Qui est Fallen, cet homme qui roule en limousine, caractérisé par des sourcils proéminents, des lèvres minces, un regard aigu, un accent inidentifiable ? Pourquoi veut-il savoir à tout prix si Florian Prairial, acteur débutant, s’est senti possédé par son rôle en incarnant Satan à l’écran ? Dans son nouveau roman, Georges-Olivier Châteaureynaud nous emmène aux limites du fantastique, par petites touches malignes et érudites. Dans Un beau diable, il est question d’un jeune homme à peine ambitieux, sans aspiration particulière, à qui le diable propose de signer un contrat pour un rôle. Avec une telle assise, on pourrait s’attendre à une énième variation sur le Faust de Goethe. Mais en choisissant un poème de Victor Hugocomme base  de son intrigue, Châteaureynaud renverse les attendus. 

Florian a l’impression que Fallen tisse une toile autour de lui, envahit son espace et séduit les trois femmes de sa vie – sa maîtresse, sa petite amie épisodique, et sa mère. Mais dans quel but ? C’est que Fallen a en tête de produire un film qui serait une adaptation de La Fin de Satan de Hugo. Etrange entreprise, dans laquelle il déploie tout son art de séduction pour faire signer à Florian un contrat. Le diable a besoin de la signature de sa victime pour acquérir son âme, on le sait. Ici, on ne sait pas vraiment si c’est l’âme du jeune acteur qui intéresse le Diable. Disons que c’est surtout sa faculté de prendre la lumière sous les projecteurs. Florian n’est qu’un jeune homme au petit talent d’acteur qui n’a tourné, presque par hasard, que dans un film à peu près confidentiel. Son atout majeur, et peut-être le seul, au fond, c’est sa beauté. Il est beau comme un dieu. Il a la beauté du diable. Fallen se projette sur cette figure idéale. Un contrat s’accepte ou se refuse. La signature en est l’acte essentiel. Et l’on ne peut commencer le tournage sans le paraphe de l’acteur principal. Florian diffère la signature, puis renonce à tourner La Fin de Satan au profit d’une autre proposition, dans laquelle il incarnerait Gérard de Nerval. A partir du moment où Florian renonce au contrat faramineux de Fallen,  tout se déglingue, et l’étrange fait irruption dans sa vie. De l’étrange on passe au dramatique. Puis, dans une sorte d’apothéose postmoderne de la chute, une campagne de bad buzz sur les réseaux sociaux contraint Florian à revenir sur sa décision. La Fin de Satan sera donc tournée, et il incarnera, à nouveau, le diable. 

Comme très souvent dans les romans de Châteaureynaud, le texte est centré sur un personnage — celui de Florian — dans une narration à la troisième personne. Pourtant, ici, c’est bien sur la figure de Fallen que l’on s’interroge. Qui est ce diable qui cherche la rédemption ? Pourquoi jette-t-il son dévolu sur un jeune homme somme toute falot, au tout petit talent dramatique, qui n’a pour lui que sa beauté ? Ce diable de Fallen choisit une proie facile, il ne s’attendait pas à une telle résistance. Les lecteurs fidèles de Châteaureynaud reconnaîtront quelques-uns des motifs courant sur toute son oeuvre romanesque : un homme amoureux de deux femmes, élevé par une mère seule, traversant une aventure un peu à l’aveuglette, dans un brouillard de presque hébétude et d’incompréhension. La toile de fond très littéraire — Hugo, Nerval, Goethe et Berlioz —, et les méandres très contemporains de l’industrie du cinéma, donnent à ce roman formidable une assise culturelle dynamique, contrebalancée par les péripéties fantastiques lorsque le Diable déchaîne ses sortilèges contre Florian. Sortilèges symboliques frappants, assez éloignés de l’imagerie habituelle du Diable et de son train. De quoi frissonner et s’épouvanter, notamment dans une courte scène terrifiante où Florian examine son nombril…

Dans une langue néo-classique somptueuse, au vocabulaire érudit et moderne, Châteaureynaud signe là un roman qui s’apparente à la fois à au divertissement et au questionnement existentiel. Doit-on céder aux sirènes du vedettariat ? La rédemption est-elle possible même pour la pire incarnation du mal ? Et pour ce faire, doit-on continuer de détruire, ne serait-ce que la réputation d’un petit mortel insignifiant ? Oui, c’est bien sur la figure paradoxale de ce diable de Fallen que repose toute l’entreprise littéraire d’Un beau diable

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