Retour des États-Unis. Côte Ouest, avec ces nouveaux bad guys à la manœuvre d’une révolution au technicisme délirant et au folamourisme débridé qui a, dit Elon Musk, 80% de chances d’apporter à l’humanité une félicité nouvelle et 20% de chances de la détruire. Côte Est, avec ces Gremlins, ces Doge kids lancés par le même Musk à l’assaut de tout ce qui, dans l’État fédéral, finance la santé, l’éducation, le bien-être des États-Uniens et, accessoirement, à travers l’Usaid, un peu de la survie du monde. Et, entre-temps, la Floride, terre natale du trumpisme, d’où j’ai vu les images du coup de téléphone de Trump à Poutine ; puis celles de son vice-président, J. D. Vance, exhortant les Européens, à Munich, à voter AfD, Rassemblement national, tout ce qu’ils voudront, pourvu que ce soit au détriment du « plus jamais ça » fondateur de l’Europe d’après 1945. Imprévisible, la nouvelle administration américaine ? Une force qui va, brise les tabous et, ivre d’« un rêve héroïque et brutal » (Heredia), nous réserverait le meilleur comme le pire ? Rien de cela pour le moment. Juste une idéologie de brutes, forte avec les faibles (les migrants, le Groenland), faible avec les forts (Poutine donc, à qui l’on a donné, avant toute négociation, l’essentiel de ce qu’il demande : les territoires conquis en Ukraine et la non-entrée de l’Ukraine dans l’Otan). Munich américain où on lâche en rase campagne ces femmes et hommes – les Ukrainiens – qui défendent, armes à la main, depuis trois ans, les valeurs et la sécurité de l’Occident. American vertigo.
Je repars pour l’Ukraine. Maintenant. Car il n’y a pas un autre endroit au monde où je souhaite me trouver, ce 24 février, date anniversaire de la guerre atroce – la première, depuis 1945, sur le continent européen – qu’a déclenchée le Kremlin, il y a trois ans, sur les côtes de la mer Noire et dans le Donbass. Je verrai bien. Je raconterai. Mais j’en sais déjà assez pour dire que la fameuse offensive russe dont se gargarisent les défaitistes piétine depuis des mois. Je connais, j’ai filmé, chaque rue de la ville martyre de Pokrovsk et j’en ai vu suffisamment pour savoir que les Ukrainiens, pour peu qu’on continue de les aider, tiendront la ligne aussi longtemps qu’à Bakhmout ou, aujourd’hui, à Tchassiv Yar dont nul ne parle plus mais où ils résistent encore. Je ne pense pas, en d’autres termes, que l’Ukraine soit à genoux. J’ai du mal à croire à ces désertions massives dont se gaussent les agents d’influence russe. J’ai vu, il y a quelques semaines, à Paris, le président Zelensky. J’ai revu, plus récemment, son connétable, Andriy Yermak, géant taiseux et, lui aussi, héroïque qui devrait être le premier, le moment venu, dans l’ordre des compagnons de la Libération que créera l’Ukraine quand elle l’emportera. Et de ceci, je peux témoigner : un esprit de résistance indompté ; une détermination inentamée à défendre et l’Ukraine et l’Europe ; « croyez-vous, m’a dit le jeune Churchill de Kyiv, que nous ayons consenti tant de sacrifices pour donner, in fine, 20% de notre pays à un voisin génocidaire ? et ne voyez-vous pas, vous, les Européens, que c’est pour vous que nous nous battons et pour vous que sonnerait le glas si nous étions contraints de céder ? ».
Alors, oui, les Européens. J’écris alors que s’ouvre, à Paris, la grande conférence sur l’Ukraine, voulue par le président Macron. L’Europe, en vérité, n’a pas le choix. S’unir ou mourir. Agir ou subir, dans deux, trois ou cinq ans, un nouvel assaut russe mais, cette fois, dans un pays Balte, en Pologne, ailleurs. Et agir, en la circonstance, ne peut avoir qu’un sens. Savoir que nous avons, depuis trois ans, fourni à l’Ukraine plus d’avions, d’hélicoptères, de tanks et autres canons howitzers que les États-Unis. Et avoir la volonté politique, non seulement de poursuivre, mais de franchir un pas de plus en créant, dès aujourd’hui, en conclusion de cette conférence, la fameuse armée européenne qui est un serpent de mer depuis trois quarts de siècle et sans laquelle, pourtant, nous serons vassalisés. Pas l’Otan, l’armée de l’Europe. Peut-être pas toute l’Europe mais ceux qui, en Europe, refusent de se coucher devant les poutinistes, islamistes et, un jour, Chinois qui veulent nous soumettre. Et pas ex nihilo car : 1) l’Union européenne, personne n’a l’air de s’en souvenir, a déjà approuvé la création d’une Force de réaction rapide dont certains éléments étaient à l’entraînement, en octobre 2023, dans le sud de l’Espagne et qui ne demande qu’à être étoffée ; 2) il existe, aux marches de l’Europe, une armée formidablement aguerrie qui s’appelle l’armée ukrainienne et qui, comme l’a proposé le président Zelensky, peut être, du jour au lendemain, le fer de lance de cette nouvelle armée. L’Europe, avec son logiciel inachevé, saura-t-elle vouloir ce qu’elle peut ? Cette communauté dont la grandeur était, jusqu’ici, comme la princesse Europe des Grecs, d’être un mythe d’autant mieux chanté qu’il n’advenait jamais tout à fait se résoudra-t-elle à cette incarnation ? Et serons-nous, citoyens, à la hauteur de la dignité tragique requise par le moment historique ? C’est une question existentielle.
Après le clash avec les États-Unis, au cas où certains auraient oublié ce que représente un octogone avec Donald Trump depuis le 20 janvier dernier, l’Europe, à l’exception du poutiniste Orbán, vole au secours de Zelensky.
J’aimerais bien qu’on m’explique comment on peut porter assistance à un pays étranger en danger, lorsque l’on se trouve dans l’incapacité d’assurer à soi seul la défense de ses propres frontières.
L’Union européenne se voit déjà en haut de la liste du prédateur Poutine.
Si elle se sent capable de prendre le relais des États-Unis en ce qui concerne les livraisons d’armes et d’équipements à l’armée ukrainienne, c’est donc qu’elle-même peut se passer de l’Oncle Sam pour dissuader l’Ours postsoviétique de lui bondir dessus, ce qui écarte le risque d’une extension du conflit russo-ukrainien au reste de l’Europe.
Dans le cas contraire, est-il bien raisonnable de se dresser ainsi comme un seul homme, j’allais dire un homme seul, contre son grand Allié ?
Il y a trois ans, nous avons puérilement érigé Zelensky en Churchill d’une Troisième Guerre mondiale qui n’avait aucune chance d’advenir, sauf à la déclencher nous-mêmes en le laissant entraîner l’OTAN dans la cobelligérance.
Zelensky fut acclamé par toutes les assemblées politiques et culturelles de l’Occident, face aux élus des parlements européens, face aux élus du Parlement européen, face aux élus du Parlement américain, face aux parterres de stars du cinéma européen ou américain, tel un héros de film catastrophe s’interposant tout seul entre Adolf Hitlerovitch et le monde libre exposé à un risque de vitrification.
Qui, dans ses pompes, réussirait à rester plus de trois minutes à la place qui sied au leader d’un pays de son rang, face à un Président américain encore plus inconventionnel qu’il ne l’était lui-même à ses débuts — rappelez-vous qu’à l’époque, on irait même jusqu’à les comparer l’un à l’autre avec circonspection — et dont on nous rebat en outre les oreilles de l’impossibilité que son accession au pouvoir de la seule authentique hyperpuissance mondiale soit de nature à préserver l’idée que nous nous faisons de la civilisation en semant elle-même, — roulement de tambouille géopolitique : la barbarie ?
Et pourtant, qui en dehors de Donald Trump est aujourd’hui capable d’offrir de meilleures garanties de sécurité à l’Ukraine que celles d’un pré carré géostratégique résultant d’un accord commercial avec la première puissance mondiale ?
Zelensky a raison de rappeler au nouveau locataire du bureau ovale que l’on ne peut pas faire confiance à Vlad le Violateur du droit international.
Sauf que ce n’est pas avec l’ennemi russe, mais avec l’ami américain que nous nous attendions, aujourd’hui, à ce que le héros ukrainien fasse tout ce qui était en son pouvoir pour établir un solide lien de confiance.
P-S(ychose) : Nous nous félicitons que Volodymyr Zelensky soit reçu à la Maison-Blanche en vue de la signature d’un accord sur les minerais avec son allié n° 1, lequel accord de libre-échange très convoité lui rapportera une place de choix au sein de l’Empire américain, le genre de bouclier protecteur auquel aurait rêvé Milan Hodža, président proto-européiste du gouvernement tchécoslovaque lors d’une crise majeure qui avait entraîné sa démission, puis son exil aux États-Unis. Quant à l’abandon en rase campagne militaire de Shomrôn et Iehouda en échange d’une trêve mercantile poreuse et prolongée avec le Méta-Empire sunno-chî’ite, nous autoriserions-nous à qualifier cet outrage à la raison d’État de Munich onusien ?
Le sous-chef des Armées se met en garde contre l’antiaméricanisme de feue l’Europe des nazifiés.
Dans la refoulée, il n’oublie pas que l’on ne déchire pas un accord de Vienne sans qu’il puisse en découler un accroissement subit du stock d’uranium enrichi à 60 % qui rapprocherait l’Ennemi du taux nécessaire à la construction d’une arme nucléaire.
À moins que le maintien des ambitions démesurées du Quatrième Reich sous le boisseau du marché mondial ait poussé Trump One à mettre fin à la normalisation des relations de l’Occident avec la tartuferie des Mollah’s Sons.
L’inexorable Daechéance de l’Irak, parlons-en ! et la Talibanie de nouvelle régénération prête à émasculer Massoud le Jeune, quels esprits éclairés y avaient sifflé l’ordre de reddition ? Les traders de la Contre-Obamania ou bien, huit ans plus tôt, les marketeurs de la Contre-Busherie ?
Aussi longtemps que les lanceurs de patate chaude de notre politique inavouablement décoloniale, étrangement étrangère aux intérêts fondamentaux de la nation, continueront à recevoir les compagnons de l’Illibération avec les déshonneurs dus à leur rang, les patents détenteurs des pouvoirs dont ils se sont vus confier la noble, ingrate et mégalourde tâche de légaliser, légitimer, exécuter les volontés tous azimuts, n’auront d’autre choix que de rejeter l’accusation de munichisme.
Nous voudrions pouvoir à nouveau éprouver le sentiment d’appartenance à un ensemble cohérent de cultures et d’histoires convergentes que sous-tendrait une Internationale du droit inviolable et sacré pour la préservation duquel certains des héros du 6 juin 1944 ont consenti à donner leur vie avant de toucher terre.
Rallions-nous au réel.
Raccrochons-nous à une véracité d’effet.
Nulle individuation, a fortiori collective, ne peut survivre sans discerner les axes principiels autour desquels doivent pouvoir s’articuler ses stratégies éthiques.
Certes, l’agression de l’Ukraine fut un révélateur de duplicité ; celle d’Israël en serait une autre aux retombées largement plus plombantes. — Le trumpisme a bon dos, car si l’européanisme prend l’eau, c’est la faute à Voltaire, ou, pour être plus prêchi, aux actionnistes de son Universel embaumé. Nous avons raté notre envol vers l’horizon oblique, entre le mur de Huntington et le trou noir fukuyamesque. Ce n’est pas une raison pour abandonner la course à l’espace-temps post-totalitaire. Nous devrions a contrario redoubler d’efforts pour augmenter nos chances de provoquer l’avènement, escompté par les uns, redouté par les autres, d’un Homo pleinement et entièrement assagi. Afin d’y parvenir, nous proposons au camp des globalisateurs de l’état de droit d’aller au bout de l’éthique de responsabilité en octroyant l’égalité en droit et en devoir aux dernières civilisations barbares, majoritaires à la surface du globe au demeurant. La promesse performative doit changer de côté, sous peine de miner la transition démocratique des dystopodes et d’enrayer l’humanisation effective de leur èthos otage contraint au consentement pugnace, à l’intolérance crasse et à la guerre feignasse.
C’est dorénavant, et j’allais dire depuis le premier jour, aux peuples qui ploient ou se déploient sous le joug d’un régime dictatorial, ou démocratorial, de nous donner une garantie de fiabilité des services qu’ils souhaitent offrir à notre humanité commune, en renonçant au maintien, au rétablissement ou, pire encore, à l’établissement d’un droit fasciste postreligieux comme à celui d’un ordre religieux néofasciste, à l’extérieur de nos frontières, ou même à l’intérieur s’il arrivait que l’un de ces Grand Soir funestes s’extirpe de notre gueule de bois et crapahute jusqu’au lendemain de victoire électorale.