L’invitation de Jordan Bardella, président du Rassemblement National (RN), et de Marion Maréchal, eurodéputée, à une conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme à Jérusalem, prévue pour les 26 et 27 mars 2025, suscite un vif débat. Pour de nombreux amis d’Israël, cette invitation est perçue comme une provocation et un manque d’empathie et de considération envers de nombreux Français de confession juive qui combattent l’extrême droite. Cela semble indiquer également que, par la voix de son ministre de la Diaspora, Israël pourrait être en train de négliger certaines valeurs et principes fondamentaux.

Amichai Chikli :  une stratégie de rapprochement avec l’extrême droite

Cette invitation, initiée par Amichai Chikli, l’actuel ministre de la diaspora, s’inscrit dans la stratégie de dédiabolisation du RN, qui cherche à renforcer sa crédibilité sur la scène internationale et à se positionner comme un allié dans la lutte contre l’antisémitisme. Chikli encourage ce rapprochement, perçu comme une reconnaissance significative pour Marion Maréchal et Jordan Bardella, contribuant ainsi à normaliser l’image de l’extrême droite française sur la scène internationale.

Depuis plusieurs mois, Chikli s’efforce de normaliser ses relations avec les partis d’extrême droite européens. En mai 2024, à Madrid, il a rencontré Marine Le Pen lors d’une conférence de partis d’extrême droite en Europe. À cette occasion, Chikli a déclaré qu’il serait excellent pour Israël que Marine Le Pen devienne présidente de la France, justifiant cette position par les soutiens de Marine Le Pen à Israël, notamment sa ferme opposition au Hamas et à la Cour pénale internationale, ainsi que sa participation à une marche contre l’antisémitisme en France.

En février 2025, Chikli a rencontré Jordan Bardella, alors vice-président du RN, lors du CPAC, une conférence annuelle organisée par la droite américaine à Washington. Cette rencontre n’a pas échappé au chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, qui a commenté avec ironie sur X : « Un grand exemple de patriotisme et de diplomatie : deux jours après que Amichai Chikli ait appelé à la fermeture du consulat général de France à Jérusalem, Jordan Bardella lui serre la main ».

Chikli a défendu sa rencontre avec Bardella, écrivant sur X que le Rassemblement National « a fait face à des accusations incessantes et est souvent décrit comme un parti d’extrême droite et antisémite », mais que ce sont « des bêtises ». Selon Chikli, Bardella « est l’une des voix les plus pro-israéliennes en Europe. Contrairement au chœur des partis de gauche européens, il s’est fermement opposé à la reconnaissance d’un État palestinien pour l’instant, arguant qu’il s’agirait de récompenser le terrorisme et qu’il n’est pas à l’ordre du jour ».

Contexte et implications

Cette stratégie d’Israël de dialoguer avec des partis d’extrême droite, comme le RN, s’inscrit dans un contexte géopolitique en mutation. L’État hébreu cherche à diversifier ses alliances et à renforcer sa position sur la scène internationale. Cependant, cette approche se heurte à plusieurs réalités. Le RN a été historiquement associé à des discours et des actions racistes et antisémites, notamment sous la direction de son fondateur Jean-Marie Le Pen. Ces antécédents ont marqué durablement l’image du parti, malgré les efforts de dédiabolisation menés par sa fille Marine Le Pen et plus récemment par Jordan Bardella.

En Israël, Amichai Chikli est controversé, connu pour ses positions intransigeantes sur divers sujets sensibles. Ses déclarations ont souvent suscité des polémiques, notamment lorsqu’il a appelé à la suppression de l’identité nationale palestinienne ou qualifié l’Autorité palestinienne d’« entité néo-nazie ». Ces prises de position ont compliqué les relations avec la diaspora juive, notamment avec les communautés américaines plus modérées.

Pourquoi Israël envisagerait-il de dialoguer avec des partis d’extrême droite ?

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce changement de cap. Tout d’abord, il s’agit potentiellement d’une tentative d’élargir les alliances d’Israël sur la scène européenne. Face à un environnement international en mutation, l’État hébreu pourrait chercher à diversifier ses soutiens au-delà de ses partenaires traditionnels. En engageant le dialogue avec des partis qui gagnent en influence dans certains pays européens, Israël pourrait espérer renforcer sa position et défendre ses intérêts.
Cependant, cette approche soulève des questions cruciales. Comment concilier un dialogue avec des partis au passé trouble sans exiger une transparence totale et une condamnation sans équivoque de toute forme d’antisémitisme, de racisme ou de xénophobie ? Comment préserver les liens avec les partenaires traditionnels d’Israël, fondés sur des valeurs démocratiques partagées, tout en explorant de nouvelles alliances ?

Récentes polémiques et préjugés antisémites

En 2023, Jordan Bardella a déclaré ne pas croire que Jean-Marie Le Pen était antisémite, avant de rétropédaler suite aux critiques. Cela a ravivé les débats sur l’héritage antisémite du RN et la crédibilité de ses dirigeants actuels dans la lutte contre l’antisémitisme. Plus récemment, en juin 2024, plusieurs candidats du RN ont été impliqués dans des scandales liés à des propos antisémites, racistes ou homophobes sur les réseaux sociaux.

Par ailleurs, certains sympathisants du RN croient en des théories du complot impliquant les Juifs, comme un supposé complot sioniste mondial. Une étude de 2018 a montré que 36% des sympathisants du RN croyaient en un tel complot.

Une proportion significative de sympathisants du RN croit que les Juifs ont trop de pouvoir en France, notamment dans le domaine économique et financier. Selon certaines études, environ 39% des électeurs de Marine Le Pen pensent que les Juifs ont trop de pouvoir dans l’économie et la finance. Beaucoup de sympathisants du RN adhèrent à l’idée que les Juifs français ont une double allégeance, c’est-à-dire qu’ils seraient plus fidèles à Israël qu’à la France. En 2023, 51% des sympathisants RN partageaient ce stéréotype. Un stéréotype récurrent est que les Juifs ont un rapport particulier à l’argent. En 2023, plus de la moitié des sympathisants du RN (51%) croyaient en ce stéréotype.

En définitive, ces récentes polémiques et les préjugés soulignent les défis persistants que le RN doit relever pour convaincre de sa sincérité dans la lutte contre l’antisémitisme.

Placer Israël devant ses responsabilités

Bien que le RN tente de se dédiaboliser, son histoire et ses liens avec des idéologies antisémites et xénophobes sont ancrés. Ignorer ces aspects pour se concentrer uniquement sur un soi-disant non-antisémitisme est problématique et peut créer de vives tensions. De plus, ce rapprochement soulève des questions cruciales : comment concilier un dialogue avec des partis au passé trouble sans exiger une transparence totale et une condamnation sans équivoque de toute forme d’antisémitisme, de racisme ou de xénophobie ? Comment composer avec l’extrême droite ?

C’est ainsi que le rapprochement d’Israël avec certains partis d’extrême droite européens comporte des risques considérables. Les communautés juives européennes, souvent victimes de l’antisémitisme et de la xénophobie véhiculés par ces mouvements, pourraient se sentir trahies. En France, le Crif a déjà exprimé sa ferme opposition au dialogue avec le Rassemblement national (RN), le considérant comme l’héritier d’une tradition d’extrême droite et une menace pour les valeurs républicaines. D’autres organisations juives pourraient adopter une position similaire, créant des tensions communautaires.

Première réaction notable, le philosophe Bernard-Henri Lévy devait s’exprimer le 26 mars au soir, à l’occasion d’un dîner où le président israélien, Isaac Herzog, prendra la parole. Sollicité par Le Monde, il a annoncé avoir annulé sa venue, après avoir découvert la présence de M. Bardella.

Enfin, ce rapprochement risque de nuire à la réputation d’Israël auprès de ses alliés traditionnels de droite comme de gauche.

Conclusion

L’invitation du RN à une conférence sur l’antisémitisme à Jérusalem soulève de nombreuses questions sur les intentions d’Israël et la crédibilité du RN dans la lutte contre l’antisémitisme. Alors que le RN cherche à se dédiaboliser, ses antécédents et les préjugés persistants chez ses sympathisants continuent de susciter des inquiétudes. Il est crucial de considérer ces éléments pour évaluer la stratégie d’Israël et son impact sur les relations internationales. En somme, Israël se retrouve face à un dilemme : comment concilier ses intérêts géopolitiques avec ses valeurs fondamentales, tout en préservant ses relations avec les communautés juives mondiales ?


Marc Knobel est historien et chercheur associé à l’Institut Jonathas de Bruxelles.

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