en quête de sa meute. Le « milieu » gay – le mot dit bien ce qu’il veut dire, c’était mon centre de gravité – m’a aidé à me reconnaître et à m’accepter. Puisque personne autour de moi ne le faisait, il a fallu que je m’en charge seul. C’était un pari. J’avais en moi cette part féminine qu’on me reprochait sans cesse, et qu’il fallait sublimer. La rendre inattaquable puisqu’elle me portait préjudice. L’atmosphère de rejet qui m’avait déjà poussé à faire des choses qui n’étaient pas mon genre – du foot, de la boxe, du judo – est devenue inacceptable. Je me suis émancipé des codes de la virilité, avec toutes leurs caricatures. L’homme est une femme comme les autres. Je me suis dédoublé. J’ai créé un personnage : Bellatomic The Muse.

Le drag est entré dans ma vie. Comme beaucoup, je dois énormément à RuPaul’s Drag Race. Je suis un enfant de la télé. Et entre-temps, j’avais atteint mon objectif : meilleur apprenti de France, double champion national de coiffure. La rigueur, l’excellence que je mettais au service des autres en tant que coiffeur, maquilleur, perruquier, allaient désormais aussi me servir à me construire.

L’entrée de Bella dans ma vie a été l’une des plus belles choses qui me soient arrivées – la création de cet alter ego féminin, cette énergie mise à me réinventer pour m’affirmer –, ce fut aussi ma décision la plus libératrice. Une liberté intime que je paie au prix fort. Paradoxalement, c’est à ce moment-là que les violences se sont intensifiées. Toujours « trop homme » pour être une femme. Toujours « trop efféminé » pour être un homme. Le drag brouille les limites du genre et de ses représentations.

Quand je m’apprête à monter sur scène, dans un cabaret ou un club, pour performer, pour prendre ma revanche sur un excès de timidité née des violences de l’enfance, je me confronte encore à un monde qui me met en danger. Prendre le métro après ma transformation ? Impensable. Le huis clos d’un taxi ? Cela peut virer au cauchemar. Combien de fois a-t-on refusé de me conduire ? Combien de fois m’a-t-on humilié, demandé de descendre, parfois en pleine nuit, en plein milieu du périphérique, en guêpière et talons aiguilles ? Combien de chauffeurs ont détourné leur trajet, s’éloignant volontairement de ma destination, pendant qu’ils glissaient une main sous leur pantalon ? J’étais terrifié. Ces choses-là, je les ai vécues. Je me sens souvent menacé. Ma féminité exacerbée excite, ma masculinité résiduelle dégoûte. Je ressens une tension brutale entre fascination et rejet, qui a provoqué des gestes violents. Qui a mis mon intégrité physique en péril.

Heureusement, il y a la scène. Il y a mes amis. Ce sont eux qui me sauvent, chaque jour. Ce que je voudrais… c’est ne pas avoir à être sauvé.

Félix Le Roy : « Je pensais qu’ils étaient des alliés, ils étaient des bourreaux »

Avant d’écrire, la première question que je me suis posé c’est : est-ce que j’ai envie d’être le pédé de service ? – je ne sais pas vous le dire mieux que ça. C’est une question que je me pose véritablement, en tant qu’auteur. La catégorisation essentialiste est un sport pour lequel les athlètes de haut niveau sont légion. La réponse est : oui. Si mon personnage est celui-ci, moi ça me va, j’endosse le rôle. Tant pis si c’est réducteur, de toutes façons je n’ai pas beaucoup d’ambition – si ce n’est « having fun », comme je le disais hier soir à l’auteur des Chroniques de San Francisco, Armistead Maupin. Alors pour bien rentrer dans le costume, j’ai pris l’initiative de cette publication pour la Journée mondiale de lutte contre les discriminations LGBTphobes.

Ça, c’était le préambule.

Maintenant… Cut !

J’ai été violé.

Alors, vous restez ? ou vous partez ?

Si j’étais vous… en vérité, je ne sais pas ce que je ferais à votre place. Les voyeurs qui restent pour avoir des détails, il n’y en aura pas – vous seriez capables de trouver ça excitant. Ceux qui veulent me plaindre, je me passe de vous, de vos rictus mous. Ça se sent que je suis en colère ? Attendez, vous allez voir.

J’ai été violé une seconde fois.

…Cette fois, c’était sous soumission chimique.

J’ai essayé de le dire, plusieurs fois, mais je ne voulais pas qu’on me fasse parler plus que je n’aurais pu le faire. Je voulais être compris dans mon silence. C’est insupportable de répondre à des questions à ce sujet. Il aurait fallu me sentir compris alors même que je tentais de donner le change, et avant même que j’ouvre la bouche. Je n’ai pas l’impression d’en demander trop. C’est à vous de vous adapter. Moi je les ai vécus ces moments. Je dois me débrouiller avec, alors vous en ferez autant.

Pourquoi vous balancer ce duo de viols, là, comme ça ? Parce qu’ils ne correspondent certainement pas à l’image que vous vous en faites. Je n’ai pas vécu Irréversible. J’ai compris quelque chose récemment : c’est l’homophobie qui m’a fait ça. Je n’ai pas été coincé dans une rue sombre par une homme masqué. Je suis allé chez mon premier violeur, me suis déplacé moi-même sur la scène du crime, délibérément, n’ayant aucune idée de ce qui m’attendait. Avec le second nous avons dansé longuement, au Palais de Tokyo, avant que je le ramène dans mon appartement. J’étais même fier ! Il me plaisait beaucoup… je l’ai présenté à des amis.

Je savais que l’un et l’autre étaient des hommes « discrets », hétérosexuels en apparence, pour satisfaire la masse. Ils n’assumaient pas d’aimer le corps des hommes, luttaient contre leurs désirs. Je suis un dommage collatéral. C’est tombé sur moi. En me violant ils voulaient, par une intrication de paradoxes complexes, suicider leur homosexualité par le sexe ; au passage, c’était moi qu’ils tuaient. Il fallait un corps à martyriser pour qu’ils puissent abattre leur moi profond. J’ai souvent perçu ma peau, après cela, comme l’amalgame d’une poubelle et d’un sac de frappe.

Ils étaient l’objet de leur propre homophobie, pour cause d’homosexualité mal digérée. Pour se faire hara-kiri, il a fallu me passer sur le corps. La violence, lorsqu’elle s’abat, ne vient pas toujours d’une source attendue, prévisible. Je ne me suis pas méfié. Je pensais qu’ils étaient des alliés, ils étaient des bourreaux.

Voilà.

J’ai l’impression que c’était aujourd’hui ou jamais.

Maman, je sais que ça va te faire du mal, pardon.

PS : Je n’aurais jamais pu écrire cela sans avoir croisé la route de Régis Nkissi. Il est le visage de ma libération, m’a ouvert la voie, la voix. Je pense à lui aujourd’hui. Et remercie, from hell to hope with love, Amber, si courageuse et si belle, Dorian qui sait déjà tout. Ma gratitude aussi à Robin Josserand qui, avec une gentillesse rare, m’honore de sa présence ici. Je ne sais pas ce que vous avez prévu, mais nous, on va s’aimer très fort avant la fin du monde.