Le 7 janvier 2015 un attentat meurtrier a ciblé la rédaction de Charlie Hebdo, suivi des attaques terroristes du 8 janvier à Montrouge et du 9 janvier dans le supermarché Hyper Cacher. Dix ans après, où en sommes nous ?

Plus aucune caricature de Mahomet n’a été publiée depuis, non seulement en France, mais dans le monde entier. Les journalistes de Charlie Hebdo poursuivent leur travail sous protection policière, dans des locaux tenus secrets. Nombreuses personnes ayant critiqué publiquement l’Islam radical, de Mila Orriols à l’imam de Drançy Hassen Chalghoumi, ont dû être placées sous protection policière. 

Menaces sur les réseaux sociaux et attentats réels se recoupent, dans une Terreur désormais bien installée et banalisée.

C’est ce dont l’affaire de l’emprisonnement de Boualem Sansal par le régime algérien a été révélatrice. De la collaboration active d’une certaine gauche française avec cette Terreur, lorsqu’elle se met à justifier l’arrestation de Sansal par ses critiques de l’Islam. De de la récupération perverse de la défense de la liberté d’expression et de l’héritage de Voltaire par la droite et l’extrême droite – tel le « free speech » devenu, aux Etats-Unis, un slogan trumpiste, suprémaciste. De sorte que si vous critiquez l’Islam – et non seulement la religion, mais désormais aussi l’Islam radical, l’Islam politique – vous êtes raciste, vous êtes dans le camp fasciste. Pire : c’est revendiquer la liberté d’expression, d’office, qui vous catalogue comme tel.

Tandis qu’un François Burgat, l’islamologue accusé d’apologie du terrorisme, devient une référence universitaire après avoir été à la tête du CNRS ; Gilles Kepel a, lui, été mis sous une indispensable protection policière pour ses travaux sur l’emprise sociale et politique de l’Islam intégriste international – ce qui revient à avouer que c’est bien lui qui a raison.

Pendant ce temps, 56% des enseignants du primaire et du secondaire admettent s’être autocensurés « pour éviter des incidents sur les questions de religion », contre 36% avant l’assassinat de Samuel Paty. Ce chiffre monte à 65% en zone d’éducation prioritaire. 60% ont été confrontés au moins une fois à « des contestations de leur enseignement pour des motifs religieux ».

62% ont peur et donc évitent de « présenter des caricatures de personnages religieux aux élèves ».

77% estiment que « le ministère de l’Éducation nationale n’a pas tiré les enseignements de ce drame ». Et par ailleurs, chez les enseignants, « l’adhésion à au moins un assouplissement des règles de laïcité en milieu scolaire » monte en moyenne à 49%[1]… Ainsi, désormais, un directeur d’établissement peut être poussé à la démission, « départ anticipé à la retraite », « par sécurité », pour avoir rappelé à trois élèves le respect de la loi de 2004 sur le port ostentatoire de signes religieux[2]. La Terreur a décisivement imprégné l’institution, et nous n’en voyons sans doute que les premières conséquences.

Menée par l’IFOP en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès et Charlie Hebdo, l’enquête sur le rapport des Français à la liberté d’expression dix ans après les attentats contre Charlie Hebdo révèle bien quelques bons chiffres : « en 2012, seule une courte majorité de Français (58%) considérait la liberté d’expression et de caricature comme un droit fondamental, contre 76% aujourd’hui (+18 points) ».

Mais aussi d’autres moins bons : 72% des Français trouvent la Une de Charlie Hebdo « choquante ». Le droit au blasphème compte 14% de « partisans », contre 54% d’« opposants » !

78% des Musulmans pensent que la Une n’aurait pas dû être publiée. C’est aussi le cas de 48% des personnes d’extrême-gauche – pourtant le mouvement du progrès, de l’émancipation ! – contre 20% des personnes d’extrême droite, proportion bizarrement la plus basse. C’est peut-être que 22% des Français pensent que la Une était raciste…

Crucial est ce chiffre : « Moins de la moitié des personnes interrogées (44%) participeraient aux marches républicaines organisées sous le slogan “Je suis Charlie” », soit 9% de moins qu’en 2020. Autrement dit, on défend fermement la liberté d’expression, sauf si elle se fait attaquer. Logiquement, à mesure que la menace se fait plus concrète, le soutien se fait plus abstrait.

Par ailleurs, le pourcentage de « personnes pour qui on ne peut pas n’importe quoi sous couvert de liberté d’expression » est de 10 points supérieur à tous les autres chez les sympathisants de LFI et chez ceux de LR : 37%.

D’autres chiffres, quoi que faibles, restent inquiétants : la proportion de Français qui participeraient aujourd’hui aux « injures/provocations émises lors des cérémonies en l’honneur des victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo » est de 13%, soit plus d’une personne sur dix. Ce que, personnellement, je trouve énorme.

Mais le chiffre le plus important de l’enquête, c’est celui qui indique que ce sont, de 10 points d’avance, les jeunes (de 18 à 34 ans) qui sont les plus favorables à une limitation de la liberté de la presse[3]. La jeunesse contre la liberté ? 37% des 25-34 ans pensent que la Une de Charlie Hebdo n’aurait pas dû être publiée, contre 21% des 35-49 ans.

La France Insoumise est depuis 2022 le parti de près d’un jeune sur deux[4]. Le Nouveau Front Populaire dont elle a pris la tête a obtenu 48% de leurs voix aux élections législatives de 2024[5]. Ce, malgré toutes les outrances antisémites et pro-Islam qu’il est inutile d’énumérer à des lecteurs de La Règle du Jeu – Malgré ? Ou grâce ? La question se pose au vu du recoupement de ces chiffres avec ceux cités précédemment. De fait, la stratégie assumée de La France Insoumise pour grappiller des points a été de traquer les voix des Musulmans comme du gibier électoral. Stratégie gagnante : en 2022, selon l’IFOP, 69% des Musulmans votaient pour Jean-Luc Mélenchon[6]. Mais quel est l’Islam courtisé par LFI ? Est-ce à celui de « la majorité silencieuse des Musulmans de France » qui « partage profondément les valeurs républicaines de liberté, d’égalité et de fraternité » évoquée par le recteur de la Grande Mosquée de Paris[7] que La France Insoumise s’adresse ?… Il n’est pas illégitime de s’interroger lorsque ses responsables et porte-paroles soutiennent le port de l’abaya, Médine, l’imam Iquioussen, François Burgat, l’attaque du 7 octobre contre Israël, et mènent toute une campagne électorale autour d’un mouvement « pro-palestinien » – dont aucune des têtes, que ce soit en France ou aux États-Unis, ne se soient rendues coupables d’apologie de terrorisme et d’antisémitisme –, tout en condamnant Boualem Sansal et participant, de façon générale, à la terreur à l’encontre des critiques de l’Islam…

Bref, loin de défendre une vision modérée, républicaine de l’Islam, c’est à sa version radicale que La France Insoumise, parti à la tête de la gauche française, a jugé plus profitable de faire appel pour séduire les Musulmans. Au lieu de les ramener dans le champ républicain, de favoriser leur intégration, c’est en jouant sur une radicalisation, une fanatisation de leur communauté, que LFI s’est inscrite de façon décisive dans les rapports de force politiques, en les restructurant fondamentalement.

Car dans le même temps, l’extrême droite, elle, capitalise essentiellement sur la peur qu’ils inspirent ; peur des Musulmans que LFI excite, en se donnant pour représentants politiques de leur radicalité, comme ce risque imminent de leur prise de pouvoir… Vases communicants et cercle vicieux.

De sorte que dix ans après Charlie Hebdo, l’Assemblée nationale se déchirant entre extrême droite et gauche perdue, c’est l’Islam radical, sa peur ou son adoration, qui fait le cœur dynamique de la vie politique française. Et la prise de parti en sa faveur d’« un jeune sur deux », laisse entendre que la situation ne fera qu’empirer. Une fois ces jeunes arrivés au pouvoir, maintiendront-ils les protections policières ?

Voilà donc où nous en sommes, dix ans après Charlie Hebdo. Toutes les leçons que nous aurions pu en tirer, ont été prises à l’envers. Y a-t-il au moins quelques points positifs ? Non, rien qui vaille. Ils ont atteint leur but, Chérif et Saïd Kouachi. La Terreur est là, censure et autocensure. Et Charlie a vite rejoint la traditionnelle déchèterie de toutes les opportunités que la France a eu de s’ériger en championne de la liberté. Et maintenant, quoi ? Soit la gauche se saisit enfin de sa propre déchéance, dont elle a laissé l’extrême droite s’engraisser. Soit : Vae victis.


[1]Données tirées d’une enquête de l’IFOP publiée le 8 décembre 2022, à l’occasion de la journée nationale de la laïcité.

[2]https://www.liberation.fr/societe/menaces-de-mort-et-demission-du-proviseur-au-lycee-maurice-ravel-quelles-suites-pour-laffaire-20240328_ZUWU2RAEIBH5LKVTEY2HBGMYDQ/

[3]« On ne peut pas n’importe quoi sous couvert de liberté d’expression » pour 33% des 18-24 ans, 32% des 25-34 ans, contre entre 21% et 22% pour toutes les tranches d’âge supérieures. Une étonnante homogénéité dans laquelle un tiers de la jeunesse ne se reconnaît pas.

[4]https://www.ipsos.com/fr-fr/legislatives-2022/qui-vote-quoi-la-sociologie-de-lelectorat

[5]https://www.ipsos.com/fr-fr/legislatives-2024/sociologie-des-electorats-legislatives-2024
À noter que le RN, dans la même catégorie des 18-24 ans, fait 33% et que les autres propositions politiques n’atteignent pas les 10%.

[6]https://www.ifop.com/publication/le-vote-des-electorats-confessionnels-au-1er-tour-de-lelection-presidentielle-2/
En 2017, Jean-Luc Mélenchon ne recueillait que 37% des voix des Musulmans (https://www.e-laicite.fr/2017/05/19/le-vote-religieux/), et a obtenu 62% de leurs voix aux élections législatives de 2024 (https://www.lejdd.fr/societe/religion-comment-votent-les-croyants-146421), soit 7 points de moins qu’avant la campagnes pour les européennes qui a sacré sa compromission avec l’intégrisme islamiste.

[7]Dans son Communiqué à l’occasion du 10anniversaire des tragiques attaques contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2025.

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