J’avais vingt ans et j’avais déjà lu, beaucoup, mais certainement rien de bien sérieux. Rien que des ouvrages du dix-huitième siècle ; d’obscurs littérateurs d’avant-garde ; souvent surréalistes. Des revues du début vingtième ; le dix-neuvième, déjà coagulé, et même polycoagulé, par l’adolescence ; des publications pirates, anglaises ou américaines, dont plus personne ne se souvenait… l’art pour l’art ; le graphisme pour le graphisme, le refus pour le refus et une certaine fascination pour l’arte povera, étendu à un sens bien plus large : métaphysique du fanzine.

J’aimais Marcel Duchamp, Lou Reed, Ezra Pound, Henri Michaux : la vie était simple. Qui sait, peut-être n’aurai-je jamais été plus sérieuse, ni plus sage, qu’en ce temps-là…

J’avais rongé la totalité du frein de ma jeune existence dans la province la plus irrespirablement giscardienne que l’on puisse désespérer. J’arrivais à Paris, et, pour la première fois de ma vie, rencontrais des êtres aussi lettrés et illuminés/dinguos que moi. Je décidais, donc, avec un culot mâtiné de naïveté à en crever l’œil de l’Ascenseur, de créer un temple à ma manière, pour cette épiphanie éditoriale qui ne voulait rien dire, sorte de gogo-club total, éphémère, voué à l’échec, totalement anachronique, mais non dénué de talent, et donc, de sens ; j’ai nommé mon fanzine : Oror. Qui se voulait, en toute humilité – moquez-vous, méchants – la moitié lumineuse de Maldoror.

Mes nouveaux camarades parisiens, londoniens, new-yorkais me suivraient, à l’aveugle, et gratuitement. Ils avaient compris que tout cela n’était qu’un geste. (Un autre titre envisagé pour ce fanzine était : La beauté du geste.) Un geste ou un pas de côté, à rebours de l’industrie de l’art. Ce dont on brûlait tous, en fait, secrètement. Peut-être reste-t-il quelques braises… Créer, créer, créer c’est tout. Où les petites choses, entre les bonnes mains, deviennent grandes.

C’était l’apogée de Facebook. Le dernier piège de Saturne se refermait ; les conséquences ne tarderaient pas à se faire sentir sur le Globe. On savait qu’il nous fallait griller vite les dernières cartouches, avec panache, et tant que le panache était encore permis. Quelques secondes ; avant la fin du mauvais rêve, du sublime cauchemar ; le retour de l’Esprit…

Trop fauchée pour imprimer trois fois trois-cents pages couleur, je bricolais un numéro unique à chaque fois, en version hybride, papier-digitale (ce qui me permettait de travailler un peu différemment la maquette…), puis le publiais en ligne. Au fond, rien n’importait, sinon la qualité des textes et des images ; et leur caractère exclusif.

Le contenu de ces trois fanzines (je devrais dire « webzine », mais c’est si laid : les puristes me pardonneront, je l’espère, cet anathème) reflète mes préoccupations juvéniles et quelque peu anarchisantes du moment. La teneur des textes, la valeur des auteurs qui m’ont fait l’immense cadeau d’y participer, ne s’en trouvent pas entachées, je crois.

J’ai demandé à la rédaction de La Règle du jeu s’ils voulaient bien republier des extraits d’Oror.
Ils m’ont fait l’honneur d’accepter : je leur en suis immensément reconnaissante.
Vous pourrez ainsi découvrir ici, dans les jours à venir, des textes et des images issus de quelques unes des meilleures contributions de mon feu-fanzine.

Les textes qui seront publiés, dans les jours à venir, par La Règle du jeu

Yannick Haenel, « Vous et la mort », Oror 2.

Antoine d’Agata, « Prologue : Oscuranita », Oror 3.

Gaëlle Obiégly, « Prothèse », Oror 3.

Medora Express, « Pistor Oscarius », Oror 2.

Eugène Green, « Écrivain et cinéaste », Oror 2.

Nicolas Schwed, « Jacone », Oror 2.

Yuri Di Liberto, « L’objet et le clivage. Une critique lacanienne des nouvelles ontologies », Oror 3.

Georgina Tacou, « Green boots », Oror 1.

Thibault Capéran, « Cheval », Oror 3.

Damien Malige, « Le prototype de compassion », Oror 3.

Jean-Luc Nancy, « Entretien bancal : retour vers le futur », Oror 3.

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