Rien, intellectuellement, n’est plus privé de sens que la mort. Aucune bonne raison, aucun avantage, aucune perspective, aucun remède connu in fine. Vieillies avec le temps, inopératoires sinon en esprit, les fumeuses consolations post mortem de la religion ont été reléguées dans l’enfance de l’humanité par l’avènement de la science et les progrès foudroyants de la médecine depuis deux siècles. Mais la Mort se reportant toujours plus loin, si nombre de pathologies sont totalement sous contrôle, d’autres restent, à ce jour, sans appel. Dont une, ici, la maladie de Charcot, est l’objet d’un livre : Invincible. Il s’agit d’un témoignage d’un homme, Olivier Goy en proie à ce haut mal, et d’une journaliste du Figaro, Anne Fulda, dont la mère est décédée de cette même maladie de Charcot. Tous deux ont lancé le combat contre l’inéluctable.

Car la maladie de Charcot reste à ce jour fatale. Elle tue sans rémission, en quelques années, par l’anémie progressive des muscles et des poumons, étouffe le patient, le paralyse entièrement, sans pour autant altérer ses facultés mentales. Une mort sur ordonnance, en pleine lucidité.

Olivier Goy n’en est pas encore là. La maladie lui laissant un délai de grâce, cet homme d’action, investisseur-né, ce fonceur sans mélange s’est refusé à lui baliser le terrain en baissant les bras, ou sombrer dans une détresse sans fond, ou pire, rester sans emploi.

Lutter, informer le grand public sur la maladie de Charcot, à l’aide de ce livre, d’un film, Invincible (titre emprunté à Camus), ameuter les riches et célèbres de sa connaissance, lever des fonds pour la Recherche, aimer follement les siens et ses proches, qui, tous, font bloc autour de lui, provisionner d’affection et d’amour le futur : Olivier Goy a choisi de défier la Camargue, tête haute, avec le panache d’un Cyrano. Bataille perdue d’avance. Mais bataille livrée. Chacun son style. Et on ne se refait pas.

Un autre malade, qui n’est pas cité dans le livre de Goy et Fulda, a mené une bataille plus folle encore, contre un ennemi voisin, le LIS : Jean-Dominique Bauby, écrivain, qui fut un temps rédacteur en chef de Elle. Atteint en 1997 du Locked In Syndrom, l’enfermement total en soi, il ne lui restait plus comme échappatoire, pour communiquer avec autrui, que le battement de sa paupière gauche. En acquiesçant, lettre après lettre, mot après mot, d’un battement de paupière, au défilé des lettres de l’alphabet que lui soumettait jour après jour, des heures durant, son orthophoniste féminin, il a écrit à l’arraché le plus improbable, le plus miraculeux de tous les journaux de prison, Le scaphandre et le papillon. L’imagination y prenait le pouvoir, les rêves par lesquels Bauby s’échappait de sa camisole de force se succédaient à belle allure, il y était question de tout. Le succès fut mondial.

Bauby décédera trois jours après la parution de son livre. Il avait, de son vivant, vaincu un temps la mort.

Ont connu le même sort San Shepherd, Stephen Hawking, Florence Malraux.

De ce qui précède, on ne peut que souscrire à ce que l’interruption volontaire de la vie devienne, dès demain, un droit souverain de la personne, à l’entière discrétion des condamnés que nous sommes tous devant l’inéluctable.

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