Cela faisait bientôt un an que nous n’étions pas revenus sur le front. Depuis cet été 2023 consacré entièrement au tournage de notre troisième documentaire, L’Ukraine au Cœur. Projeté successivement à Paris, New York puis Washington. Et aujourd’hui à Kharkiv, deuxième ville d’Ukraine, dans les entrailles de l’opéra qui nous rappellent aussitôt les sous-sols martyrisés du théâtre de Marioupol.

Il y a là des soldats, un pope, le maire de la ville, une star du rock et une foule d’anonymes venus bravement constater ce que disent et montrent de leur guerre quelques Français opiniâtres. Nous sommes, avec Bernard-Henri Lévy et Gilles Hertzog, à l’aube de notre seizième voyage depuis le début de la guerre. Trois ou quatre mille kilomètres supplémentaires à notre compteur, de la Pologne à la Moldavie, pour revisiter Lviv, Kyiv, Kharkiv, Dnipro, Odessa et bien sûr cette inextinguible ligne de front.

Ce qui, sur le plan militaire, a beaucoup changé depuis 2022, nous le constatons : c’est l’usage des drones. Qu’ils soient de reconnaissance, d’attaque par largage de bombes thermobariques ou encore kamikazes, les « oiseaux » sont omniprésents. Le duel d’artillerie façon Grande Guerre, commencé à vrai dire dès 2014, s’est enrichi d’un combat technologique terrifiant. Impossible d’effectuer le moindre mouvement sans être tracké par l’ennemi. Puis ciblé. Le front ne connaît aucun répit. De jour comme de nuit. Et à ce jeu d’extermination systématique, les Russes ont l’avantage du nombre. Les Ukrainiens, eux, rivalisent d’ingéniosité pour compenser une faiblesse constitutive. Faute d’armes et de munitions suffisantes, ils parviennent à pirater le signal des drones russes, anticiper leurs intentions et limiter ainsi leurs pertes.

Des membres du bataillon de drones Achilles, qui fait partie de la 92e brigade ukrainienne, préparent un drone près de Kharkiv. Photo : Marc Roussel
Des membres du bataillon de drones Achilles, qui fait partie de la 92e brigade ukrainienne, tiennent un drone entre les mains près de Kharkiv. Photo : Marc Roussel

Et alors que nous les accompagnons sur les positions avancées de Lyptsi, à peine vingt kilomètres au nord de Kharkiv, la nouvelle nous arrive d’un Trump victime d’un attentat. C’est pour les Ukrainiens une mauvaise nouvelle. La probabilité augmentée d’une victoire républicaine le 5 novembre prochain signifie pour eux un risque d’abandon. Le moral est affecté. D’autant que les aides occidentales se font déjà rares et que, en ce 14 juillet, une part de l’Ukraine profite des plaisirs de l’été tandis que d’autres suent sous les bombes. C’est le lot de toutes les guerres dira-t-on. Certes. Je sens bien, dans ces regards qui défilent dans mon viseur, et pour la première fois, un air de lassitude. Il ne fait aucun doute pourtant que le sursaut kamalien des démocrates américains, après notre retour, a empli d’espoir le cœur des combattants. Suffisamment pour limiter les offensives russes qui, de Tchassiv Yar à Lyptsi, menacent les villes-clés de Dnipro et Kharkiv ? Certainement. On peut, à l’heure de les quitter une nouvelle fois, imaginer qu’ils tiennent. Au courage et par la ruse. Qu’ils soient, comme le général Bogomolov sur le promontoire de Koupiansk, capables de contenir les assauts russes jusqu’à l’arrivée de l’hiver. Jusqu’à ce 5 novembre au moins. Et que l’Ukraine, dans sa quatrième année de guerre totale, obtienne enfin paix et réparation. C’est pour cela que nous sommes revenus. Que Bernard prononce encore le mot victoire. Que je filme et photographie. Que nous nous exposons à la morgue aveugle des obus. Pour cela que, sûrement, il n’est pas de vaines promesses.

Le poète et écrivain ukrainien Serguei Zhadan, Ihor Obolyenskyi, le chef de la brigade Khartia, et Bernard-Henri Lévy, le 14 juillet, dans un bunker de Kharkiv. Photo : Marc Roussel
Le poète et écrivain ukrainien Serguei Zhadan, le chef de la brigade Khartia Ihor Obolyenskyi, et Bernard-Henri Lévy, le 14 juillet, dans un bunker de Kharkiv. Photo : Marc Roussel

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