Plus que tout autre, le mot antifascisme a un poids considérable en Italie, dans le pays qui fut le laboratoire des fascismes européens au début du XXème siècle. L’antifascisme historique, celui qui a permis à l’Italie de se relever des deux décennies mussoliniennes, ne fut ni de droite, ni du centre, ni de gauche. Il fut ce mouvement capital de refus, cette volonté souveraine de lutte, individuelle et collective, portée par une énergie audacieuse, intrépide, au risque de la torture et de la mort, pour renverser un homme, un mouvement, un appareil d’État, une idéologie qui, de la Marche sur Rome à la République de Salò, de l’assassinat du député socialiste Giacomo Matteotti le 10 juin 1924 au massacre des 335 civils des Fosses Ardéatines le 24 mars 1944 par les nazis avec la complicité d’Italiens, avait imposé la soumission, la peur, la prohibition de toute critique, l’écrasement des oppositions.
Le 25 avril est la date qui commémore la Libération de l’Italie. C’est une date sacrée entre toutes. C’est une date qui rappelle à chacun l’importance du sacrifice consenti par ceux qui, au nom des valeurs qui fondèrent ensuite la République italienne et sa Constitution, prirent les armes pour expulser les nazis et faire taire les infidèles aux idéaux du Risorgimento.
Malgré les sourires de connivence avec Ursula von der Leyen, malgré le baiser sur le front de Joe Biden dans le bureau ovale de la Maison-Blanche, malgré ses positions indiscutablement favorables à l’Ukraine (à la différence de Matteo Salvini, son partenaire au sein de la coalition des droites, pro-Poutinien de toujours) qui lui ont donné du crédit sur le plan international, malgré les soutiens qu’elle trouve auprès de plusieurs de ses homologues lors des réunions du Conseil européen, et pas uniquement auprès de Viktor Orban, Giorgia Meloni, la Présidente du Conseil italien depuis septembre 2022, tombe le masque et révèle des traits préoccupants lorsqu’il s’agit du fascisme italien. Jamais lors de sa campagne électorale victorieuse, mais plus grave encore, jamais depuis son arrivée au pouvoir, la présidente de Fratelli d’Italia n’a su trouver les mots pour dire la condamnation de la République pour les années de dictature, pas même lors des dates qui célèbrent ceux qui sont tombés comme ceux qui ont lutté. Issue d’un mouvement néo-fasciste, Giorgia Meloni n’a jamais exprimé son respect pour la part lumineuse de l’Italie qui aspira à la destruction de la machine meurtrière, le monstre sombre que Mussolini mit sur rail dès le début des années 1920.
Nous avons consacré tout un volume de « La Règle du jeu » à l’Italie en septembre dernier. Ce Pour une autre Italie qui réunissait écrivains, intellectuels, journalistes et politiciens souhaitait apporter des éclairages sur la situation transalpine, une année après l’accès au pouvoir de Giorgia Meloni et de sa coalition des droites.
Parmi les auteurs de ce numéro 80 figure Antonio Scurati, le romancier et intellectuel auquel nous devons la puissante trilogie M (éditions Les Arènes) consacrée précisément à Mussolini, une fresque traduite dans des dizaines de langues. Dans notre volume, son texte « Fascisme et populisme » analyse sans détours les leviers de l’idéologie mussolinienne, les ressorts du populisme séducteur du Duce.
Le romancier et intellectuel italien vient de vivre un épisode brutal, une surexposition médiatique dont il se serait très certainement passé. Invité par l’émission dominicale Chesarà? de la chaîne publique RAI3 à produire un texte pour commémorer le 25 avril prochain, Antonio Scurati s’est vu annoncé peu auparavant l’annulation de sa participation. Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Meloni, les mises à l’écart et démissions forcées de quelques-unes des figures emblématiques de la RAI, le refus de diffuser un documentaire en plusieurs épisodes consacré à la mafia conçu par Roberto Saviano, ont nourri l’idée que ce grand groupe audiovisuel était devenu le « porte-voix » de la droite populiste.
Samedi, la décision de refuser à Scurati la possibilité de s’exprimer, de donner à entendre aux téléspectateurs le texte qu’il avait écrit pour rappeler, dans l’Italie de 2024, la gravité et la portée du 25 avril 1945, est un énième symptôme d’une fébrilité, d’un inconfort, voire d’une réelle aversion chez certains dans les cercles les plus proches de la Présidente du Conseil à dire les faits, à souligner le courage héroïque, les basses compromissions, à rappeler la gloire de la résistance antifasciste et par là même l’infamie fasciste.
Dans l’urgence, pour tenter de se disculper de tout interventionnisme et de toute censure, Giorgia Meloni a publié le texte d’Antonio Scurati dans l’après-midi de samedi sur son compte Facebook. Mais elle n’a pas pu s’abstenir de préciser que cet écrivain, oui, toujours la haine des intellectuels, faisait partie de ceux qui gagnent leur pain sur le dos des contribuables, avec l’argent public, en polémiquant avec un gouvernement démocratiquement élu. Une manière pour la personnalité politique italienne la plus populaire, la femme au sommet du pouvoir de se laver les mains tout en montrant avec dédain du doigt à ses troupes l’ennemi, en soulignant le peu de chose que représente la voix d’un auteur et dans quelle misérable insignifiance elle tient la pensée, la recherche et la réflexion historique.
La « Règle du jeu » vous propose la traduction de ce texte. Honneur à Antonio Scurati.
Christian Longchamp
Le texte de Antonio Scurati censuré par la RAI
Giacomo Matteotti fut assassiné par des tueurs à gages fascistes le 10 juin 1924.
Cinq hommes l’attendaient en bas de chez lui, des squadristes venus de Milan, des professionnels de la violence, engagés par les plus proches collaborateurs de Benito Mussolini. Giacomo Matteotti, secrétaire du Parti socialiste unitaire, le seul député du Parlement à s’opposer encore à visage découvert à la dictature fasciste, fut enlevé en plein centre de Rome, en pleine journée, à la lumière du jour. Il se battit jusqu’au bout, ainsi qu’il avait lutté tout au long de son existence. Les tueurs le poignardèrent mortellement, puis mutilèrent son cadavre. Ils le forcèrent pour pouvoir le fourrer dans une fosse sommairement creusée avec une lime de forgeron.
Mussolini fut immédiatement informé. Non content de s’être souillé de ce crime, il commit l’infamie de jurer à la veuve qu’il ferait tout son possible pour lui ramener son mari. Le Duce du fascisme prononçait ce serment alors que les papiers ensanglantés de la victime reposaient dans un tiroir de son bureau.
Mais en ce faux printemps qui est le nôtre, on ne commémore pas seulement l’assassinat politique de Matteotti ; on commémore aussi les massacres nazi-fascistes que les SS allemands perpétrèrent en 1944 avec la complicité et la collaboration des fascistes italiens. Fosses ardéatines, Sant’Anna di Stazzema, Marzabotto, ce sont là quelques-uns des lieux où les alliés démoniaques de Mussolini massacrèrent de sang-froid des milliers de civils italiens sans défense. Parmi eux, des centaines d’enfants et même de bébés. Un grand nombre furent carrément brûlés vifs, certains furent décapités.
Ces deux anniversaires funestes – printemps 1924, printemps 1944 – témoignent que le fascisme a été tout au long de son existence historique – et pas seulement à la fin, ou à quelques occasions – un phénomène irrachetable d’une violence politique systématique, marquée par le crime et le terrorisme. Les héritiers de cette histoire vont-ils enfin le reconnaître ?
Hélas, tout laisse entendre qu’il n’en sera rien. Après sa victoire aux élections d’octobre 2022, le groupe postfasciste au pouvoir disposait de deux possibilités : répudier son passé néofasciste ou tenter de réécrire l’Histoire. Il a indubitablement choisi la seconde.
La présidente du Conseil, qui avait évité le sujet durant sa campagne électorale, s’est obstinément conformée à la ligne idéologique de la culture néofasciste dont elle est issue, chaque fois que les anniversaires historiques l’ont contrainte à l’affronter : elle a pris ses distances par rapport aux atrocités indéfendables du régime (la persécution des Juifs), sans jamais renier l’expérience fasciste dans son ensemble, elle a imputé aux seuls nazis les massacres perpétrés avec la complicités des fascistes de la République de Salò, enfin elle a désavoué le rôle fondamental de la Résistance dans la renaissance italienne (au point de ne jamais employer le mot « antifascisme » à l’occasion du 25 avril 2023).
À l’heure où je vous parle, nous sommes de nouveau à la veille de l’anniversaire de la Libération du nazi-fascisme. Le mot que la présidente du Conseil a refusé de prononcer palpitera encore sur les lèvres reconnaissantes des démocrates sincères, qu’ils soient de gauche, du centre ou de droite. Tant que ce mot – antifascisme – n’aura pas été prononcé par ceux qui nous gouvernent, le spectre du fascisme continuera de hanter la maison de la démocratie italienne.
Antonio Scurati
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer pour La Règle du jeu.
Je n’ai rien à prouver quant à la nature antifasciste de mon engagement, a fortiori à une gauche enivrée par son arrivée en tête du peloton d’exécution antisémite, en allant déterrer pour ses beaux yeux les cadavres et fantômes de mes ennemis ou frères d’armes d’antan ; il suffit pour cela que je la tienne elle-même dans mon viseur.
GODard fut l’idole d’une génération vouée à la coolitude antisioniste. Sa conception de la démocratie reste valide au sens où elle décrit à la perfection l’impasse vers laquelle le bulldozer de nos lâches procrastinations nous condamne à un écrabouillage hilarant digne des idées les plus noires de Franquin : le quart d’heure de temps de parole à Hitler est aujourd’hui prôné par l’État comme unique sortie de crise plausible face à l’obscénité d’une prise d’otages dont la direction de Sciences Po refuse de punir les (pro)terroristes auteurs ; on tente de nous persuader que l’endiguement, en temps de néoguerre froide, procède d’un renoncement de la lutte armée au profit d’un combat politique réaxé sur la voie du débat démocratique ; on oublie juste que l’ouverture du Portique aux idéologies fascistes accouche dans tous les cas, inéluctablement, d’un soutien politico-économique et inframilitaire aux États voyous et autres proto-États terroristes, puis aussi vite, d’une normalisation des relations diplomatiques avec le crime organisé, à des actions totalitaires de la part de groupuscules intimidants devant lesquels se couchent les démocraties humanitaires, faussement humanistes, toujours prêtes à livrer les derniers de leurs justes aux nazis résurrectifs qui, bien ancrés dans l’hiver perpétuel, font ou défont l’histoire.
Nous nous étions vendu à nous-mêmes le meilleur des mondes : société harmonieuse, diversité réconciliée… pour tout multiculturalisme, il va falloir nous contenter d’un horrifiant multiséparatisme, augure d’un futur sans avenir qui dépasse tout ce que nos dystopies millénaristes ont pu offrir à nos pulsions de mort en vue de les réorienter vers le Grand Blues ultrapsychique.
Le fascisme historique, pour le moment, ne représente pas pour l’Europe cette menace imminente que s’ingénie à distiller la gauche antisémite, en d’autres termes, la gauche classique, la gauche traditionnelle, celle qui a tourné le dos à sa mue mondialiste, celle qui évite soigneusement de replonger trop profondément jusqu’à la dîme antique allouée aux pauvres par les sages fondateurs du premier royaume monothéiste de l’Histoire sous peine de se voir reléguée au statut de sel d’une débitrice à perpétuité.
Cela étant, nous ne saurions que recommander à nos supracompatriotes juifs de chasser de leurs têtes la fausse bonne idée d’un ralliement aux partis d’extrême droite. Une guerre civile de Religion ne saurait profiter in fine qu’aux plus intolérants d’entre leurs alliés de circonstance. Est-il besoin de rappeler qu’après avoir bénéficié de l’esprit de concorde omeyyade en sorte qu’ils purent accroître l’efficacité de la convergence des luttes entre victimes du totalitarisme islamique, nos ancêtres juifs d’Espagne, enfin débarrassés du Coranisateur, seraient mis à contribution pour alimenter en nature les autodafés du Grand Inquisiteur ?
Je suis d’accord. Toujours est-il que nous faisons face à une menace d’un nouveau genre, à une source d’angoisse inédite dès lors que l’antisémitisme s’est mondialisé, ne laissant envisager aucun havre de paix aux femmes et aux hommes sur lesquels viendrait s’abattre l’Ô Rage d’un pogromisme victimaire qu’aurait légitimé la bien-pensance pro-islamofasciste.
La liberté de circulation est un droit fondamental. Il est intolérable que celle-ci ne soit plus assurée en grandes démocraties depuis qu’on y autorise, durant le chabbat, des manifestations antisionistes sous couvert de soutien aux boucliers humains de Gaza, victimes innocentes — quand elles le sont — d’une guerre totale menée par des États djihadistes pour qui le Hamas, comme le Fatah, n’ont jamais été qu’une version panarabe des SS-Totenkopfverbände. Ces manifestants n’ont jamais caché leur sympathie pour les crimes spécifiques du 7 octobre, qu’ils qualifient d’actes de résistance légitimes à l’encontre d’une puissance occupante. Aussi est-il imbitable de nous entendre dire, à travers les représentants de la communauté juive britannique, « totalement comprendre » la décision du policier qui, au prétexte de prévenir un risque d’altercation (traduire par « risque de lynchage »), décida d’interdire le passage à Gideon Falter, directeur du groupe Campaign Against Antisemitism, alors que ce dernier considérait que le temps était venu de confronter la démocratie britannique à son propre naufrage en traversant la rue palestiniste, couvert d’une kippa. Parmi les justifications des plus hauts représentants de l’ordre, on en relèvera une, terriblement édifiante, arguant que des signes d’appartenance à la religion judaïque pourraient heurter la sensibilité des pro-palestiniens ; l’idée, en somme, qu’être juif et demander à la police de son propre pays d’assurer la sûreté d’un État noyauté par des puissances islamistes transnationales, cela équivaudrait à fanfaronner en uniforme nazi lors d’une cérémonie à la mémoire des déportés et des victimes de la Shoah.
Non, la riposte d’Israël n’est pas disproportionnée. Non, elle n’est pas excessive : elle est insuffisante. Si tel n’était pas le cas, Tsahal aurait déjà réintroduit ses Glaives de fer dans leurs fourreaux.
L’ennemi est dans la place, où il parvient déjà à faire place nette. Certes, il n’est pas aux commandes, nous en avons eu un aperçu lors de l’attaque iranienne mais, en démocratie, les pouvoirs sont sagement séparés ; un antidote impeccable contre les abus qui va permettre, entre autres effets indésirables, que l’arrogant dynamiteur du socle des Lumières ne soit pas dépourvu de marges de manœuvre face à l’hyperpuissance qui refuse de ployer devant lui.
« ¡No pasarán! » hurle le perroquet de Francisco Franco.
Unis contre le réveil de la Bête, vraiment ? Obtenez la démission de Mark Rowley, Commissioner of Police of the Metropolis auquel le PM of UK a renouvelé sa confiance et, promis, nous nous occuperons du cas Meloni.